Interview : Michel Chevereau avec le Latécoère 631 pour un bon voyage

Michel Chevereau au dessin et Jack Manini au scénario se sont envolés pour une nouvelle aventure aéronautique après La Pin-up du B-24 et Le Poids des nuages. Ils sont avec leurs héros à bord d’un hydravion gigantesque et luxueux, le Latécoère 631 en 1948. Beau mais peu fiable destinée à la traversée de l’Atlantique vers la Martinique. Bon voyage ? repose sur le dessin de Michel Chevereau qui a répondu aux questions de Ligne Claire sur le choix du Latécoère et la réalisation de cet album qui va ravir tous les fans du genre. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Michel Chevereau
Michel Chevereau

Michel Chevereau, vous avez repris l’air avec Jack Manini sur un Latécoère 631 ?

Après une année sabbatique, je n’enchaine pas systématiquement les albums. On est reparti sur Bon voyage ? et le Latécoère en effet.

J’ai trouvé que le point d’interrogation dans le titre ne se justifiait pas vraiment.

On a choisi entre plusieurs titres. Au départ c’était Partir mais déjà pris. Le point d’interrogation, oui, c’est une décision commune.

Vous êtes avec Jack Manini, votre complice. Pourquoi choisir ce Latécoère 631 qui n’a pas été une grande réussite ?

A l’époque il n’y avait que ça comme hydravion gros porteur. Il faut savoir que dans Le Poids des nuages, il y a déjà cet hydravion. Le héros prend les commandes de ce Latécoère. On connaissait déjà l’avion et c’est pour cela qu’on l’a repris. A la fin du Poids des nuages, ils repartent avec le Latécoère.

Bon voyage ?

Pas de liens par contre entre Le Poids des nuages et Bon Voyage ?

Aucun. On aurait voulu mais non.

Donc c’est un retour aux sources mais là vous donnez à cet hydravion un rôle important. Il a eu une carrière compliquée avec une série de crashs ?

C’est un six moteurs. Un avion de luxe et le billet coûtait très cher à l’époque (NDLR environ 9000 euros l’aller-retour transatlantique). On partait de la gare Austerlitz à Paris en train jusqu’à Bordeaux, puis Biscarosse pour prendre l’hydravion direction les Antilles.

Vous avez ajouté à cet hydravion une aventure un peu utopique.

Il y a trois héros membres d’équipage qui ont vécu la seconde guerre mondiale, la déportation et ont une idée incroyable car ils sont sûrs qu’en 1948 on se dirige vers un troisième conflit planétaire. Marceau le commandant de bord est déprimé par l’actualité de l’époque, la guerre froide. Autant trouver un autre monde avec une sorte d’arche de Noé. Une porte de sortie délirante mais pourquoi pas.

Donc sans trop rentrer dans le détail ils font une sélection de passagers.

Avec des communistes en prime qui voient leur intérêt dans l’épopée de cet avion. On garde le suspens. On est dans de la fiction. Les Allemands avaient récupéré le Latécoère pendant la guerre.

Vous avez collaboré sur le scénario de Manini ?

Oui, on échange sans arrêt. C’est son scénario bien sûr qu’il a fait d’une traite mais j’apporte de la matière. On savait a peu près tout sur le Latécoère, son histoire et j’avais une bonne documentation. J’ai été un peu moins à l’aise qu’avec les autres albums.

Il n’existe plus, même au musée des hydravions à Biscarosse ?

Rien même les hangars ont été détruits en 1956. Les hydravions ont été écrasés dans les hangars et tout a été rasé. Par contre, dans le musée ils ont reconstitué l’intérieur d’un Latécoère avec son mobilier.

Il y a un mélange de flash-back pour la narration, avec des choix de couleur, de mise en page, des gros plans d’avion pour les pages césures.

Oui, des césures dans le style vieille gravure ce qui fait respirer l’album. Jack y tenait. C’est graphiquement différent.

Vous avez embarqué Édith Piaf ou au moins un personnage féminin qui lui ressemble.

Tout à fait. Mais elle n’est pas la seule à être connue dans le Laté. Bernard Blier, Michel Simon, Noël Roquevert, Reggiani, Gabin, Charles Vanel, et d’autres, on s’est amusé avec ça. Manini est un fou de cinéma français des années 50.

Il y a bien un Latécoère qui a disparu en 1948 ?

C’était un vol d’Air France comme le nôtre au retour vers la France. Du coup l’exploitation s’est arrêté. En plus le coup d’exploitation était énorme. C’était politique, il fallait relancer l’industrie aéronautique française par tous les moyens. Le retard était très important. On a sorti un nombre énorme de prototypes après guerre. On a commencé à revenir sur le marché vraiment au début des années 50 avec l’Ouragan, le Mystère BD, le Vautour. Et enfin le Mirage III.

Un Latécoère, une diapositive qui existait déjà, que vont devenir les passagers ?

Là aussi on a voulu être un peu dans une destination paradisiaque exclusivement accessible évidemment par hydravion. Mais pourquoi ? Là encore on garde le suspense. Le Latécoère avait 6000 kilomètres d’autonomie, remarquable pour l’époque. Un bel avion mais pas fiable. Les essais en vol du Latécoère n’ont pas été une réussite.

L’hydravion a été une fausse piste économique comme celui énorme d’Howard Hugues.

 La Spruce Goose a volé une fois mais juste à 2 mètres de haut, c’était le minimum pour que Hugues soit remboursé de ses investissements. En hydravions, il y a eu le Short Sunderland anglais, le Catalina américain. Mais Jean Mermoz disparaît le 7 décembre 1936 à bord de l’hydravion quadrimoteur Latécoère 300. Encore un Latécoère. Dès qu’on a pu passer de ville à ville avec des avions fiables, l’hydravion a disparu. Cela a été une erreur industrielle et politique, en plus pour une simple liaison avec La Martinique.

Et après, quel projet futur avec Manini ?

Rien de définitif, on a des projets et peut-être je vais prendre une nouvelle année sabbatique. On va réfléchir car ce ne sont pas les idées qui manquent. Et par forcément avec des avions. Sur mes 13 albums je n’ai pas fait que de l’aéronautique. Je ne sais pas. On partage nos idées avec Jack.

Latécoère 631
Latécoère 631
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