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D’Ulysse 1781 à Undertaker, Xavier Dorison a des héros qui cachent leurs blessures

Xavier Dorison a ancré aux États-Unis les sujets de ses deux derniers titres. Dans Ulysse 1781 (Delcourt), le héros d’Homère, échappé de l’Odyssée, tente de rentrer chez lui à la fin de la guerre d’Indépendance américaine. Dans Undertaker (Dargaud), Jonas Crow le fossoyeur ballade son corbillard dans un western hors normes. Eric Hérenguel a rejoint Dorison au dessin de Ulysse 1781. Pour Undertaker, Ralph Meyer, après Asgard, a pris la piste de l’Ouest avec Xavier Dorison. Cet article a paru aussi dans le dernier numéro du mensuel ZOO.

Xavier Dorison à Montpellier pour la Comédie du Livre. JLT ®

Xavier Dorison a des idées, beaucoup, la passion, la volonté chevillée au corps et des souvenirs d’enfance. « Ulysse 1781, c’est le mélange d’une envie de gosse. Le dessin animé Ulysse 31 m’avait marqué. Je voulais aussi me confronter à la dramaturgie du voyage d’Ulysse avec l’épisode du combat contre le Cyclope écrit par Homère. Ulysse m’a toujours fait rêver ». D’où passage à l’acte et cette adaptation que Dorison signe sur le bien connu et mouvementé retour d’Ulysse vers son Île d’Ithaque après la guerre de Troie. On est loin du traditionnel péplum en toge et galère. Xavier Dorison a préféré placer son récit dans un univers plus réaliste autorisant une bonne dose de fantastique. « Cela permet d’y croire. La fin de la guerre d’Indépendance remplace celle de Troie. Ulysse McHendricks s’ennuie. Il boxe contre un certain Achille qui a une faiblesse très localisée », précise en souriant Dorison. « Ulysse est rejoint par son fils, Mack qui lui apprend que sa femme Pen est en danger. Les troupes anglaises ont envahi ses terres et l’ont prise en otage. Une occasion pour Ulysse pour qui une guerre doit en chasser une autre ». Bien sûr, Mack c’est Télémaque et Pen, Pénélope. Le dessinateur Eric Hérenguel a été séduit par cet Ulysse. « Il n’est pas un super-héros style Hercule mais un type qui ne peut pas raccrocher. Ulysse est un gros c… qui sacrifie tout et n’en fait qu’à sa tête, incapable de communiquer. Mack son fils lui offre une occasion en or de repartir sur le sentier de la guerre ».

Un Grand Manitou en colère

Mot juste car ce sont des Indiens qu’Ulysse va affronter avec son équipage monté sur un galion à roues et une poignée de passagers dont une petite fille que l’on devrait revoir dans le tome 2. Qui dit Indiens va aussi dire Grand Manitou, un dieu qui n’aime pas qu’on vienne piétiner son territoire sacré. « Ce premier diptyque », enchaîne Xavier Dorison, « reprend l’épisode où Ulysse affronte le cyclope. Mais un cyclope était trop attendu. Il fallait trouver autre chose. Regardez bien les premières pages de l’album». Malicieux Dorison. L’alchimie fonctionne dans ce premier tome qui met en place l’action et le début du duel entre Ulysse et le monstrueux Manitou dans sa vallée perdue.

Le capitaine Ulysse et ses amis cavalent vers New Ithakee. Ils tirent le gros galion joufflu dans la forêt histoire de pouvoir remonter un fleuve si besoin. « Dans le film Le Convoi sauvage avec John Huston on en a déjà un bel exemple. Les trappeurs se servaient de bateaux tractés pour ramener leurs peaux vers les comptoirs ». Le bateau, il n’a pas aimé par contre Eric Hérenguel qui, en riant, assure : « Un cauchemar à dessiner ce galion. C’est comme les chevaux et les roues à rayons, les vélos. Je ne ferai jamais un album sur le Tour de France ».

