Interview : Blutch, de ses Variations à son prochain Tif et Tondu

Il était en dédicace dernièrement à la librairie Azimuts à Montpellier. Blutch revient avec ligneclaire.info sur ses Variations, sur la génèse de cette déclinaison revisitée de planches d’auteurs qui ont marqué sa vie de lecteur puis d’auteur. L’album (Dargaud) a été nominé dans la sélection officielle du festival d’Angoulême 2018. Le Grand Prix 2009 s’interroge, se confie avec une liberté et une émotion non feinte, sincère, pudique. Un talent brillant, ce passionné de poésie qui parle aussi du Tif et Tondu qu’il termine pour 2018. Et de ses envies. Une balade en toute franchise pour une rencontre rare. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC

Blutch
Blutch. JLT ®

Blutch, quand on commence par lire la préface de Variations. On est ému. Vous parlez de confession. Ce n’est pas plutôt un état des lieux, un exorcisme ?

Non pas d’exorcisme. Vous avez réfuté le terme de confession. Non j’ai fait ça pour y voir clair. Je ne comprenais pas ce que j’étais en train de faire. Vraiment. Ces planches j’ai commencé à les dessiner sans plan établi et sans stratégie. Je me suis mis à travailler, ça m’a plus et ça a supplanté tout le reste. J’ai mis en parenthèse Tif et Tondu sur lequel je travaille et j’ai aligné ces planches de Variations. Presque à mon insu. Je me suis demandé ce que je faisais. Et pour y voir clair j’écris souvent pour mettre mes idées au propre. La préface est un extrait du texte qui a paru dans une revue suisse de Lausanne. Mon texte d’origine comporte plus de considérations sur la BD. C’est plus une façon de faire le point après trente ans déjà que je publie des ouvrages

Justement, comment avez vous fait un choix pour ces planches ? Ce ne sont pas des copies bien au contraire. Quel en est le bilan aujourd’hui ?

Un constat évident car j’ai un amour renforcé pour la BD si besoin était. C’est une manière de m’exprimer que j’affectionne. Mon amour pour les auteurs que j’ai repris est effectivement aussi conforté. La direction vers laquelle j’irai après avoir achevé Tif et Tondu, dont j’ai fait la moitié, c’est que j’en ai fini avec la reprise, la citation. Je veux partir vers d’autres chantiers.

Vous avez passé vos envies au tamis. Les auteurs sont variés mais il y a quand même une sélection ?

Le livre aurait pu s’appeler un Choix, j’ai pensé à Florilèges. J’avais des noms d’auteurs qui se sont imposés, les figures les plus marquantes. Le projet s’est longtemps appelé Anthologie. Mais avec un peu d’ironie. J’ai eu peur qu’on prenne le mot au pied de la lettre. Ce n’est pas exhaustif. J’ai laissé une trentaine d’auteurs sur le carreau, à regret. Comme la plupart de mes livres il est un peu lacunaire. Je n’ai pas fait le tour du sujet. Je me suis dit qu’il fallait que je me concentre sur des auteurs d’origine européenne. Pas d’Américains, pas de Japonais, ni de BD animalière comme Macherot dont je suis fan et on est dans un même catégorie d’âge. Ils ont tous travaillé à la même époque, entre 1960 et 1980 qui correspond à mes années de formation et après.

Il y a de la magie dans ces auteurs dans Variations ?

Ce n’est pas le mot, magie. Je ne l’ai pas dit trop en interview car j’ai peur que ça fasse pédant. J’aime beaucoup les anthologies de poètes, les morceaux choisis. Je voyais Variations un peu comme ça, des morceaux de BD remontés comme des poèmes, trente pages avec un page blanche à gauche pour donner de la respiration. Il y a un pouvoir d’évocation au delà de l’intrigue. Oui, on peut accoler quand même le mot magie. C’est pour ça que je n’ai pas mis en vis à vis les planches originales. Les planches se tiennent d’elles-mêmes.

Blutch
Blutch en dédicace chez Azimuts à Montpellier. JLT ®

On est remué par la planche d’Hergé. On est touché par le Gaston homme d’affaires.

C’est de la cuisine. Je veux dire que le pastiche c’est ma formation. J’ai commencé à Fluide Glacial. Il y a une gymnastique de la création. Gaston est facile à faire en costume cravate mais De Mesmaeker en décontracté est très difficile à tracer. J’ai refait la planche deux fois à cause de ça. J’ai fait deux Bretécher aussi. Lauzier c’est l’album La Tête dans le sac. Lauzier cela a été un grand choc pour moi. J’étais un inconditionnel de sa sensualité, de sa rosserie. J’allais voir ses films. C’est un auteur de chevet pour moi comme tous les autres. Blueberry je ne l’ai pas relu depuis longtemps. Ce ne sont pas des copies. Je n’ai pas singé. J’ai tiré vers moi. C’est comme si vous me demandiez de commenter ma voix sur répondeur. On est de bon conseil pour les autres mais pas pour soi.

Avec Gotlib vous avez pris une planche clin d’œil à Sergio Leone ?

Je voulais une planche de Gotlib pas trop dialoguée parce qu’il est assez bavard. Je voulais du silence. L’ordre des pages a interféré sur le choix. J’ai un carnet de notes. Il y a un canevas et en fait les pages sont classées par ordre de naissance des auteurs, de Pellos à Goossens.

Des lecteurs sont allés comparer avec les originaux ?

Oui mais il y a des albums qui sont plus ou moins connus. Je cite souvent comme exemple La Séquence du spectateur le dimanche, ces petits extraits de films, qui me donnait envie d’aller au cinéma. Avec Variations tant mieux si ça donne envie d’aller lire Valentina ou autre. Mon format papier de travail est le même que celui paru dans Variations. Je voulais faire un 30-40 et finalement ça a permis au dessin d’éclater. Les premières ont paru dans Pandora complètement écrasées. J’ai fait deux autres planches pour le festival de Lausanne. Une aussi de Terry et les Pirates.

Lewis Trondheim et Blutch
Duo de Grand Prix, Trondheim et Blutch, chez Azimuts à Montpellier. JLT ®

Et après Variations, Tif et Tondu ?

Je suis au milieu du guet avec Tif et Tondu. Il y a dix ans que le projet est sur les rails. C’est mon frère qui a écrit le scénario. Je n’ai pas cette culture donc il a fallu le temps pour lui de l’écrire, de le soumettre et aux ayants-droits avant qu’il soit validé. J’ai commencé à le dessiner il y a deux ans. C’est un travail exigeant avec des décors précis mais je suis totalement libre. On est dans l’esprit de Variations. Je ne veux pas singer la BD d’origine. On la lisait avec mon frère. Il n’y aura pas Choc par contre car il vit sa vie de son côté. Il y aura la comtesse Kiki. La parution est prévue pour octobre 2018 et avec une prépublication l’été dans Spirou. Pour nous Tif et Tondu sont deux écrivains style Boileau et Narcejac. Ils font du polar un peu fantastique, à la Pierre Bellemare. Ce sera un one-shot.

Après je ne sais pas trop. J’ai des notes éparses. J’aimerai bien faire une histoire érotique mais je me demande si je pourrai y arriver. Mais les temps ne sont pas très propices. Avant on parlait de cul et de politique. Aujourd’hui on parle de dieu. Si je fais une histoire érotique je ne penserai pas à mal (rires).

Dédicace de Blutch

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