Il avait déjà envisagé lors de notre dernière rencontre pour Une Sœur « d’aller chercher dans des domaines un cran au-dessus, plus dramatiques, creuser dans des registres plus sombres, créer un héros un peu paumé mais je ne sais pas encore comment le prendre ». Bastien Vivès avec Martin Quenehen a franchi le gué pour Quatorze juillet. En toile de fond, il y a bien sûr les attentats de Paris et en première ligne un jeune gendarme confronté à une situation qui le dépasse mais aussi le conforte dans son rôle de gardien d’une loi qui lui semble partir à la dérive, à laquelle il faut remédier par les actes. Peux-t-on parler de polar ? Oui, si on se référence à l’univers américanisé des thrillers US. Mais dans le cas de ce brillant et explosif Quatorze juillet, on serait plutôt dans un drame social aux teintes shakespeariennes, sombres, aux malentendus volontaires, à la confrontation bien réelle, violente entre des avis, des opinions puis des actes qui remettent en cause la notion même de démocratie, de liberté et de justice. Un ouvrage très finement travaillé et Bastien Vivès ne fait qu’un au dessin avec le déroulé possible, plausible de cette aventure estivale et campagnarde traumatisante dont le scénario a été écrit par les deux auteurs.
Le Vercors, on va dire du côté du Royans, grosso modo, à Roissan en Isère (qui n’existe pas). Jimmy Girard est un jeune gendarme qui n’a pas pour ambition de passer sa vie dans le village. Pendant un contrôle routier il arrête pour excès de vitesse un touriste, Vincent Louyot, aux yeux de chien battu, et sa très jolie fille Lisa qui viennent s’installer dans le coin. C’est le train-train habituel estival, manouches, cambriolages, plantations de cannabis mais surtout préparer la sécurité du quatorze juillet. Jimmy est témoin de l’emprunt d’un cheval par Lisa qu’il embarque. Son père vient la chercher et avoue à Jimmy que sa femme a été tuée dans l’attentat récent dans un grand magasin. Vincent Louyoy est peintre et est venu dans le Vercors pour aussi travailler. Jimmy ne supporte pas que la population soit laissée sans défense face au terrorisme. Peu à peu, Jimmy se rapproche de Vincent dont la fille bien que mineure ne le laisse pas indifférent.
Un amour impossible, la vérité sur les motivations du peintre au vrai air de Michel Houellebecq, la vengeance évidemment, le justicier gendarme aux lunettes noires digne du masque de Zorro, il y a de l’analyse dans tout le process qui se met en marche et obligera Jimmy, consentant mais ambigu, à vouloir être l’acteur préventif de ce Quatorze juillet qui pourrait bien être la niçoise. Il faut s’embarquer avec Vivès et Quenehen, leur bouquin le mérite car au fait même du ressenti d’une part de la population. Crédible ce gendarme qui se sent investi d’une mission divine et Vivès atteint un beau degré de perfection graphique, de réalisme fort mais toujours avec son style inimitable. Un lente descente vers un enfer qui nous entoure.
Quatorze juillet, Casterman, 22 €
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