Eric Hérenguel et Xavier Dorison s’étaient promis de travailler ensemble. « On se connaît depuis quinze ans. On a failli s’associer sur Les Sentinelles. Nos mondes avec W.E.S.T. et Lune d’argent sur Providence avaient des points communs dont le fantastique justement ». Pour Ulysse 1781 Delcourt les a mis en relation. Hérenguel adore l’Histoire américaine. « Ce sont des gens qui ont découvert des terres vierges et ont tout gâché. Je me suis beaucoup documenté sur la période de la guerre d’Indépendance, première révolution politique ».

Ulysse a été dégraissé

Dorison a envoyé le script terminé à Hérenguel. Banco, et une collaboration pour 62 pages qu’ils ont relues ensemble en travaillant les caractères des héros. « On a dégraissé Ulysse. Xavier, au départ, le voulait proche du rugbyman Chabal. J’aime bien ne pas trop penser aux personnages quand je lis un scénario ou quand j’écris. Cela me permet d’être plus libre en dessinant ». Ulysse a ses failles, et Mack, son fils, tente de le ramener à la réalité. Une liberté scénaristique qu’a prise Dorison. Dans L’Odyssée, Télémaque ne bouge pas d’Ithaque et aide son père à trucider à son retour les prétendants de Pénélope symbolisés cette fois par les Anglais. « C’était intéressant de rapprocher dès le début Ulysse, sentimentalement déficient, avec son fils ». Ulysse se croit en permanence le plus fort : « Avec le Cyclope il tombe sur un os », poursuit Dorison qui a bien sûr interprété l’action, ajouté des passages. « Il faut des gens à défendre comme la petite fille qui voyage avec Ulysse dont la vraie famille est son équipage ».

Après ce premier diptyque, Dorison qui a « lu et relu l’Odyssée pour en extraire le côté intemporel, universel », continuera en un ou deux albums de transposer les étapes d’Ulysse condamné à errer après avoir aveuglé le Cyclope. Eric Hérenguel a travaillé de façon traditionnelle. « J’ai besoin du papier et priorité à l’encrage. J’ai essayé l’informatique mais je m’ennuie et j’ai mal à la main. J’encre parfois au lavis directement. Je suis dans le tome 2 à fond tout en gardant en tête une idée de suite à Lune d’argent, un Golem dans les rues de Boston. Ce qui est compliqué. Plus on connaît les personnages, moins on est surpris par le fantastique d’une histoire ». Un petit côté Hermann chez Hérenguel : « Il a volontairement déformé l’anatomie des visages de ses héros. Ses plans sont superbes. Une ligne pas claire ».

Jonas Crow, croque-mort et héros de western

Changement radical d’horizon avec Undertaker. D’Ithaque, Xavier Dorison a mis le cap sur l’Ouest sauvage, celui des mines d’or, des pistoleros à la gâchette facile dans une ambiance qui regarde vers les westerns des années soixante-dix. Sauf que son héros c’est un croque-mort. Bon, on connaissait celui de Lucky Luke, couleur formol et mètre à mesurer les futurs clients à la main. De là à en faire un héros de western. « C’est une idée de Ralph Meyer ce héros croque-mort. Mais comment la mettre en œuvre ? Comment un type pareil peut être un vecteur d’histoires dans un western ? A part se battre contre des morts », plaisante Dorison. Pour en faire une série il fallait phosphorer. Bingo, il trouve : « La mort ne vient jamais seule. Héritage, meurtre, famille, la mort n’est pas une fin. Au moins pour les autres ».

« J’en rêvais depuis des années de ce croque-mort », confirme Ralph Meyer. « Il est présent dans la plupart des westerns mais jamais mis en valeur et graphiquement le défi était intéressant. Xavier, avec qui j’avais travaillé sur Asgard et un XIII Mystery, La Mangouste, a trouvé le bon angle. Il fallait que ce soit un vrai croque-mort qui exerce son métier ».

