Les Évasions perdues, comment transformer en collabos des prisonniers de guerre dans un Stalag

On pense inévitablement en lisant Les Évasions Perdues de Thomas Legrand et François Warzala (dessinateur de la mémorable Trilogie Berlinoise dont on aimerait avoir la suite) pour le dessin très ligne claire, précis dans le moindre détail au Prisonnier de guerre au Stalag II-B de Jacques Tardi. Même lieu, un Stalag, camp de prisonnier en Allemagne, mais très à part, différent, dédiés aux Aspirants français capturés en 1940 par les Allemands. Une précision importante, un Aspirant, grade militaire très français, se situe entre un sous-officier et un lieutenant. Un aspirant se prépare à être officier et les Allemands avec l’aide de Vichy créent le Stalag I-A pour rééduquer en quelque sorte le futur encadrement d’une armée qui se doit d’être collabo plein pot. Ce qui ne sera pas si évident et pour cause. Une histoire très largement inspirée à Thomas Legrand par celle de son père Marcel à qui il donne dans l’album le nom de Jacques Leboy. On y voit que tenter de s’évader, être repris peut être mortel pour un prisonnier de guerre tant le sadisme allemand s’est exercé accompagné d’un mépris et de l’aide honteuse d’officiers français aux ordres de Pétain leur idole. Une page d’Histoire totalement méconnue que celle de ce Stalag I-A.

Stablack, l'université de la collaboration Au cours d’une rencontre impromptue en 2006 près de Paris le nom de Gaubac rappelle de mauvais souvenirs au fils de Jacques Leboy. Quand il avait 19 ans il lui a raconté sa guerre. Calais 1939, Jacques Leboy rêve de Saint-Cyr, est très croyant. Il est sûr que la guerre est inévitable mais que la France la gagnera. 22 septembre 39, il est sous les drapeaux, devient Aspirant, futur officier, rapidement formé, affecté au 1er Régiment d’Infanterie Coloniale, commande comme lieutenant une section de Tirailleurs Algériens. Il se rend compte que ses officiers supérieurs en sont toujours au stade de la Grande Guerre face à une armée allemande moderne et bien équipée avec un matériel novateur. Stukas, panzers, il a 20 ans et se rend seul, dit à ses hommes de fuir sinon ils seront tous tués. Capturé c’est dans un train qu’il se retrouve avec d’autres prisonniers dont beaucoup qui ont fait 14 se sentent trahis pour rien. Un premier Stalag, le VI D, un camp de triage. Capitulation, échanges tendus entre propos antisémites, anti communistes. On apprend pourtant qu’il y a à Londres un général qui refuse la défaite, De Gaulle. Mais les Anglais n’ont pas la cote depuis Dunkerque. Tous les bruits courent. A Vichy, Scapini est nommé par Pétain ambassadeur chargé des prisonniers français, près de deux millions. C’est lui qui demande au Reich avec l’accord de Pétain de regrouper les Aspirants dans un même camp pour former les futurs cadres de l’armée européenne qui va naître de la victoire allemande. On va les mettre dans une section séparée du Stalag I-A très loin de la France pour éviter les évasions depuis la Prusse Orientale à plus de 1500 kilomètres de la France.

Les Évasions perdues

On va voir très vite que ce n’est pas ça qui va rebuter les Aspirants dont Jacques Leboy qui vont tenter plusieurs fois de s’évader. Il y aura aussi la vie au quotidien, les colis, les copains, les amitié et bien sûr les évasions payées au prix cher. Et les discussions Gaullistes et Pétainistes, les trahisons, rien ne sera épargné à ces hommes pendant près de cinq ans loin des leurs. Les souvenirs de Leboy-Legrand sont une somme incomparable qui prend aux tripes. Un général, Didelet, va encadrer les Aspirants pour leur inculquer les idées de Vichy et en 1945 se suicidera. Il faut bien lire les dialogues car on assiste à une tentative de rééducation politique, humaine déjà digne d’un Mao et bien sûr des nazis. Il y a une vraie émotion dans ces pages nécessaires et Thomas Legrand peut être fier de son père. Un cahier d’archives familiales boucle l’album. Warzala a parfaitement retranscrit avec un réalisme total cette douloureuse épreuve.

Les Évasions perdues, Stablack, l’université de la collaboration, Éditions Rue de Sèvres, 22 €

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