Jacques Tardi vient de publier aux Éditions Martin de Halleux 20 ans en mai 1871. Un titre paru dans l’atypique et passionnante collection 25 Images qui propose aux auteurs un défi, pas de dialogues sur une histoire courte tel que défini par Frans Masereel en 1918 avec son livre « 25 Images de la passion d’un homme ». Jacques Tardi est allé avec son héros faire une promenade au Père-Lachaise, cimetière bien connu parisien. Pourquoi ce retour à la Commune qu’il connaît si bien avec Le Cri du peuple ? Il s’en est expliqué en direct avec Ligne Claire dans les moindres détails et annoncé qu’il était en train de travailler sur un Nestor Burma qui se passait dans le XXe arrondissement. Sortie prévue pour fin 2024. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
Jacques Tardi d’où vous est venu l’idée de cette balade au Père-Lachaise, un lieu qui revient souvent dans votre œuvre, dans Adèle Blanc-Sec notamment ?
C’est De Halleux qui m’a proposé de faire cet album. Je vais de temps en temps me balader au Père-Lachaise qui n’est pas loin de chez moi. Et puis quand je travaillais sur Le Cri du Peuple en évoquant la fin de la Commune, les combats au Père-Lachaise, je tombe en arrêt devant une gravure qui représente une allée qui monte avec au bas le buste de Balzac. Je fais une photocopie de cette gravure, je vais sur place et je me mets à peu près là où l’illustrateur l’a dessinée. Il y a la tombe de Naudier écrivain oublié. Il manquait une tombe qui en fait était de l’autre côté de l’allée, cassé avec des lions à l’anglaise. A ce moment-là un monsieur vient vers moi. Il était en train d’entretenir la tombe de Balzac. Il me dit de venir voir et me montre un monument sur lequel il y a des éraflures, des traces de balles des combats de la Commune. Sur la gravure que j’avais, on voit des Fusiliers Marins qui montent à l’assaut. Je monte encore plus haut et il y a un énorme monument phallique qui autrefois avait une grosse lanterne comme un phare. En face il y a une tombe sobre, de pavés empilés, celle de Charles Delescluze, dernier délégué à la guerre de la Commune. Thiers l’avait piégé en lui faisant croire qu’il fallait qu’il sorte de Paris pour le rencontrer en secteur occupé par la Prusse. Paris à l’époque est médiévale avec des bastions, des ponts étroits. Les Communards ne veulent pas le laisser sortir l’accusant de fuir. Delescluze du coup revient place de la République et se fait tuer volontairement sur une barricade.
Donc vous aviez votre thème, la Commune de Paris.
Oui et j’imagine pour l’album un vieux communard qui avait 20 ans en 1871. Il prend son train de banlieue, le métro et va au Père-Lachaise sur la tombe de Thiers mais pas pour la fleurir.
Le périple est parfaitement restitué dans un Paris que savez si bien dessiner. Il va rendre en fait un dernier non pas hommage mais outrage, une dernière vengeance contre Thiers.
La mort rode et les corbeaux sont très nombreux au Père-Lachaise. Sur beaucoup de monuments il y a le sablier ailé symbole du temps qui passe. La mort est gentille pour le vieux monsieur. Elle l’attend. En haut du Mausolée de Thiers, sur la grille il y a inscrit Vive la Commune. Voilà ce qui m’a inspiré.
Vous faites tenir le récit, c’est le jeu, en 25 planches, sans paroles.
Oui, on en revient à Masereel qui avait au point cette technique narrative. Ce qui amène le lecteur à bien regarder les images.
Finalement le Père-Lachaise on le retrouve souvent. Dans le dernier Adèle il y a un bouton militaire qui surgit ?
Non ça c’est aux Buttes-Chaumont. A la fin de la Commune il y a des pelotons d’exécutions partout pour massacrer les Communards. C’est la semaine sanglante sur les Quais et aux Buttes-Chaumont. Ils ont arrêté à cause des risques d’épidémie liés aux cadavres que l’on ne pouvait pas enterrer assez vite. Une plaque a été mise aux Buttes-Chaumont.
Pourquoi massacrer alors que Thiers avait gagné ?
