Bastien Vivès, après la parenthèse presque bouclée de Lastman, revient à un récit en solo et à ses fondamentaux. Avec Une Sœur (Casterman), il déroule la rencontre affectueuse, estivale et sensuelle d’un jeune garçon et d’une adolescente en mal de fratrie. Premiers émois pour Antoine qui a 13 ans. Vivès a construit un récit qui plonge dans l’enfance au moment où l’adolescence pointe le bout de ses imparables mutations. Avec un dessin qui a pris encore plus de consistance, une vraie tendresse pour ses personnages, Bastien Vivès signe une œuvre délicate en teintes très douces. Ce texte aussi paru dans le numéro de juin du mensuel ZOO. Jean-Laurent TRUC.
Qu’est ce qui a poussé Bastien Vivès à mettre en scène cette rencontre inattendue sous le soleil breton ? Sylvie a seize ans. Sa maman vient de faire une fausse-couche. Elle retrouve chez des amis de sa mère le jeune Antoine et son petit frère Titi pour une semaine de vacances sur l’Île aux Moines. Antoine va rapidement être troublé par cette jeune fille en fleur. Elle vient s’immiscer doucement dans son monde de petit garçon qui ne demande qu’à éclater. Une inspiration autobiographique pour l’auteur de Polina ? « Non, pas du tout pour le fond de l’histoire, mais j’ai des souvenirs de l’Ile aux Moines. J’allais chez mes cousines dans leur maison de vacances. En fait j’avais envie de raconter les rapports entre frère et sœur. J’ai un petit frère comme Antoine mais j’ai toujours rêvé d’avoir une grande sœur. J’ai imaginé de créer un personnage qui en plus n’est pas vraiment une sœur pour Antoine et reconstituer leur relation. »
Il va falloir qu’elle montre patte blanche Sylvie. On comprend vite que le très réservé Antoine soit d’abord réticent puis séduit par Sylvie à qui il confie que sa mère a elle aussi fait une fausse couche. D’où une sorte de connivence qui se créé. Un récit qui permet à Bastien Vivès de renouer avec un romanesque affirmé. « C’est un retour aux sources. Depuis cinq, six ans je faisais des bouquins de potes, j’explorais les possibilités de la BD, voir jusqu’où on pouvait aller. Quand j’ai écrit Le Goût de chlore, c’étaient des personnages de mon âge. Cette fois je retourne vers des personnages plus jeunes que moi. Je plonge du côté de l’enfance et des jeunes adultes. »
Frère et sœur mais aussi première histoire d’amour sans que jamais ne soit prononcé un « je t’aime ».
« C’est vrai » concède Bastien Vivès, « Sylvie comme Antoine est touchée mais à aucun moment ils ne s’en rendent compte. Ils savent qu’il y a un terreau de bienveillance qui va les unir sur bien des plans. » Petit à petit, Antoine qui passe son temps à dessiner en silence et Sylvie les yeux rivés sur son Smartphone se découvrent, se testent. Travaux d’approche et une bouteille de vin qui va les désinhiber. On ne se livre pas facilement à treize ans. Surtout à une jolie jeune fille. Sans le savoir Antoine est en train de passer un cap. « Bien sûr, celui de l’adolescence et Sylvie va l’accompagner avec beaucoup de douceur. Dans Une Sœur il n’y a pas la violence qu’il pouvait y avoir dans mes premiers albums. »
Une histoire comme celle d’Antoine et Sylvie, on en a tous une petite au fond du cœur. « J’ai fait attention. L’enjeu était de ne pas rater le personnage féminin. Elle se la raconte un peu, frime et il ne fallait pas qu’elle devienne agaçante, qu’elle m’échappe. Elle devait rester marrante, et lui progresser. La fausse couche de leurs mères respectives les rassemble très naturellement. »
En toute liberté, Bastien Vivès ne s’est jamais senti dans la forme de ses bouquins « aussi à l’aise qu’avec celui là. Je me suis consacré à ma mise en scène, aller chercher plus de justesse de ton. Une Sœur est plus facile d’accès que Polina, plus classique, avec une lumière agréable et très confortable à la lecture. Après près de six ans très BD-BD, j’ai pu avec cet album matérialiser une part de fantasme en imaginant que ces jeunes gens qui se retrouvent chaque année deviennent une fratrie avec des liens très particuliers. »
La narration et l’écriture ont le même déroulé intuitif : « J’ai écrit deux trois trucs au départ puis je prend un bloc de feuilles et je découpe le bouquin. Je scanne tout, j’ajoute des scènes, j’en enlève et je vois au bout de trois jours si cela marche ou pas. » Si le ton est celui du roman il a sa part de tragique. « Ils vivent une semaine très intense et à la fin on revient à quelque chose de dramatique, un peu mystique comme dans les films de Claude Sautet. Dans Les Choses de la vie, le drame survient alors qu’on est sur des rapports agréables et amoureux. Ce n’est pas un hommage à Sautet mais j’aime bien que mes histoires intègrent cette notion de vie et de mort. Antoine comprend que ce qu’il vient de vivre est exceptionnel. »
Une histoire naturelle et cohérente, attachante, Bastien Vivès a eu plaisir, on le ressent, à donner vie à ses jeunes héros. Il est toujours sur la suite et la fin de Lastman, deux ou trois volumes à venir, le tome 10 en juin. « Ce n’est pas étonnant que je me remette à des choses plus personnelles. Je veux aller chercher dans des domaines un cran au-dessus, plus dramatiques, creuser dans des registres plus sombres, créer un héros un peu paumé mais je ne sais pas encore comment le prendre. » Il parle même d’une BD à la fois polar et pornographique. Avec Une Sœur, au tact et à l’élégance extrême on est, pour l’instant, très loin.
Une sœur, Bastien Vivès, 212 pages, noir et blanc, Casterman, 20 €
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