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Interview : Thomas Legrain finit Sisco, a envie de one-shot et un faible pour les années 70

Sisco est de retour après trois ans d’absence. Thomas Legrain a signé entre-temps The Regiment avec Brugeas. Avec Benec au scénario, Thomas Legrain a donné vie à un héros de polar atypique au Lombard comme il l’explique dans cette interview avec Ligne Claire. Sisco dans ce dernier diptyque, le sixième, revient aux sources. C’est reparti plein pot, un sacré coup de rein, et une évolution graphique marquante de Legrain. Il reste deux albums avant que Sisco ne prenne sa retraite. Le onzième, Belgian Rapsody, sortira en post-confinement. Il était prévu en avril et reporté finalement en juin. Thomas Legrain revient sur le destin de Sisco, ses projets qui pourraient privilégier des one-shots, sa passion des années 70. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Thomas Legrain. JJ Procureur ®

Thomas Legrain, Sisco est de retour avec Belgian Rapsody, le tome 11, et dernier diptyque ?

C’était prévu comme cela depuis le début pour aboutir à la fin qu’on avait en tête dès le départ. Il y aurait eu la possibilité de faire une suite mais ce n’était pas le but du jeu. Ce qui doit arriver va arriver, même si cela sera surprenant. Ce n’est pas de clôturer la série qui est l’objectif mais de lui donner la fin prévue initialement.

Vous dites prévue ?

Oui. On en a souvent parlé ensemble, mais Sisco ce n’était qu’un diptyque au départ. Le Lombard nous a proposé d’en faire une série mais à condition de savoir où on allait. Je ne voulais pas m’engager dans une série sans fin comme certaines à la TV, ce qui est frustrant. Soit on a des fins trop ouvertes, soit sans intérêt. Il fallait que l’histoire nous amène à quelque chose en accord entre nous, Benoît Benec et moi. Donc à une fin programmée. Sisco a bien marché ce qui nous a permis d’aller au bout en douze albums. Si on avait atteint des sommets de ventes, on aurait peut-être envisagé de continuer autrement. Là, on s’en tient au plan initial.

Dans ce nouveau diptyque, on est un peu dans un retour aux sources. Sisco a réintégré le service de Protection de la présidence et on a deux intrigues en parallèle dont son histoire d’amour avec Manon. Il a une mission qui va recouper son propre objectif qui est de la récupérer depuis qu’elle a été enlevée.

Ce que j’aime dans Sisco c’est que le vrai fil rouge est bien son histoire d’amour avec Manon. Un peu inattendu vu le personnage mais les choix de Sisco se font en fonction de ça. Dans le troisième diptyque, il accepte d’aller aux USA parce que Manon est partie. Ensuite, il va en Nouvelle Zélande pour qu’on lui donne les moyens d’aller la récupérer en Afrique comme on va le voir maintenant. On clôture avec ce dernier diptyque qui ne tourne presque qu’autour de Manon.

En croisant les intrigues en fait avec une affaire d’état entre France et Russie. Tout se rejoint. On voit aussi que vous avez changé votre façon de travailler, le découpage, le format depuis The Regiment ?

Tout à fait pour les deux questions. Avoir fait The Regiment m’a fait doubler la taille de travail de mes planches et pour Sisco j’ai pratiquement pris le même format. Ce qui me permet d’aller encore plus dans le détail et d’avoir un trait plus dynamique. En A3, c’est difficile d’avoir du détail et de se lâcher. Pour moi, The Regiment m’a fait progresser. Et j’ai apporté cela dans Sisco même si ce ne sont pas les mêmes ambiances. Il faut toujours sortir de son cadre si on veut s’améliorer. Je sentais que je stagnais. The Regiment m’a aidé à aller plus loin et ensuite de m’améliorer avec Sisco.

Il y a des planches étonnantes, muettes, très découpées, deux fois trois pages qui s’enchainent remarquablement avec des angles de prises de vue qui suivent le personnage.