Thiers voulait en finir. Avec tout ce qu’on peut imaginer, délateurs, règlements de compte, perquisitions de l’armée régulière chez les gens. Pour un rien vous étiez abattu. C’est un massacre dont on parle peu.
On a oublié la Commune ?
Et c’est bien dommage car c’est un évènement essentiel, important de résistance du peuple à un pouvoir symbolisé par Thiers qui avait une quantité incroyable de surnoms peu aimables. Foutriquet, le massacreur, crapaud venimeux, cœur saignant, il avait un hôtel particulier que les Communards ont pillé. Il l’a fait reconstruire plus grand. Il ressemble à ceux qui nous gouvernent actuellement.
La Commune a échoué pourquoi ? Parce que la province n’a pas suivi ?
Oui aussi et ce n’était pas vraiment organisé. C’était le désordre et des tiraillements au sein même des chefs de la Commune. Un type comme Dombrowski enterré près du mur des Fusillés n’a jamais reçu les munitions promises, a été abandonné par la Commune. C’est une pagaille totale. Au moment où les Versaillais sont à la Concorde, à l’Hôtel Dieu près de Notre-Dame le directeur pêche à la ligne depuis une fenêtre qui donne sur la Seine.
Ce sont des combats de guérilla urbaine.
Pour bloquer l’avancée des Versaillais, on incendie l’Hôtel de Ville, le Louvre et les appartements de l’empereur. Il y a eu la colonne abattue par Courbet qui n’a jamais payé le prix pour sa reconstruction. Dans l’album, le vieux monsieur a vécu tout ça et Thiers c’est l’horreur. Le préfet de Paris Lallement s’était référé avec mauvais goût il n’y a pas très longtemps au Marquis aux bottes rouges, à Gallifet, qui amenaient les prisonniers à Versailles pour être jugés. Sur le trajet il a aligné des prisonniers régulièrement contre un mur et les fusillait. Aux Invalides j’ai trouvé un album de photos fait par un curé où pose des Communards en famille avec leurs adresses. On a dit que cela avait été une sorte de fichier qui avait permis les arrestations. On ne parle pas assez de la Commune, trois lignes dans les manuels.
On est dans les années 30 avec votre héros.
Il fait un pèlerinage dramatique. Il a une hargne totale pour Thiers détesté du petit peuple qui a été embarqué par des gens pas très compétents. Le bordel total. Pour Paris c’est un deuxième siège après les Prussiens. On finit par manger du rat, les animaux du Jardin des Plantes. Cette révolution va dresser les gens contre le pouvoir en place qui s’est retiré à Versailles. Ce que je raconte moi c’est la dernière sortie d’un vieux monsieur qui va « arroser » le mausolée.
Après c’est 20 ans en mai toujours pas de regret d’en avoir fini avec Adèle Blanc-Sec ?
Non c’est vraiment fini, je vous l’avais dit. Mais c’est vrai comme vous le disiez dans différents Adèle il y a le Père-Lachaise. J’avais recensé dans un album les tombes d’inspirations égyptiennes à l’époque de la campagne d’Égypte. L’Histoire de France a souvent inspiré les monuments funéraires. Ce cimetière est intéressant. L’envie de le dessiner est toujours là.
Sinon d’autres projets en tête ?
Mais si. Je fais un dernier Nestor Burma. Malet n’a jamais terminé Les Nouveaux Mystères de Paris. Il m’avait donné le personnage de Burma, sa secrétaire, le flic, le journaliste pour en faire des histoires originales en BD. Donc je fais Burma dans le XXe arrondissement où tout se passe. Ce sera le dernier. C’est pratique pour moi. J’y habite. Je fais des repérages pour avoir des cadrages d’époque. Ronis l’a photographié.
Vous avez le titre ?
Pas encore. Il y a un film Du Rififi chez les hommes dans lequel la dernière séquence se passe près dans la rue de la Bidassoa. J’ai pu constater qu’un immeuble récent a été construit et qu’à l’angle il y a un trou où il y avait un café dans le film. J’aime reconstituer les lieux. Je vais sur place. L’album devrait paraître fin 2024. Voilà où j’en suis. Ce sera un gros bouquin.
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