Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013 pour Au-revoir là haut, adapté au cinéma puis en BD par De Metter, a aussi son roman, Trois jours et une vie, en cours de tournage. Mais Lemaitre, c’est peut-être d’abord l’auteur d’une tétralogie pas banale, celle dont le héros est un flic de petite taille, le commissaire Verhoeven. Des polars atypiques, écrit avec un talent d’écriture déjà brillant par Lemaitre qui nous plonge dans des univers sombres, glauques mais où l’espoir tente de surnager. Il fallait bien que Verhoeven devienne un héros de papier. C’est fait chez Rue de Sèvres depuis le tome 1, Brigade Verhoeven, Rosie. Le tome 2 sortira courant 2019. Au scénario Pascal Bertho. Au dessin, après L’Assassin qu’elle mérite, Yannick Corboz que ligneclaire.info a rencontré. Une vision très personnelle et intelligente de la BD utile. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Créer en BD le personnage de Pierre Lemaitre, l’atypique commissaire Verhoeven, c’était compliqué, Yannick Corboz, pour un dessinateur ?
Non, pas vraiment. C’est un peu de travail. J’avais lu les quatre romans avant de commencer. Et j’ai échangé avec le scénariste, Bertho. Avec l’éditeur aussi, car c’est un travail de commande. Rue de Sèvres a racheté les droits des Lemaitre. Quand ils ont lu les polars, ils ont flashé. On dit de suite que le commissaire mesure 1m45, il voit la vie d’un peu plus bas que la moyenne, ce qui va guider l’intrigue. Cela va nous guider mais cela fait partie des grandes lignes. Une fois qu’on les a, le reste ce sont des détails. Il fallait que je trouve des éléments reconnaissables comme le fait qu’il soit chauve.
Ce sont des romans très noirs. Finalement, il ne lui arrive que des trucs d’enfer. Vous lui donnez plus de bonheur au moins visuellement.
On a choisi de commencer par le roman le moins noir des quatre, Rosie. On peut décrire les personnages de ce que Lemaitre appelle la tétralogie Verhoeven. C’est le plus léger, l’intrigue sombre est burlesque. Ensuite on va enchainer avec les romans beaucoup plus durs.
Pour les avoir lus avant son Goncourt Au Revoir là-haut, ce sont des polars qui tiennent à bras le corps le lecteur. Il souffre en permanence ce commissaire. Dans le premier, c’est plus soft ?
C’est ça. On a un poseur de bombe et c’est d’actualité indirecte. On en parle avec détachement. Le prochain, Travail soigné, s’appellera en BD, Irène, et je suis dessus. C’est très intéressant car toutes les intrigues tournent autour de femmes. Irène, c’est l’épouse de Verhoeven. On est dans du noir pur et dur. L’album sortira pour le salon du Livre de Paris en 2019.
Votre façon de travailler, la technique, c’est en traditionnel ?
Traditionnel sur ordi mon outil. Mais la méthode est traditionnelle. Pas de planche papier. Pour L’Assassin, c’était vraiment du classique, au crayon. Je fais le story-board sur un carnet, je scanne et je fais tout ensuite sur ordi. Crayonné, encrage et couleur par un pro.
Vos relations avec le scénariste, Bertho ? C’est un travail de commande vous l’avez dit.
Oui, Rue de Sèvres est venu me chercher. Pas le scénariste. J’ai lu le scénario qui m’a plu. Bonne adaptation. Je connaissais mal le travail de Bertho. J’ai trouvé que le ton était juste avec un bon découpage. Il a une manière de travailler qui ressemble à celle des scénaristes avec lesquels j’avais travaillé. Je me suis facilement dans le bain. Rue de Sèvres avait été charmé par L’Assassin qu’elle mérite. Ils voulaient un ton similaire. Il y a beaucoup de travail de recherche dans Verhoeven. Mais je n’ai pas forcé le style.
On parlait de difficulté mais vous avez réussi à faire vivre Verhoeven de façon très humaine. Il va vers les autres. Le dessin joue beaucoup.
