Gwen de Bonneval, à qui l’ont doit Dernier Atlas et de Messire Guillaume, avec Vehlmann et Bonhomme a décidé de se livrer, à cœur ouvert, parler de lui et finalement aussi de nous. Philiations en deux tomes dont le premier vient de sortir chez Dupuis est une introspection sans filet, sincère et à la lumière du monde dans lequel on vit si ce n’est survit. Pas rose l’état des lieux mais il y a de l’humour, de l’émotion et des angoisses. Donc De Bonneval nous ressemble et s’en est expliqué avec Ligne Claire au dernier Festival du Livre à Paris. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Gwen de Bonneval, pourquoi cette autobiographie ? Un état des lieux très personnel ces Philiations en deux tomes ?
Il y a eu un moment où j’ai ressenti le besoin de faire le tour des fils de vie qui m’entouraient dont le mien. Il y a un rapport avec l’état du monde, comment on en était arrivé là collectivement et individuellement comme moi sans se rendre compte sur le plan écologique que c’était dramatique. Alors que je suivais ce problème depuis longtemps. C’est grave, plus que je l’imaginais.
Pourquoi a-t-on laissé les choses aller ?
Parce qu’on n’a pas voulu s’en rendre compte. Pourquoi habite-t-on le monde de cette façon sans âgir ? Pour aller au bout de la démarche, ce livre est une incitation à réfléchir sur notre identité et notre existence de cette façon. Un aller retour avec un dialogue entre mon histoire personnelle et collective.
Un chemin on le voit pas simple ni facile. Votre enfance, vos parents, votre vie.
Pas mal d’expériences chaotiques, des traumas.
Le livre est une sorte d’exorcisme ?
En partie. Je regarde les choses en fac, celles qui ont bâti l’humain que je suis aujourd’hui. Souvent on le fait par la psychanalyse. Moi aussi je l’ai fait mais ce n’était pas suffisant. Il fallait créer du lien avec les autres, une invitation partagée à cette réflexion. Avec cette démarche personnelle, autobiographique, je me jette à l’eau, je me livre.
C’est un détonateur qui permettrait d’associer les lecteurs à une démarche de réflexion commune ? Dur et difficile en fait.
C’est éprouvant mais il se trouve que cela met du sens. Raconter aide au récit de soi-même. Il faut aller vers autrui, créer du lien. Je n’épargne pas grand-chose de ce que j’ai vécu et c’est aussi ouvert sur la vie des autres.
Vous avec signé un bon travail graphique, intéressant, clair en lecture.
C’était complexe donc il fallait que je trouve des astuces effectivement pour attirer le lecteur.
Ensuite il y a aussi le poids de la filiation, votre grand-père le colonel De Bonneval aide de camp du général de Gaulle.
Il y a eu pendant 20 ans le poids de sa déportation, de la Résistance, de sa survie, des confidences de De Gaulle. Mais cela nous construit, fait partie de l’histoire familiale. Je voulais le raconter avec un rapport à la résistance de l’époque face au nazisme et me demander ce qu’est-ce que résister aujourd’hui.
Ce n’était pas la même chose.
Oui bien sûr, pourtant il faut résister aussi, proposer pour habiter, vivre le monde autrement. Eux ils ont résisté parce que la culture familiale les y ont poussé face à des forces humaines terrifiantes. Il nous nous arrive aujourd’hui des choses graves avec par exemple le climat. Atténuer, changer de direction, comment peut-on faire.
Nos générations s’en sont désintéressés. Il n’y a pas eu d’alertes ?
Si il y en a eu comme celles de René Dumont qui n’a pas été entendues en son temps. Il était minoritaire mais avait raison. J’interroge sur notre façon d’exister pour mettre sur la table la culture dans laquelle on baigne. On a pensé que tout ça passerait facilement, que ce n’était pas grave la pollution ou le réchauffement. Dumont un fantaisiste, et bien non. Il avait raison.
On est coupable alors ?
On n’a pas réagit. Car notre culture en général était dans le dénis. Les humains suivent la grille de lecture la plus partagé, la plus siplme. Le réel nous a rattrapé. On a dit que ce n’était pas vraiment grave, qu’on allait trouver des solutions technologiques. Faux, on reproduit les mêmes erreurs. On ne plus nier par contre aujourd’hui que la situation est grave.