C’est très différent effectivement de ce que j’avais fait dans The Regiment en 16/9. Sur Sisco, c’est très ramassé et je suis revenu, après trois tomes dans le désert et beaucoup de place, à un thriller qui donne beaucoup plus d’informations par case. Cela ne se raconte pas comme une BD historique. Du coup j’ai parfois sur-découpé les scènes comme celle que vous citez avec un gaufrier ce que je ne faisais plus avec The Regiment. Et cela m’amuse de faire des scènes quasi muettes où tout passe par le dessin, sans être ennuyeuses, lisibles. A la base dans le scénario de Benec qui m’offrait ces opportunités, elles étaient différentes et je les ai faites évoluer, plus découpées.

Comment travaillez-vous avec Benoît Benec ? Vous échangez sur le scénario, sur l’évolution de l’action ?

Je ne touche jamais au scénario. Si je vois quelque chose à la première lecture, je le dis. En amont au niveau de l’intrigue. Là où je peux intervenir au fur et à mesure, c’est dans le découpage en particulier dans les scènes d’action sans toucher à la structure du scénario. On en a l’habitude tous les deux. Je ne touche pas au fond de l’histoire donc il faut qu’on soit en phase dès le début sur ce point.

Il vous livre le scénario en une fois ?

Oui. Je ne travaille pas autrement ce qui permet d’éviter des problèmes d’incohérences car toute l’histoire se lit en une fois, pas de façon partielle.

Cela a été compliqué pour vous de revenir à Sisco après The Regiment ? Vous y avez pris du plaisir ?

Les deux en fait. Compliqué oui, parce que c’était revenir à de l’urbain. Donc un peu laborieux au début après le désert, la profondeur de champ. Sisco est plus contraignant, plus de cases par planche. Mais en même temps j’ai eu beaucoup de plaisir à revenir sur Sisco. Benec est très talentueux comme dialoguiste avec une vraie mise en scène. The Regiment était plus illustratif mais très passionnant aussi.

On retrouve avec ce Sisco la grande BD d’action des belles années qui avait un peu perdu de son âme ces derniers temps. C’est très cinématographique aussi.

Donc on a dû bien faire notre travail.

On est toujours dans de l’actu romancée. Rainbow Warrior sous Mitterrand et porte-hélicoptères russes sous Hollande en 2015 ?

Oui, des affaires mises au goût du jour et actualisées. Ce qui soutient l’action de l’album est effectivement des papiers compromettants qui pourraient gêner la présidence. Et les Russes à leur recherche. C’est l’intrigue principale à laquelle vient se greffer des Soudanais qui se servent de Manon. A découvrir bien sûr. J’ai déjà fait la moitié du prochain tome, le douzième. Le 11 devait sortir en avril et sortira finalement en juin. Le 12 était prévu en janvier 2021 mais on verra bien. Beaucoup d’albums sont décalés donc difficile à dire.

Il va y avoir en raison de la crise sanitaire un embouteillage colossal de sorties, beaucoup d’albums à programmer entre mai et décembre. Difficile d’anticiper ?

L’album 12 sera terminé en septembre. Beaucoup de choses vont s’improviser au fur et à mesure. Mais Le Lombard gère bien la crise et n’a pas énormément d’albums à sortir contrairement à d’autres. Ce qui sera bénéfique.

Quels sont les souvenirs qui vous ont marqué dans cette série Sisco ? Que vous allez garder ?

Sisco reste très important car c’est la série qui m’a permis de me faire connaître du plus grand nombre. C’est grâce à Sisco que j’ai pu avoir une indépendance financière et vivre pleinement de ce métier. En dehors de cet aspect, il y a la part artistique et je suis très content d’avoir pu mener à bien ce projet. C’est un personnage très négatif au début, pas un tendre et avoir réussi à l’imposer dans la collection Troisième Vague aux héros classiques, plus positifs, douze tomes avec Sisco, c’est génial. Je retiendrai aussi que c’est une série qui a été très réfléchie avec l’éditeur. Je garde le souvenir de la rencontre avec Gauthier Van Meerbeeck qui y a cru et en a fait une série. Il a senti ce qu’on voulait faire avec Sisco. Je travaille depuis douze ans avec Le Lombard mais ce n’est pas pour rien. J’ai trouvé un éditeur avec lequel je suis en phase. Gauthier nous a donné les pistes en nous laissant carte blanche. Sisco est la pierre angulaire de ma carrière jusqu’à présent.

