Interview : Pour Sylvain Venayre « Milady est le vrai héros des Trois Mousquetaires »

Il a travaillé le sujet, Sylvain Venayre. Les Trois Mousquetaires n’ont (presque) plus de secrets pour lui. Une certitude, Milady de Winter est le vrai héros, héroïne, du roman. Dumas a bien caché son jeu mais en travaillant le texte, Venayre a dévoilé cette intention secrète de l’auteur. Historien et universitaire, Sylvain Venayre a adapté les aventures des quatre bretteurs et de leur ennemie damnée, Milady, à laquelle il donne la vedette. Milady ou le mystère des Mousquetaires est à la fois une enquête, une thèse et une BD d’aventure plus proche du thriller que du roman de cape et d’épée. Sylvain Venayre a rencontré ligneclaire.info. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Sylvain Venayre
Sylvain Venayre ®

Sylvain Venayre, si on lit dans l’album, votre préface et votre postface très documentée, on a l’impression d’être dans une thèse littéraire sur les Trois Mousquetaires, avec une porte ouverte sur le personnage de Milady ? Qu’avez-vous vraiment voulu montrer ?

Mon inspiration vient de l’œuvre de Pierre Bayard qui a écrit Comment parler d’un livre qu’on n’a pas lu. Au départ, c’est l’inventeur de la critique policière. Il vient de sortir un ouvrage sur les Dix Petits Nègres. Avant il a fait Hamlet, le Chien des Baskerville. Son idée est de reprendre les théories de l’ère du soupçon, qu’un livre est coproduit par l’auteur et le lecteur. Si on passe un roman au crible, on peut y trouver des intentions, des thèmes cachés.

On se pose donc des questions quand on lit le roman de Dumas ? Votre postface est chirurgicale. Ce n’est pas plutôt une remise en perspective de Milady ? Du personnage ou du roman ?

Milady, pour nous, comme pour beaucoup de lecteurs, c’est le personnage le plus intéressant, adapté souvent, Lana Turner a joué le rôle. C’est la femme fatale, la grande ennemie de D’Artagnan qui le fascine. Parmi les idées plus originales de la lecture, c’est prendre au sérieux que c’est Athos qui raconte l’histoire à travers ses Mémoires, un classique pour les romans du XIXe siècle soi-disant retrouvés dans une malle. Athos est le plus représentatif des mousquetaires.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires Mais Milady manigance, le manipule, ce que le dessin montre bien dès le départ. Elle est torturée.

C’était un vœu du dessinateur de la représenter ainsi. Le comte de Wardes est le seul homme sincèrement amoureux de Milady. Il jouera sa vie pour elle.

On voit un D’Artagnan pas très sympa, Buckingham, un vrai méchant. Milady est une victime ?

Si on prend au sérieux que ce qu’elle raconte à Felton à la fin de l’album est vrai. Buckingham, pour le milieu dans lequel vit Dumas, est quelqu’un prêt à faire tuer des milliers de gens pour rien, un féodal. Richelieu est lui un moderne mais il se sert d’elle sans états d’âme.

On ne sait pas pourquoi Milady porte la marque de la flétrissure ?

Non, mais parce que Dumas lui-même n’en donne pas vraiment la raison. Elle serait partie jeune avec un prêtre défroqué et emprisonnée. Si elle avait tué quelqu’un, elle aurait été pendue. Milady traite D’Artagnan de lame d’épée, comme Dumas, ce qui n’est pas un compliment.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires

Milady, c’est un destin avec vous qui finit bien. La séductrice s’en tire. On sent qu’elle est très intelligente mais vous la sortez du contexte habituel du roman.

Oui avec Frédéric Bihel, le dessinateur, on peut même imaginer une suite à ses aventures. Elle est devenue l’agent triple zéro de Richelieu. Elle a rempli sa mission. Elle peut en faire d’autres et on exclut la fin mortelle des Trois Mousquetaires. La démonstration est de prendre au sérieux le récit du Comte de la Fère, donc Athos, qui aurait inspiré Dumas. On élimine les derniers chapitres écrits à priori par Maquet, pas par Dumas, complètement invraisemblables. Elle retrouve Constance par hasard, l’assassine alors qu’elle ne voulait que sa mise à l’écart. On tombe sur le bourreau de Béthune. C’est trop et en plus il n’y a plus aucune référence à l’histoire du XVIIe siècle.