Vous avez aussi introduit dans le récit votre contexte familial, mère, sœur. Compliqués comme rapports.
Oui. C’est un tout qui semble en fait ne pas avoir de liens. Le parcours individuel et collectif se répondent en fait. Dans ma vie j’ai pu me saisir de certains sujets par rapport à mon parcours. Avec ma propre sensibilité, j’ai trouvé le lien.
Pas vraiment rigolo quand même.
Non mais j’essaye de mettre de l’humour, que ce ne soit pas sans issue. Je ne juge pas et je regarde les choses en face. Dans une démarche la plus honnête possible en sachant qu’on a tous dévié. J’ai voulu être complet si possible et lisible. Je fais confiance au lecteur dans sa réception de ce que je propose.
C’est très intimiste.
Oui mais dans mes œuvres plus grand public il y a avait toujours ce fond mais à travers le prisme d’un certain genre de BD et quelques facettes de moi. Là je réunis tout en bloc. J’ai encore beaucoup de choses à raconter dans le tome 2. Je rebondis et trouve encore des éléments clés en résonance avec l’état du monde actuel.
Comment êtes-vous rentré en BD ?
Je dessinais jeune. Dès 12 ans j’ai voulu faire de la BD. J’allais dans des salons rencontrer des auteurs. J’étais à Lyon puis suis allé à Paris. J’ai monté une société de communication par la BD. J’étais très déterminé. Je voulais vivre du dessin et du scénario. J’ai eu au départ beaucoup de commandes pour des jeux, la pub. Mon père lisait de la BD dont il y avait un lien au départ malgré nos relations conflictuelles.
Votre vie est effectivement marquée toutes ces relations familiales parfois violentes.
Mais je m’en suis sorti. Mon père pensait que j’étais fragile, non en fait je suis sensible ce qui n’empêche pas d’être fort. Il y a des choses éprouvantes mais un enfant n’a pas d’autres point de comparaison que ses parents. Il y a des lecteurs émus parce que ça les ramène à leur propre vie. Il a fallut murir le projet, des sujets différents. Pour que ce soit facile à lire il fallait un temps de maturation pour la cohérence du récit. J’ai mis plusieurs années à la trouve, prendre des notes, les entretiens avec la famille, rassembler des photos.
Comment votre famille a ressenti le livre ?
Ils ne savaient pas précisément ce que j’allais faire. J’en ai parlé surtout à ma sœur pour recouper nos souvenirs. J’en ai de très anciens vrais ou de plus récents recrées.
On dévide la pelote.
Oui mais il fallait du temps pour savoir ce qui était vraiment un récit vrai ou pas dans ces fils narratifs.
Vous remettez les choses en place, avec parfois de la tristesse. de la sensibilité et beaucoup d’émotion.
Cela va dans le sens des retours lecteurs, ce qu’ils ont ressenti et éprouvé dans leur propre vie. Je n’ai pas mis trop de pathos, je raconte seulement.
Sans tomber dans la caricature, dans le fait brut.
C’est ça. Sans exagérer. Ma sœur m’a dit que c’était plus doux que notre réel. Je n’enfonce personne, ni ma mère. Je raconte sans cacher aussi ses bons côtés. Tout cohabite dans la complexité du monde.
Il y a les rapports avec Philémon votre fils.
La filiation, la sensibilité, il va avoir 10 ans. Une génération différente avec une couleur autre. Le récit familial est notre vie. J’essaye d’être généreux dans la façon dont je me livre.
Le prochain tome ? Et en parallèle ?
Pas avant deux ans pour la parution du tome 2, il y a beaucoup de matière. Donc rien d’autre aujourd’hui hormis quelques projets que j’écris pour les murir afin de pouvoir enchaîner sans temps morts. C’est vital. En BD aujourd’hui on a la prime au sujet, à la thématique mais il faut juger ensuite la qualité du livre. En abordant des sujets qui étaient tabous autrefois. Je reste un lecteur de BD. J’ai retrouvé mon plaisir d’autrefois, si ce n’est que lire les bouquins de mes copains. Je ne m’interdis rien personnellement ensuite. J’ai des envies, en conservant une grande liberté.
Philiations, Tome 1, Éditions Dupuis Aire Libre, 26 €
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