Vous trouvez ? Je ne le voyais pas vraiment comme ça. Mon point de vue est que c’est un personnage sympa. Il est colérique et ne va pas vers les autres pour moi. Lemaitre nous a dit que lui non plus ne le voyait pas comme je l’avais dessiné mais que ce n’était pas plus mal. C’est un introverti et à l’aise qu’avec son entourage propre. C’est un flic de la criminelle, un peu romantique, dans l’action. Un policier m’a dit que ce n’était pas réaliste car ils passaient dans la vraie vie la plupart de leur temps à faire des rapports. Lemaitre n’a jamais voulu être un écrivain réaliste. Il est dans l’émotion, ce qui est important en BD. On est sur l’ambiance, la mise en scène mais pas sur le détail à la Holmes. Ce qu’on raconte dans l’histoire est ce qui pourrait nous arriver tous les jours, dans ce cas les rapports entre la mère et le fils.
Il y des personnages secondaires qui sont un peu les faire-valoir, Armand, Louis. Il y a un côté trois mousquetaires.
On lit Lemaitre comme on lit Dumas. Il y a de la légèreté. Celle du feuilleton et il le revendique. Dumas, c’est facile à lire. On se retrouve dans ses personnages. Les dessiner m’a semblé naturel. On en donne une vision. Travailler, pour moi, sur ce genre d’adaptation est enrichissant.
Vous ne travaillez que sur cette série ?
J’ai plusieurs projets arrêtés dont un livre Jeunesse chez Delcourt pour des raisons éditoriales. Mais j’en ai d’autres.
Vous avez des propositions toujours dans la même ligne ? Du polar ?
Non. Justement, j’essaye de varier. Verhoeven n’a rien à voir avec l’Assassin. Le projet Jeunesse BD était médiéval. Je n’ai rien de signé mais j’ai aussi du fantastique en vue.
C’est un style qui vous tente ? Vous aimez tous les styles ?
Je ne cherche pas un style en particulier. Je cherche des contenus. J’ai travaillé avec Lupano qui a mis au point une façon de communiquer en BD pour des ONG. On raconte quelque chose comme dans les 8 planches que j’ai faites pour une maison de retraite.
La BD doit être utile ?
Oui. Que ça serve à quelque chose, engagée. Comme Frank Giroud, politiquement. La BD doit aller dans ce sens.
Une BD de combat ?
Pas que. S’exprimer et agir. Je peux vivre de la BD ? Alors qu’elle serve. L’Assassin est une critique de la société.
On peut faire de la politique, historique et divertir ?
Oui, Zola, Hugo. On peut interpeller les lecteurs.
Il faut savoir maitriser.
C’est une prétention mais j’aimerais aller dans ce sens. Les retours pour Verhoeven sont très positifs, éditeur, presse. Côté lecteurs, c’est mitigé. Ils ont été désorientés car ils s’attendaient à un album dans la lignée de L’Assassin, un univers à la Lautrec.
Vous avez un investissement fort dans vos albums, avec un impact du trait.
J’y passe du temps mais ce n’est pas une obsession.
Le visage de Verhoeven va séduire car intelligent et affectueux, c’est ce que j’en ai dit dans une chronique.
Oui, c’est vrai. Je cherche graphiquement la simplicité. Je suis influencé par une BD de mise en scène, d’ellipse. Sur le tome 2, je suis beaucoup intervenu sur le scénario. Des aller-retours. Le scénariste n’est pas dessinateur. J’essaye de visualiser avec le story-board. Le premier, ce sont des détails. Il faut suggérer. C’est plus fort. A la Hitchcock. Il y a plus d’impact pour le lecteur. L’émotion prime. On peut ensuite choquer, faire peur par le dessin mais en surprenant. Je tends vers ça. Franquin savait surprendre. Avec entre autres son humour noir. C’est un sujet qui m’est cher. Il faut se mettre parfois dans la peau de quelqu’un qu’on déteste, comme dans L’Assassin.
Articles similaires