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Interview : Yann et la Grande Zohra le souvenir des Trentes Glorieuses et de la guerre d’Algérie

Il y a eu une guerre en Algérie, où il y avait des départements français. Alger, Oran, Béchar, Constantine, la colonisation datait de 1830. En 1954 éclate les événements une guerre qui ne dit pas son nom. On envoie les appelés du contingent et des régiments de professionnels paras et Légion qui n’ont pas oublié l’Indochine, l’abandon par la métropole. De Gaulle revenu au pouvoir paradoxalement en 1958 avec l’aide de la population et de l’armée en Algérie persuadée qu’il ne les abandonnera pas, est au contraire bien décidé à en finir. Avec Tuez la grande Zohra (surnom donné par l’Organisation de l’armée secrète à De Gaulle) Yann a raconté en deux albums chez Paquet cette guerre qui avait marqué son enfance mais aussi à travers elle les années qui ont suivi. Son héroïne, Martine Goupil, petite fille défigurée par une bombe à Paris posée par l’OAS est inspirée de Delphine Renard, vraie victime dont la photo avait fait la Une de Match en 1962. Elle habitait le même immeuble que Malraux visé par l’OAS. Yann sur le dessin de Jérôme Phalippou (Le Merlu) a su remarquablement restituer l’époque, celle des Trente Glorieuses. Yann pour Ligne Claire a répondu sur les raisons qui l’ont amenées à cette Grande Zohra (parution le 29 mai 2024 pour le tome 1) qui a eu la « baraka », on le verra. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Yann. Rita Scaglia / Dargaud ©

Yann, quand j’ai lu votre album cela m’a rappelé des souvenirs d’enfant. J’avais été très marqué par le visage ensanglanté de la petite fille Delphine Renard dans Match. Elle avait été défigurée par une bombe de l’OAS en 1962.

Moi aussi je m’en souviens. Mon père était abonné à Match. Il y a un tas de photos qui à elles seules ont plus de poids qu’un convoi de soldats en déroute. Celle d’un Vietcong abattu par le chef de la police à Saïgon pendant l’offensive du Têt a été une des causes plus tard de la fin de la guerre du Vietnam. Comme la photo de CAPA du Républicain espagnol tué en chargeant sous ses yeux. On l’a vue partout.

C’était une époque où comme le disait Match le choc des photos s’ajoutait au poids des mots. Il y avait aussi Cinq Colonnes à la Une pour la TV, émission jamais égalée de grands reportages. Vous en parlez. Votre album est la chronique d’une époque ?

Tout à fait. Un prétexte pour parler de ces Trente Glorieuses dont on ne cesse de nous rabattre les oreilles. Le bonheur mais à 20 ans en 1960 on partait trois ans en Algérie, avec ces attentats en plein Paris comme celui de la petite Delphine. Mon père était capitaine sur un cargo et tous les jours j’entendais parler de choses horribles. En plus les cargos étaient un moyen dans les deux camps de se ravitailler, de voyager incognito, barbouzes ou FLN. Très ambigu. Ma jeunesse c’est la guerre d’Algérie.

Oui moi aussi avec un père militaire de 1954 à 62. C’était la guerre ou les évènements, terme hypocrite.

Mon père a aussi transporté des munitions en 1956 pendant la campagne de Suez.

Votre héroïne, Martine Goupil, est une synthèse de plusieurs enfants blessés.

Oui. Je cherchais à être objectif, à ne pas prendre partie tout en montrant les justifications des uns et des autres. Les attentats qui défigurent des enfants à Alger ou à Paris. La mort, tout le monde à des raisons mais aujourd’hui on est taxé de facho si on en parle. Il faut se taire, ce n’est pas woke. Je ne supporte pas.

Il y a un personnage dur, celui de Djamila une Algérienne qui pose des bombes dans Alger et s’exprime sans regret plus tard dans une émission.

Cela a été filmé et on la voit prise à partie par une gamine devenue adulte qui avait été mutilée. Froide, glaciale, elle a été arrêté et a sauvé sa vie car elle faisait partie de la haute hiérarchie du FLN. Donc on préférait éventuellement l’échanger.

Sa prise de position est très dure. Tout ça fait partie de la documentation rassemblée ?

Oui, j’ai ramassé, lu les bouquins, ça se recoupe souvent. Je voulais faire une tragi-comédie avec les Pieds-Nickelés qui ont fait souvent des attentats foireux, certains membres de l’OAS qui ont aussi cela dit tué. Ils cherchent un moyen d’assassiner De Gaulle et envisagent d’empoisonner des hosties pour la messe. C’est vrai en plus. On respecte des motivations. 30 ans que je gardais tout sur l’OAS.

Vous pensez que c’est toujours ancré dans la mémoire collective la fin de la guerre d’Algérie en 1962, le putsch, l’OAS ?