Mais alors pourquoi Dumas aurait lâché la main à Maquet pour finir l’œuvre ?

On ne sait pas. C’est là où on peut faire intervenir la critique policière et, à partir du texte, imaginer quelque chose que l’auteur ne dit pas explicitement.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires

On est vraiment surpris par votre scénario. Vous connaissiez le dessinateur ?

C’est notre éditeur qui nous présenté. Il connait Les Trois Mousquetaires encore mieux que moi. Il a travaillé dans le style des gravures de l’Ancien Régime, avec beaucoup de crayon. On a décidé de choisir le noir et blanc. Il a pu changer un peu son propre style de cette façon.

Il donne à Milady un regard diabolique, ambigu, L’Exorciste au XVIIe siècle.

Elle est belle mais elle n’est pas classique. Effectivement, il maintient des jeux de regards violents. Il faut voir comment les gens la traitent. On tente de la tuer, on la méprise, on se joue d’elle.

Plus les viols de Buckingham. Une nouveauté.

Il faut accepter alors que ce qu’elle dit à la fin de l’album est vrai.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires Avec le dessinateur vous avez travaillé sur les personnages. D’Artagnan n’est pas gâté non plus. Ce n’est pas Jean Marais. Il fait primaire.

Ce qu’il dit c’est ce que Dumas lui fait dire. Le dessin c’est autre chose.

C’est un album où il n’y a pas une action classique de cape et d’épée ?

Oui, on peut ne pas s’apercevoir qu’aucun des innombrables duels n’est lié à l’intrigue politique. Quand les quatre font connaissance et se battent contre les gardes du cardinal, c’est un élément fondateur mais on n’en pas besoin pour l’intrigue politique. On peut réduire D’Artagnan à cette fameuse lame vivante évoquée plus haut.

La servante de Milady aussi sort du lot.

Oui, D’Artagnan la séduit et la manipule pour arriver dans le lit de Milady. On a besoin de la servante quand on tente d’assassiner D’Artagnan. C’est peut-être elle par dépit.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires

Comme scénariste historien, vous avez d’autres projets après Milady ?

Oui, car au début du mois de mai, on sort chez Futuropolis un 200 pages sur Moby Dick. C’est un projet qui a huit ans. A la recherche de Moby Dick fait alterner des scènes sur le bateau de Achab et des scènes dans Paris aujourd’hui. Puisque vous parlez d’adaptation, c’est intéressant. Toutes les adaptations de Moby Dick en particulier au cinéma et en BD n’ont toutes traitées que de la quête de la baleine blanche. Quelqu’un qui lit le livre constate que la moitié n’a rien à voir avec ça. On fait travailler une métaphore célèbre : pour connaitre une orange soit on fait le tour de l’orange, soit on perce l’orange et on va au cœur. La quête, c’est aller au cœur de l’orange mais les considérations de Melville c’est faire le tour de l’orange. Nous, on a aussi la quête mais aussi une interrogation contemporaine avec un vieux metteur en scène qui a échoué à mettre Moby Dick sur scène. Un journaliste qui lui demande pourquoi. Des personnages voyagent dans le Paris de Melville, dans tout ce que on n’adapte pas généralement dans Moby Dick. Qu’est-ce que ce roman a encore à nous dire aujourd’hui ?

Très sérieux tout ça.

Je ne suis pas romancier. Ni un scénariste classique. Le roman historique ne me concerne pas. On raconte une histoire mais on ne sert pas de la matière historique comme arrière-plan. On reste sur une base d’adaptation fidèle à l’auteur.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires

On parle beaucoup dans votre Milady. Vous parliez d’une suite ?

Il faut plonger dans l’album et donc dans le texte. Ce qui m’intéresserait bien c’est Vingt ans après mais il n’y a plus Milady. Donc il faudrait écrire un scénario pour lui inventer une vraie histoire.

Vous lisez de la BD ?

Beaucoup. Des classiques comme Corto Maltese et ce que je relis, c’est Franquin ou la série des Calvin et Hobbs. J’aime beaucoup Harambat, le Florida de Dytar. Et d’autres. Avec la BD on peut faire passer beaucoup de choses.

Milady ou Le mystère des Mousquetaires

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