Interview Sylvain Vallée : « dans Katanga, la caricature renforce le ressenti »

Avec Katanga (Dargaud), c’est le brillant duo de Il était une fois en France qui s’est reformé. Sylvain Vallée au dessin et Fabien Nury au scénario ont travaillé et préparé ce projet ensemble. Le Congo belge qui devient indépendant en 1960, une de ses provinces qui fait sécession, le Katanga, des mercenaires européens français et belges embauchés pour défendre en réalité les intérêts d’un trust minier belge, Sylvain Vallée a pu, avec tout son talent, se plonger dans un univers à grand spectacle. Il est revenu sur Katanga avec ligneclaire.info au salon du livre à Paris. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Sylvain Vallée
Sylvain Vallée. JLT ®

Sylvain Vallée, vous voilà de nouveau lancé avec Fabien Nury dans une aventure à arrière plan historique ?

Oui mais le contexte est très différent car pour Il était une fois en France, Sylvain avait déjà écrit le scénario avant que je n’assure le dessin. Pour Katanga c’est un projet commun. On a échangé longtemps sur ce que l’on pouvait faire ensemble. J’avais envie d’élargir le cadre aussi bien graphiquement que narrativement, sortir des décors confinés de Il était une fois en France. On a échangé sur des références de films qu’on aimait et on en est arrivé aux films de mercenaires peu recommandables tournés dans les années 70 ou 80. On s’est lancé. J’ai parlé par exemple de Un Taxi pour Tobrouk avec Ventura. Il fallait composer quelque chose d’attirant avec effectivement l’envie de politiser le sujet. Le Katanga avec les troubles des années soixante était parfait.

KatangaEt donc la grande Histoire en support ?

En fait, on s’est posé la question d’un récit mixte politique et action, ou ne travailler le thriller qu’avec les mercenaires. Fabien a avancé sur ces deux pistes en parallèle. On s’est dit qu’il fallait composer et on est parti au départ sur un diptyque aussi pour ces raisons là. On avait une trame politique et aventure avec des personnages pour la plupart romancés hormis bien sûrs quelques noms authentiques.

Votre travail a été plus compliqué cette fois ?

Je me suis documenté sur le sujet que je ne connaissais pas contrairement à Il était une fois en France. J’ai cherché photos, textes, le bouquin du colonel Trinquier, mercenaire français, est intéressant pour ces photos. Il montre des scènes de vie au quotidien avec une certaine intimité entre mercenaires. Il y a eu pas mal de bouquins sur les mines, l’Union Minière du Haut Katanga, l’UMHK dont une BD à la gloire de cette société. Et puis tous les reportages photos de Match ou télévisés de Cinq Colonnes à la Une.

Katanga

Comment avez-vous bâti le casting de cette course au trésor ? Il y a des personnages très différents.

C’est une bande de mercenaires un peu interchangeable avec Cantor le chef du commando, Charlie le Noir qui détient le magot et sa sœur Alicia qui veut le sauver. On n’a pas une galerie de portraits phénoménale. Charlie a d’autres motivations. Orsini, le commanditaire, on va mieux le connaitre dans le tome 2. On saura pourquoi il est au Katanga. Cantor sera aussi très présent dans la suite de l’aventure.

Diamants

Vous avez rencontré des difficultés ?

C’est plus l’ambition du sujet qui était redoutable. On n’était plus dans un huis-clos. On a élargi le propos et on a été propulsé dans une réalité forte. On n’a pas aseptisé non plus les faits qui ont été parfois encore plus violents que ce que je montre. Pour le dessin il fallait gérer un multi-portrait des personnages. L’environnement demandait des panoramiques et une gestion cohérente de la surface, 350 personnages dans une même case. J’ai travaillé dans un format papier beaucoup plus grand à cause de cela. Avec l’envie de ne pas restreindre la richesse du sujet et visuellement d’aller au plus haut du détail. Véhicules, troupes, jungle, il y a du « budget ». On ne peut pas y aller à l’économie.
Il fallait aussi donner du souffle aux personnages. Alicia, le personnage féminin est un peu en retrait mais va s’imposer. Les diamants, le trésor, c’est leur porte de sortie à tous. Ils n’auront pas d’états d’âmes. On n’aurait pas tenu dans deux albums. L’enjeu faisait qu’on n’aurait eu pas assez de place en particulier pour développer la trame historique avec Lumumba. D’où finalement un triptyque.

Katanga

 

C’est une époque peu connue le Katanga en 1961 ?

Plus connue des Belges que de nous. Il y a aussi l’Algérie en toile de fond où la France se bat et d’où vont venir pas mal de mercenaires. Ce sont en fait des Blancs qui profitent des richesses d’un pays noir et l’exploite jusqu’à déclencher une guerre. Ils font embaucher des mercenaires Blanc par des Noirs.

On est un peu dans une sorte de western politique ?

Le trésor est un prétexte. Orsini a un côté Foccart, le vrai monsieur Afrique du gaullisme, la France Afrique dans sa splendeur. On le verra dans le tome 2.

Dédicace de Sylvain Vallée

Vous avez utilisé un trait assez proche de la caricature.

La caricature peut être perçue comme ambiguë mais pour moi ce n’est pas le cas. La caricature est un outil de travail en bande dessinée. Le dessin réaliste est encore de la caricature comme le disait Franquin (merci à Didier Pasamonik pour le rappel de la référence). C’est un moyen technique pour spécifier les personnages. Sur Katanga les Belges sont caricaturés. Je gagne du temps. L’Allemand mercenaire est typé. On aurait eu un dessin académique pour Il était une fois en France, cela aurait trop sec. Il y a dans Katanga un ton iconoclaste qui ne pouvait pas être relayé par un dessin académique.
Katanga propose une lecture décalée et pourquoi pas parfois une part humoristique, des moments un peu comédie horrifique, une horreur que l’humour permet de faire passer. La caricature aide, donne plus d’ampleur, renforce le ressenti. J’ai un copain camerounais qui a lu l’album et ne m’a rien dit. Généralement, ce sont les gens autour de soi pas du tout concernés qui entament des polémiques.

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