Pas du tout. Personne n’est au courant où les gens ont une vision niaise. On parle des jeunes qui ont perdu leur temps dans les Aurès sans savoir ce que c’est. Pas plus. Moi ça m’a marqué. Je suis allé à Mostaganem où j’ai de bons souvenirs avec de petits Arabes en 1963 ou 64. On allait à la pèche. Pour moi tout le monde était pied-noir. On se baladait beaucoup à Oran ou Alger puis à Marseille ensuite où j’ai vécu, les pieds-noirs étaient très nombreux. Cet album me tenait à cœur. Il n’y a rien de personnel mais j’ai récréé l’époque. On allait voit la télé chez les voisins. Les Cinq dernières minutes avec Raymond Soupleix inoubliable commissaire Bourrel.

Vous glissez aussi la chanson de Piaf, Je ne regrette rien chantée par les paras du 1er REP putschistes quand ils se rendent. Vous parlez d’Hélie de Saint-Marc qui était le patron du régiment qui sera condamné.

Je voulais le mettre en scène mais je buttais. On serait tombé dans l’apologie. Je me suis souvenu de Delphine, la petite fille et j’ai découvert une interview d’elle vingt après devenue aveugle. Je me suis dit que j’avais le point de comparaison. La victime et son point de vue.

Il y a plein de détails comme Saturnin le canard, un héros à la TV pour les enfants, Nounours, les chansons de Salvador, Zorro est arrivé, les scoubidous.

Oui, tout cela a fait partie de notre enfance. Moi j’étais amoureux de ma tante, une « vieille » de 26 ans en pantalon corsaire. Elle m’offrait un Spirou, un album chaque année. Mon père détestait la BD mais il ne disait rien parce que c’était sa sœur.

Le dessinateur a bien réussi à vous suivre.

Je m’adapte au dessinateur. J’ai forcé le trait de mon scénario. Mais je colle à son graphisme sans le forcer. Jérôme Phalippou était enthousiasmé par l’histoire ce qui est déjà un bon point de départ. Il a fait du bon boulot mais il a un trait assez humoristique dont j’ai accentué par moments ce côté. Pour que cela colle comme le type qui regarde Bonne nuit les petits, création on le sait peu d’Yvonne De Gaulle, au départ aussi par Yvonne et Michel Debré pour exalter les vertus familiales, la politesse.

On a dû ingérer les messages enfant. De toute façon on n’avait que ça.

Oui, aujourd’hui les enfants sont submergés. Ce qui m’a marqué c’était les Rois Maudits, Belphégor qui faisait peur. Les Raisins verts d’Averty avec un bébé à la moulinette, mes parents étaient scandalisés. Salvador avait fait des clips avec Averty d’une dérision totale comme son Zorro à mourir de rire.

Le second tome sort quand ? Et pourquoi ce surnom La Grande Zohra pour De Gaulle ?

On a fait une trentaine de planches donc cela ira vite. La Grande Zohra aurait été inventé par Georges Watin de l’OAS surnommé lui même La Boiteuse, un colosse qui a raté De Gaulle au Petit-Clamart. Quand on cherche l’origine cela remonte toujours à Watin qui dans l’album est Chenal, le Monocle.

Vous êtes publié par Paquet.

Oui c’est de l’Histoire. J’ai un projet plus aéronautique mais chez Dupuis-Zéphyr sur le Rhinocéros, un gros porteur allemand bourré de blindage le He 219 et son pilote avec Julien Camp. C’est une histoire qui traite plus de tableaux mais sur le front de l’Est en deux tomes. Un très bon dessinateur d’avions Camp. J’ai d’autres projets mais mon problème est de toujours trouver la bonne adéquation avec le dessinateur qui doit être motivé. Tout le monde n’est pas Berthet avec un dessin minimaliste ligne claire qui arrive au superbe. On a la trilogie de XIII avec Taduc sur Jones.

La Grande Zohra vous y pensiez depuis quand ?

Dix ans quand j’ai lu l’interview de la jeune femme, Delphine Renard, qui protestait contre des hommages à l’OAS. On est passé de condamnations à mort, Degueldre fusillé, à des amnisties après 1968 pour les généraux Challe, Zeller ou Salan négociées par De Gaulle avec Massu à Baden-Baden. L’album de Boucq, un Général des généraux raconte superbement le putsch sur un scénario de Nicolas Juncker. Il est sorti à un moment où on m’a arrêté des séries que j’aimais sans raison valable. Un Général m’a remis en phase avec la BD comme Quai d’Orsay. Le film de Tavernier qui en a été tiré est bien fait.

Comment vivez-vous, vous un scénariste leader, manga et BD franco-belge, le manga en tête des ventes ?

J’ai vu ça avec mes enfants. Au lycée ils avaient le manga comme nous Spirou. Je lisais en douce chez moi les minis récits avec la lampe de poche. Je râlais mais ils m’ont fait lire des mangas que j’ai adoré. Je suis un fan. Il y a le pire et le meilleur. Le chef d’œuvre c’est Bakuman chez Kana, deux jeunes qui veulent devenir mangakas. Tout est transposable en franco-belge.

Pas de suite pour le moment avec Romain Hugault ?

Il travaille avec un scénariste et on verra ensuite. Il fait un album sur le Tomcat. Travailler avec Romain c’est travailler avec une Rolls.

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