Il y a eu aussi The Regiment, Bagdad Inc.. Quelles seraient vos envies, vos projets maintenant ?

Je suis en train de travailler sur un projet de one-shot mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant mais promis on y reviendra. En fait, je n’ai pas envie de repartir dans une série pour le moment. Plusieurs one-shots seraient l’idéal. L’expérience de The Regiment a été très intéressante, m’a permis de faire autre chose. Comme Bagdad Inc. qui a été malheureusement un échec, mais que j’ai aimé travailler avec Desberg que je connais bien. Cet album m’a beaucoup appris. Il faut multiplier les expériences, ne jamais se reposer sur ses lauriers pour progresser. J’aimerais avoir maintenant une période pour essayer des choses différentes en un album pour ne pas m’engager sur du trop long terme. Ensuite on verra si ce one-shot marche.

The Regiment n’aura pas de suite ?

Non. On y avait pensé au départ. Après le succès du tome un, on a envisagé une série alors qu’était prévu un seul triptyque. Et puis on s’est rendu compte que c’était compliqué une série si on suivait l’histoire des SAS de façon chronologique. On y reviendra peut-être. Mais la trilogie tournait autour de trois personnages principaux dont deux disparaissent. Pas la peine de tirer à la ligne. On a fait un bon travail avec Brugeas.

Il y a des époques, des genres que vous aimeriez traiter ?

Non. Ce ne sont pas vraiment les époques qui m’intéressent. C’est plutôt le style narratif et le genre. J’aime les films de genre, la BD de genre. Des BD qui sortent des cadres. J’ai un autre projet en tête. Donc je n’en parle pas. J’ai plus envie de toucher à des genres qu’à des époques. Je dois avouer, qu’au début, faire de la BD historique ne me branchait pas vraiment puis je me suis bien amusé de faire The Regiment. Je ne vais pas refuser un projet pour l’époque. Je vais le faire s’il me tente. Cela dit, je en suis pas le genre de dessinateur à faire du médiéval fantastique (rires). Mon dessin est adapté au contemporain mais on peut voir cela de façon plus large. Par contre la période qui m’a toujours intéressé ce sont les années 70.

Pourquoi ?

J’aime cette époque pour le cinéma, le New York des années 70, les fringues, le côté plus noir. Une période très libre, plus que maintenant. Il ne faut pas non plus idéaliser. Je n’ai pas connu cette période.

En 1970, pas de chômage, on est au top des Trente Glorieuses et 1968 a apporté des progrès sociaux à un pays riche. Ce n’est que vers 1974 que le dérapage arrive, pétrole et autres. Quand on voit aujourd’hui la crise sanitaire qu’on vit, on a aussi oublié que le grippe de Hong Kong fait 30 000 morts en France entre 1968 et 1969.

Oui c’est vrai. Dans le cinéma on a des films très noirs, crépusculaires qui sont aussi des témoins des désillusions qui s’accumulent. Comme dans les films politiques. Les Américains sont en pleine guerre du Vietnam. Les années 70 sont un mélange avec une forme de bien être perdue et de désillusions. C’est la mode de l’époque, le design qui m’intéressent au niveau graphique. Si on me proposait un bon polar en 1970 j’aurais tendance à dire oui.

Pourquoi ne pas l’écrire ?

Je n’ai pas de talent de scénariste. Des idées oui, que je peux proposer pour qu’elles soient développées. Mais je ne suis pas très créatif à ce niveau, et n’ai pas de qualités d’écriture. Je serai trop cliché. Il faut choisir les bonnes personnes à qui les proposer. Le one-shot est plus ouvert pour le faire. Pour l’instant, avec Sisco, on boucle la boucle à Paris où tout a commencé dans une ambiance très violente. Le dernier diptyque monte encore plus en puissance. Sisco y va très fort, vous verrez.

Pages noir et blanc du tome 11. Merci à Thomas Legrain pour ces documents originaux ©
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