L’entreprise n’était pas sans risques. Adapter en manga la vie de Pline l’ancien, éminent auteur tout terrain de la Rome antique, généralement connu du public français pour ses textes que les latinistes (il en reste encore) ont traduit ou, au mieux, comme auteur d’une Histoire naturelle détrônée par Buffon, cela relève du tour de force. Pline n’est pas César ou Cicéron. Et pourtant, Mari Yamazaki et Tori Miki l’ont fait, fort du succès de leur Thermae Romae, merveille balnéaire spatio-temporelle entre le Japon moderne et la Rome de l’empire. Certes, on dira que Thermae jouait sur nostalgie, humour, bains chauds et amourettes impossibles mais, hormis le succès planétaire du manga, il y avait déjà chez les deux auteurs une passion, un sérieux, un travail de recherche qui pouvait conduire assez logiquement à Pline l’ancien, à ne pas confondre avec Pline le jeune, neveu adoptif du précédent et tout autant lettré que lui.
Tout commence par la fin, celle de Pline qui va périr près de Pompéi dans l’éruption du Vésuve. Ce qui permet de constater que Pline était un stoïcien, un curieux que n’effrayait pas la mort. Les volcans vont accompagner Pline au cours de sa vie. L’Etna en Sicile lui permet d’embaucher un jeune scribe, Euclés qui le suivra fidèlement. Il y aura ensuite Néron qui s’est remarié avec Poppée et commence à voir des renards un peu partout. Il va exiger que Pline le rejoigne à Rome et parte de Sicile. Pline obéit mais prend son temps aussi bien pour montrer à Néron son indépendance que par curiosité de ce qu’il découvre au fil des étapes. Tremblements de terre, raz de marée, Pline note et interroge, veut comprendre, éternel passionné. Néron a fait tuer sa propre mère. Sa femme Octavie est morte. Poppée veut devenir impératrice. Pline et Euclès arrivent à Rome, une Rome dangereuse, bouillon de cultures diverses à l’architecture qui se modernise.
Pline l’ancien est le fil conducteur de ce manga qui en profite pour explorer de près la Rome antique. Quand on se penche sur Pline, écrire, témoigner, apprendre est sa raison de vivre. Il le fait bien, avec génie, et rien ne montre que Néron ait joué un rôle particulier dans son destin. Même si pour des raisons romanesques l’empereur musicien est partie prenante du scénario au moins dans les deux premiers volumes de ce manga. Une façon particulière de mettre l’action en route que la vie de Pline à elle seule n’aurait peut-être pas suffit à lancer. Néron est un psychopathe. Pline est totalement dans son Histoire Naturelle dont les 37 volumes sont la seule trace parvenue de son œuvre à nos jours. Un humaniste avant l’heure, un philosophe du siècle des lumières, Pline méritait de devenir un héros de manga. D’autant que Mari Yamazaki et Tori Miki ont avec réserve, objectivité et une reconstitution pointilleuse de son siècle, rendu à Pline ce qui lui appartenait. On prend un vrai plaisir à tourner les pages (dans le sens de lecture japonais) de ce manga intelligent qui séduit et permet aussi de découvrir ou redécouvrir l’un des plus mythiques personnages de Rome.
Pline, T1 L’Appel de Néron, Casterman, 8,45 €
Pline, T2 Les Rues de Rome, Casterman, 8,45 €