Aire Libre accueille désormais des BD qui vont retracer le palmarès du Prix Albert Londres remis à des grands reporters dont les sujets ont fait la Une. Premier titre, Sur le Front de Corée avec Henri de Turenne dont le nom a marqué toute une génération de confrères ou de jeunes adolescents qui deviendront journalistes entre autres à cause de lui. Henri de Turenne ce n’est pas que la guerre en Corée en 1950 qu’il va couvrir pendant huit mois d’affilée. De Turenne c’est aussi une participation avec ses reportages à la révolution sur petit écran de l’information avec Lazareff surnommé Pierrot les bretelles patron de France Soir quand il vendait un million d’exemplaires par jour, Desgraupes, Dumayet et Igor Barrère. Ce sont eux qui en 1959 lance Cinq Colonnes à la Une, magazine d’actualité. De Turenne a vite compris que la TV va être incontournable au détriment de le presse écrite. Mais il y a encore mieux. Henri de Turenne a signé Les Grandes batailles en 1966 avec Costelle et une série remarquable sur la Guerre du Vietnam. On avait les yeux rivés sur le petit écran chaque numéro. Un grand « pro », De Turenne formé à la dure école de l’Agence France Presse où seul le professionnalisme était reconnu sans vedettariat. Sa guerre en Corée en 1951 lui vaut le Prix Albert Londres. Grâce à lui, en 1985, un prix Albert-Londres est créé pour l’audiovisuel, dont le premier est remis à Christophe de Ponfilly. Sur le front de Corée très bien scénarisé par Stéphane Marchetti et dessiné par Rafael Ortiz dont le dessin est bien dans le ton, paraît le 18 octobre 2024.
Quand ils sont sur le terrain les grands reporters avancent en bande, toujours, hormis quand un scoop se profile, et en meute indépendante au moins à l’époque. Fini depuis longtemps, depuis la fin de la guerre du Vietnam où les photos du massacre de My Lai avait été un coup fatal au régime de Saïgon. Il faut savoir qu’avant un reporter était prioritaire pour la com US et embarquait directement dans les hélicos en opération (voir le fantastique reportage Section Anderson de Schoendoerffer en 1969). Fin août 1950, Henri de Turenne est avec jean-Marie De Prémonville, Alex Valentine et Bigart. Ils seront les premier à rentrer dans Séoul reconquis. Leur chauffeur Kim sous la pluie s’est trompé de route. Rafales dans la nuit des partisans nord-coréens, DeTurenne se souvient comment son patron de l’AFP l’a envoyé dans ce bourbier alors qu’il avait en retard, avait commis une bourde en surveillance de nuit à l’AFP. Comme beaucoup, De Turenne n’a qu’une vague idée d’où est la Corée partagée en deux, communiste au Nord jusqu’au 38e parallèle, sous obédience US au Sud. De Turenne doit se marier. Cela peut attendre. Banco il part sans savoir qu’il va y passer huit mois. Vol avec escales part Tokyo où de nombreux journalistes montent dans l’avion. La plupart reste à Tokyo. Le Japon est dirigé par MacArthur héros de la guerre du Pacifique. Il est aussi le patron des troupes US en Corée. De Turenne va se lier avec des confrères, Daudy, De Prémonville qui avait sauté en Indochine avec les paras français en opération. Il recommencera cette fois en Corée avec les paras US dont il portera fièrement le brevet sur la poitrine (on le voit bien dans le dossier très riche en fin d’album). Ils vont former un trio inséparable. Direction la Corée (curieusement ils sont tous équipés comme des paras dans l’avion avec parachute ventral).
La suite c’est une série d’anecdotes, de reportages adaptées en BD, retraites et défaites ONU, Alliés, le martyre des civils, la mort en direct, des blessures et la peur quoiqu’il en soit. Un quotidien où le stress est permanent quand on est aux côtés des Marines en première ligne mais les États-Unis vont mettre les grands moyens et la Chine intervient. De Turenne dont le père avait été un as de l’aviation en 1914 avec 15 avions allemands abattus homologués est totalement dans le bain, assiste à un massacre de prisonniers, envoie ses papiers ou les téléphone. Certains les confiaient aux équipages d’Air France qui partaient pour Paris. Où sont les Bodard, Brigitte Friang qui sera la seule femme à sauter avec les paras français en 1953 en opération, Lartéguy, Daniel Camus, Jacques Chancel (plus tard Radioscopie et le Grand Échiquier), Robert Capa qui meurt en 1953 en sautant sur une mine au Tonkin qui y avait échappé pendant la guerre d’Espagne ou sur la plage d’Omaha ? Très souvent « embedded » (incorporé) comme on le dit dans le métier par les Américains sans pouvoir leur échapper. On se souvient à plus d’un titre de la première guerre du Golfe en 1991. On dira et cela peut paraître déplacé que ces grands reporters, cameramen ou photographes ont vécu une grande époque dont Albert Londres avait été le pionnier après la guerre de 14. Aujourd’hui il y en a encore beaucoup dont des femmes au grand courage, peut-être parfois plus en pointe sur le terrain que les hommes mais c’est vrai tous plus bloqués souvent dans leurs reportages. La censure existe, mille fois plus sévère qu’en 1950. L’image va trop vite. Reste que cet album, à ne pas manquer pour les amateurs d’Histoire, restitue pleinement ce conflit oublié auquel participera avec l’ONU un bataillon français.
Henri de Turenne, Sur le front de Corée, Éditions Dupuis Aire Libre, 26 €
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