Et ne voila t-il pas que l’ineffable et très grandiose Jérôme Moucherot a perdu son visage. Un simple miroir de salle de bain peut être source de cataclysme. Son retour pour de nouvelles aventures signées par François Boucq évidemment n’en était que plus perturbant, si ce n’est pour lui, que pour ses admirateurs, effrayés et subjugués par une situation qui semblait lui échapper. Que s’était-il donc passé et, surtout, qui est vraiment ce bon Jérôme, tout au fond de lui, sanglé dans son sémillant costume de Tigre du Bengale, père aimant, mari attentionné, agent d’assurances brillant, le stylo prêt à bondit de son appendice nasal frétillant ?
Telle était la question que Jérôme Moucherot posait mais à laquelle il allait répondre de lui même par cette quête intérieure tout en extérieur, histoire de ne pas salir chez soi. Un titre qui dans toute sa rudesse montrait la détermination du héros comme de son sérénissime créateur. Boucq, une fois de plus, s’adonnait à la gestion en liberté de son propre génie créateur. Époustouflant dans le plein et le délié comme dans les ambiances sauvages d’une quête que l’on accompagne, disons le, étonné, séduit et effaré par la force d’un humour flirtant avec un réel qui aurait entamé une liaison non coupable avec un surréalisme effréné. Couleurs d’Alexandre Boucq.
Plus de visage Jérôme le matin au lever. Son double se charge de tout. Un coup de crayon nasal et le tour est joué. Mais qui est désormais le vrai Jérôme ? Qui est le double, qui est l’original ? Il faut qu’il trouve son soi par lui-même. Une quête s’impose, intérieure., mais en extérieur. Comme il est un mari aidant, il la fera dehors pour ne pas salir la maison. Elle est d’accord Bibiche. Elle va lui faire du bien la quête. Le grand fauve, roi de la félinité, part à l’aventure. Mais qu’il fasse attention à ne pas trop se découvrir. C’est parti, Jérôme rompt les ponts, en oublie ses papiers chez lui, les récupère et entame son chemin de croix en extérieur. Un joli bordel. Pas de coach, sans préparation, il matérialise tout ce à quoi il pense, se retrouve dans la cocotte-minute de sa femme après avoir défendu ses zones érogènes d’une attaque traîtresse. Il y retourne Jérôme, se perd en chemin et tombe sur un démon fourchu et ailé, bon bougre mais porté sur la bouteille. Du coup, un petit verre par ci, un autre par là, le retour at home est provisoire. Elle n’apprécie pas bobonne de trouver le bestiau dans son lit au matin. Rebelote, le démon, un vrai paratonnerre à emmerdes, devient le coach de Moucherot. On va flirter avec la grande tentation du transport amoureux bonnet B.
La suite n’est pas racontable. Et oui, gardons le, si ce n’est les mystères des aventures épiques, les prises de conscience imparables de Jérôme Moucherot dans les pages de cet ouvrage édifiant, charmant qu’il faut à tout prix (ce n’est pas cher) découvrir. François Boucq a concocté une ballade graphique, esthétique, philosophique, critique, où le nombril du monde sera mis à nu, la ligne d’horizon deviendra une réalité, le fil de la grande tricoteuse ouvrira la trame de l’univers. L’autoroute du canyon des gorges profondes, celui de l’évolution, amènera Moucherot à un ragout de bon aloi. Le paradis finalement est souvent sous son propre nez. Telle est la conclusion de ce voyage trépidant aux confins de l’existence, dixit Moucherot. Qui ne l’oublions pas, Boucq nous le rappelle en fin d’ouvrage, a inspiré quelques-uns des plus talentueux barbouilleurs de l’histoire de l’art. Comme René Tagritte qui a signé la couverture de cet album qui fait un bien fou aux neurones. A prescrire sans retenu. On rappelle aussi que Boucq a décodé le Petit Léonard.
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