Jonas Crow, le croque-mort, pouvait fouetter désormais les chevaux de son corbillard et se voir confier une drôle de mission. Ce n’est pas tous les jours qu’un futur cadavre règle la veille de sa mort programmée son enterrement dans les moindres détails. Et se paye une indigestion de pépites d’or pour en finir. Quant à Crow rien ne l’étonne vraiment. Un type revenu de tout, en particulier de la guerre de Sécession avec un palmarès éloquent que l’on découvrira. « Crow essaye de se faire oublier, a pris un faux nom, mais son premier ennemi c’est lui. Il fait bien des efforts mais cela le fatigue. Les gens font souvent de leur mieux pour dissimuler leurs fêlures, leurs blessures jusqu’à un certain point ». Xavier Dorison veut avec son croque-mort traverser les mythes du western. « Ce premier tome du diptyque est un peu le pilote de la série. Jonas Crow est le héros qui conduit l’histoire. Un scénariste a besoin de conflits. Racisme, esclavage, création du chemin de fer, charlatans, le choix est vaste ». Dorison promet un univers très spécifique par diptyque. Dans ce premier album il y a un otage qui conditionne l’action. Toujours machiavélique Xavier Dorison. Cet otage, les héros ne peuvent pas le laisser mourir.

Rose Prairie, la belle Anglaise

Au fait, Crow n’est pas vraiment seul dans cette poursuite qui va devenir infernale. Il est flanqué d’une belle et jeune Anglaise, gouvernante de son client, le cadavre à convoyer. Rose Prairie a un avenir certain dans Undertaker. « Rose est une psychorigide, elle croit dans le genre humain. C’est le contraire de Crow qui lui est un pessimiste, irrespectueux. Il fallait amener le personnage par touches, travailler les contrastes. Le croque-mort rigolo du début de l’album n’est pas un gentil, ni un héros classique. Quand je dessine la scène de la bagarre dans le saloon je montre toute la colère qu’il a en lui. Le dilettante fossoyeur devient d’une rare efficacité ». Une analyse de Ralph Meyer qui colle bien à Jonas Crow. Et reprise par Xavier Dorison. « Ralph rend tout plus fluide avec son dessin. Je suis très précis dans mon écriture mais on est en relation constante. J’ai par exemple réécrit le tome 2 de Undertaker. J’avais l’impression que je ne répondais pas aux attentes des lecteurs, que je passais à côté du sujet ». Ce que confirme Ralph Meyer. « Je n’étais pas convaincu non plus et on a retravaillé ensemble, recadré et pris une direction plus pertinente. Avec Xavier on peut être intrusif, ce qui est pour un dessinateur très agréable ». Des difficultés pour mettre en place Undertaker ? « J’attendais depuis longtemps de faire un western. Le premier tome d’une série demande toujours un gros travail de documentation, trouver des solutions graphiques. Et les chevaux ? Leur dessin est très excitant à gérer ». Meyer et Hérenguel, même combat équestre.

Undertaker et Ulysse 1781 c’est parti. Xavier Dorison a toujours plusieurs projets d’avance. Comme un bon joueur d’échecs. Il se projette en permanence. On le sent. En juin paraîtra Le Maitre d’armes, 94 pages en noir et blanc avec Joël Parnotte chez Dargaud. « Un roman graphique sur fond d’escrime médiévale dont le héros est le maître d’armes de François Ier. Une lutte dans le froid des montagnes ». On y ajoute la suite du Chant du Cygne avec Herzet au Lombard pour l’été avant d’arriver à des retrouvailles, et non des moindres. Xavier Dorison et Fabien Nury se sont penchés sur Comment faire fortune en juin 40 pour Casterman. Un scénario à deux mains avec Laurent Astier au dessin. Vaste programme et une association qui devrait valoir le détour. Enfin, Xavier Dorison est le nouveau scénariste de Thorgal. Premier titre écrit, Le Feu écarlate. Un touche à tout éclectique, créatif, Xavier Dorison. Avec une réserve : « Je n’aime pas toutes les histoires mais je me donne le droit de ne pas me limiter à un genre. Par contre je me sens incapable d’écrire une comédie mais, avec les années, l’humour est apparu dans mes scénarios ». Il y a un vautour dans Undertaker qui ne le contredira pas.

Ulysse 1781, Tome 1, Le Cyclope 1/2, 62 pages couleur, Delcourt, 15,20 €
Undertaker, Tome 1, Le Mangeur d’or, 54 pages couleur, Dargaud, 13,99 €

Des travaux préparatoires de Ralph Meyer ®
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