Le 15 septembre 2023, Jacques Tardi va nous inviter à une balade peu commune si l’on peut dire. Et pour cause. Dans 20 ans en mai 1871 on ira promener au Père Lachaise, haut lieu de la Commune de Paris et où repose, entre autres le très antipathique Adolphe Thiers là même où il a fait massacrer les Fédérés. Pour la sortie le 15 on espère bien que Jacques nous en parlera en personne sur Ligne Claire mais avant on n’a pas pu résister au plaisir de vous en annoncer l’arrivée prochaine grâce aux éditions Martin de Halleux.
Cette parution s’inscrit dans la collection 25 Images des éditions Martin de Halleux qui propose comme il le dit d’année en années une réflexion selon les principes narratifs sans paroles de Frans Masereel. Des courts récits qui peuvent être lus en 30 secondes comme en trente minutes, c’est-à-dire portés par une histoire et des images assez fortes pour supporter le récit court et la relecture. La profondeur du propos, l’émerveillement ou le mystère sont autant de manières de capter le lecteur qui, dès les premières images, doit accepter de se laisser aller à s’abandonner dans l’univers que lui propose l’auteur. Avec Tardi, direction le cimetière du Père-Lachaise, ses corbeaux goguenards, le sourire charmant de la Mort et son sablier ailé. Tardi conserve pour le tragique et sanguinaire Adolphe Thiers une vengeance éternelle. Sur l’avenue de la Chapelle du cimetière du Père-Lachaise s’élève l’imposant mausolée d’Adolphe Thiers. Premier président de la IIIe République, il restera comme celui qui, en mai 1871, organisa la sanglante répression des communards.
Ici, le personnage de Tardi avait 20 ans en mai 1871 et, au crépuscule de sa vie, il entreprend un dernier voyage pour dire, une fois encore, sa rage intacte de communard. Avoir 20 ans en 1871 à Paris, c’est avoir connu les terribles combats de la Semaine sanglante et ses massacres ordonnés alors par Adolphe Thiers. Hommes, femmes et enfants, plus de 15 000 périront sous les balles et les baïonnettes de la troupe du pouvoir exécutif. Sept jours, du 21 au 28 mai 1871, qui seront nécessaires aux versaillais pour reconquérir Paris et mettre fin à la Commune.
Le 27 mai 1871, avant-dernier jour de l’insurrection, les communards sont acculés dans le Nord-Est de Paris et de terribles affrontements ont lieu au cimetière du Père Lachaise. Les combats sont féroces, à l’arme blanche, au corps-à-corps entre les tombes. En fin de journée, les versaillais prennent le contrôle du Père-Lachaise et fusillent 147 fédérés contre le mur d’enceinte du cimetière qui porte aujourd’hui leur nom et deviendra le lieu emblématique de la célébration de la Commune. On estime aujourd’hui le bilan humain de la Semaine sanglante à plus de 15 000 morts dans les rangs des fédérés, dont 12 000 fusillés, auxquels il faut ajouter un nombre inconnu de ceux qui ont été brûlés, jetés dans des puits ou dans des fosses communes. Du côté des versaillais, il y aurait eu entre 500 et 800 tués.
La tombe d’Adolphe Thiers est l’un des plus imposants édifices du cimetière du Père-Lachaise. En 1971, à l’occasion du centenaire de la Commune, un attentat y fut perpétré, mais sans grande gravité pour le prétentieux monument. Réservé aux visiteurs curieux et attentifs, un discret graffiti à l’entrée du mausolée est aujourd’hui toujours visible, ses lettres maladroites font apparaître trois mots presqu’effacés : « Vive la commune ». Tardi connaît bien le cimetière du Père-Lachaise que l’on retrouve régulièrement dans les aventures d’Adèle Blanc-Sec. Un lieu profondément ancré dans l’univers de Tardi qui l’associe à la fois aux histoires fantastiques de sa célèbre héroïne, mais aussi aux combats des communards et au souvenir de la sinistre Semaine sanglante de mai 1871. Dans l’œuvre de Tardi, 20 ans en mai 1871 est évidemment aussi à rapprocher du Cri du peuple, adaptation en quatre tomes du roman de Jean Vautrin.
Jacques Tardi vient ici ponctuer son travail de mémoire sur la Commune, rendant hommage, avec son empathie libertaire, aux jeunes fédérés d’alors dont les fantômes peuplent encore les allées du Père-Lachaise qu’il aime arpenter. Avec ce court récit, Tardi s’attache plus particulièrement à cet endroit emblématique de Paris qu’il affectionne et qu’il visite régulièrement en voisin. Les habitués reconnaîtront sous ses traits de crayon certaines perspectives, passages et tombes, comme l’étonnant monument orné d’un impressionnant pélican. Le trait de Tardi est sobre et toujours très enlevé, du noir et du blanc, sans niveaux de gris, tel que Frans Masereel l’affectionnait. L’humour et l’ironie pointent sous son crayon aux détours des yeux malicieux de la Mort avec son sablier qui, de page en page, égrène le temps qui passe. Quant au personnage principal, Tardi le dessine en vieillard titubant, malhabile sur le sol inégal, mais déterminé à avancer coûte que coûte vers les hauteurs du cimetière où trône l’immense tombeau d’Adolphe Thiers pour lui réserver, sous les regards goguenards des corbeaux, un dernier geste profanateur, une vengeance éternelle.
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