Deloupy signe avec la journaliste Salomé Parent-Rachdi un album passionnant, vrai, authentique, Amour, sexe et Terre promise publié chez Les Arènes BD. Des histoires de couples mixtes sur fond de conflit israélo-palestinien. Commencé en 2018 cette enquête sur le terrain a été rejointe par les massacres commis par les terroristes du Hamas au sein de la population du sud d’Israël en octobre 23. Puis par la riposte inévitable d’Israël sur Gaza créant désormais une situation encore plus inextricable. Seize témoins, arabes, juifs, palestiniens ou israéliens qui se livrent sur leur vie de couple, amoureuse ou sexuelle, le poids des religions et du séparatisme. Deloupy rencontré au Festival BD de Sainte-Enimie est revenu sur la conception même de l’album dans des circonstances d’exception. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Deloupy, Amour, sexe et Terre promise, votre album est venu se raccrocher à l’actualité.
Au départ ce n’était pas le projet. Le but de la journaliste Salomé Parent-Rachdi était de parler des gens, sortir des chiffres. Je suis parti avec elle sur place deux ans à Ramallah, à Jérusalem. Elle était correspondante. Je rends donc une partie des planches le 6 octobre 2023 et le 7 on est percuté par l’actualité. Il nous faut réfléchir à ce qu’on va faire. L’album doit sortir six mois après, c’est très compliqué mais ce qui nous maintient c’est que tous ceux qui l’on lu nous disent de le sortir alors que nous on doute. On a l’idée des trois pages de départ et de fin. On ne touche pas à ce que les gens nous ont dit. C’est le risque de faire ce genre d’album.
Ce n’est pas neutre d’autant que les évènements d’octobre étaient exceptionnels, inédits. Comment se sont constituées ces rencontres avec ces couples mixtes israélo-palestinien ?
C’est le hasard du travail de Salomé. Comme journaliste il y a eu la question du couple, de la sexualité, des rapports avec les religions. J’ai montré comment le couple peut s’immiscer dans la vie quotidienne. Salomé voulait parler du conflit mais hors de la sphère habituelle géopolitique.
Un conflit par rapport à octobre ou dans sa généralité depuis 1948 ?
Non, montrer comment le pays est fractionné géographiquement, hiérarchiquement. On aurait aimé rencontrer des Israéliennes qui ont épousé des Palestiniens. Il y en a forcément et qui vivent en Cisjordanie.
Vous avez senti une violence latente, un malaise permanent ou une sorte de vie qui continue ?
Quand on y était je pense que c’est un pays violent, je suis sensible à ça. Des gens en arme. Je me pose toujours la question quand je voyage si je vivrai là. Tel Aviv c’est Barcelone mais je ne vivrai pas à Jérusalem. C’est une société dure.
Il n’y a pas de demi-mesure.
Dans la BD on a des gens qui avaient envie que tout s’arrange. Plus vraiment après octobre 2023.
Ce qui n’a pas été un hasard afin aussi de créer un point de non-retour par le Hamas avec Gaza envahi, bombardé.
Rien à faire ni des victimes que ce soit d’un côté comme de l’autre. Un choix délibéré du Hamas. La réaction israélienne pouvait se prévoir. Mais il est impossible d’occuper Gaza. On a eu de très bons retours sur l’idée de l’album dans de nombreuses couches du Monde à Quotidien. C’est positif ces histoires d’amour. Il y a un mélange quoiqu’on fasse sans savoir ce que sera demain. Quand je suis rentré j’avais encore moins d’avis avec la séparation forcée des deux communautés. Trop de monde et une armée impuissante pour expulser les colonies.
Donc pas de solution ?
C’est une annexion les colonies pure et simple par en plus des Juifs ultra-orthodoxes. C’est ingérable. On a eu des retours intéressants de Palestiniens ou d’Israéliens, des liens que l’on n’avait pas perçus de suite comme deux couples qui veulent avoir des enfants. Il y a des oppositions, une reconnaissance dans le parcours de l’autre même s’il est dans l’autre camp.
Vous voyez une issue possible avec Salomé ?
Impossible à dire. Le 7 octobre et après elle était persuadée que jamais Israël n’entrerait dans Gaza. Ils l’ont fait. On ne peut pas se prononcer.
Est-ce qu’il n’y a pas non plus le poids d’un gouvernement israélien d’ultra-droite ? Même si la réaction était inévitable plus désormais le Sud Liban ?
Il y a deux fronts avec une armée écartelée sur tout le territoire. On est dans un moment où il n’y aura pas de retour en arrière, un état palestinien en Cisjordanie. L’autorité palestinienne est inexistante, le Hamas infréquentable donc ce sera à Israël de trouver une solution. Israël est un état créé pour protéger les Juifs et là il a été attaqué à l’intérieur, ce n’est plus le refuge. Où aller ? Je pense qu’il y a des Juifs qui préfèrent maintenant rester en Europe. En Israël on a intégré les attentats. Quand à Jérusalem une femme soldat me voit dessiner, je lève la tête. Elle vient s’asseoir et j’entends le bruit métallique de son fusil d’assaut contre le banc quand elle le pose. Elle était très sympa mais cela fait curieux. On a parlé BD.
Comment vous avez travaillé avec Salomé ? Sur un scénario complet ?
Non je travaille sur le dialogue pour l’amener dans un langage de BD, ce qui m’intéresse c’est la mise en scène. Elle me donne quelques indications scéniques et le texte. J’interviens souvent pour que tout soit digeste pour celui qui connait ou pas la situation. J’ai découvert les témoignages au fur et mesure. Sur place on a échangé sur nos façons de travailler. Partout il y a une séparation physique et l’autre est une sorte de fantasme. Pour le Palestinien tout juif est un colon ce qui est faux, pour l’Israélien tout Palestinien est un terroriste. Beaucoup nous ont dit vouloir sortir de cette situation et puis il y a eu octobre.
Prochaine escapade ?
Je rentre de Goma au Congo, je suis resté trois semaines. Cette fois la journaliste c’est Isabelle Collombat pour un projet avec Futuropolis, une première pour mois. C’était son premier poste Goma et elle couvre le génocide rwandais pour son premier poste. Il y a l’expérience d’Isabelle il y a 30 ans et la situation actuelle.
Amour, sexe et Terre promise, Éditions Les Arènes BD, 24 €
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