Jack Wolfgang, critique gastronomique américain et agent de la CIA, est le nouveau héros de Stephen Desberg et Henri Reculé. Mais Jack est un loup dans un monde où humains et animaux, désormais évolués, semblent avoir trouvé un modus vivendi. En apparence seulement car Jack va découvrir qu’il y a des intérêts économiques qui attisent au sens propre du terme les appétits de certains. Un premier album d’une série qui innove, un joyeux et bon mélange des genres sur lequel Desberg (qui parle aussi de l’avenir du Scorpion) et Reculé sont revenus avec ligneclaire pendant le Lyon BD Festival. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Stephen Desberg, où avez-vos trouvé l’idée du nom de votre héros ? Avec le strip d’humour Wolfgang ?
S. D. : Pas du tout. En fait le titre ce n’est pas une idée à moi. Henri Reculé avait lancé le nom de Jack Wolfgang comme titre de travail et on l’a gardé. Et j’aime bien Mozart.
Après le nom, d’où vient l’idée du personnage ? L’animalier ce n’est pas trop votre style.
S. D. : J’ai toujours adoré l’animalier. J’ai grandi avec Disney. Les 101 Dalmatiens c’est le summum pour moi. Rappelez-vous que j’ai fait La Vache et Billy the cat. On a fait aussi le Dernier Livre de la Jungle. On était parti avant Jack sur les Mille et autres nuits qui n’a pas marché du tout. Pourquoi, je ne sais pas. Le contexte peut-être de pays arabes un peu fantasmé ? Donc on a eu de mauvais retours alors qu’on avait beaucoup travaillé. L’’éditeur nous a lâché très vite. Grosse remise en question pour nous. J’en ai parlé à Henri et soumis l’idée de mettre en scène des animaux.
Dans Jack c’est un mélange d’humains et d’animaux qui ont évolués. Un peu comme dans le Bois des Vierges de Dufaux et Tillier.
S. D. : Travailler avec des animaux était l’idée de départ. Je n’ai pas lu le Bois des Vierges. Je suis un grand fan par contre de Guarnido.
S. D. : Oui. Il y a dans Jack Wolfgang une part sociale et des humains. Les animaux sont déconsidérés. Pour se démarquer de Blacksad il me semblait intéressant de faire un monde dans lequel humains et animaux coexistaient depuis longtemps. On a eu beaucoup de réécriture du sujet, des hésitations. Depuis le début, il est toutefois agent de la CIA et critique gastronomique.
Vous êtes parti sur quelles bases ?
S. D. : J’étais sur quelque chose au départ de plus réaliste que la version finale. Jack était un loup qui avait été adopté par des humains. Il se sentait mal à l’aise. Il était pratiquement le seul à adopter un comportement d’homme dans un monde d’humains. Le projet a évolué. J’avais eu un peu l’impression avant de me lancer dans Jack d’être à la croisée des chemins. IRS et Le Scorpion marchent très bien et Le Scorpion à terme continuera mais vraisemblablement sans Marini. On ne sait pas qui prendra la suite. Il fait le 12e album. Il a un projet de polar, un diptyque de Batman et a envie d’écrire lui-même. A partir du tome 13 je continue sans lui et il pourra faire des one-shots si il a envie de développer l’un ou l’autre des personnages. On s’entend très bien et on trouvera des solutions pour l’avenir.
Vous étiez donc à un tournant de votre carrière de scénariste ?
S. D. : Oui. J’ai réalisé des projets mais qui sont restés moyens. On s’est dit avec l’éditeur que j’avais travaillé dans beaucoup de registres. J’aime bien le polar ou le thriller. On a tendance souvent à refaire ce qui marche et on se retrouve embarqué dans pleins de travaux. Les thèmes sont traités un peu de la même manière. Fallait-il continuer comme ça où se concentrer sur du neuf. Avec Jack Wolfgang il y a eu une vraie discussion avec Le Lombard. On a voulu mettre la barre très haut. On a réécrit le nombre de fois qu’il fallait le scénario, pareil pour le dessin et la couleur. On avait tous besoin de se dire « on va plus loin ». L’originalité du sujet était d’avoir des animaux et des humains dans un monde commun. Comment faire accepter ça aux lecteurs ?
Il fallait anticiper et poser des jalons logiques ?
S. D. : C’est ce qu’on a essayé de faire et notre éditeur a bien joué son rôle. Pas mal d’énervement et huit mois pour boucler le projet avec des risques de rupture. On avait envie de se comprendre. Quand je vois le résultat aujourd’hui par rapport aux premières versions je suis satisfait.
Vous avez inventé une base acceptable, un polar noir, de l’humour et finalement une part sociale et même économique un peu tordue par moment proche de la réalité.
S. D. : J’ai adoré le film Kingsman, un humour au 2e, 3e degré, avec de l’action, un mélange de tons qui créé une proximité avec les personnages. C’est un peu le même registre.
Dans Jack il y a des gentils et des méchants dans tous les camps. Vous formez aussi un couple vraisemblable pour le futur, Jack de la CIA et Antoinette la panthère française des STUPS ?
S.D. : Oui ils sont amenés à se revoir. Un autre aspect de ma remise en question était de ne pas accumuler que des projets que j’aime bien faire. Et aussi le problème de la forme. A l’époque du Scorpion on pouvait faire une série à rallonge. Aujourd’hui cela ne fonctionne plus. Les lecteurs aiment avoir des séries courtes, ou des diptyques au pire. Le plus efficace est un album seul qui sera plus porteur pour la série. Je suis content d’avoir dans ce premier Jack une fin et un duo potentiel. Dans un scénario, le lecteur sent qu’on donne des détails qui serviront plus tard. Je voulais donner et Henri est d’accord avec moi, le maximum dans cet album et que la série démarre fort. A nous de faire encore mieux ensuite.
Henri Reculé, les personnages une fois inventés il faut les faire vivre. La crédibilité ça va avec votre dessin ?
H. R. :Oui au départ le scénario était plus sombre avec des animaux qui avaient été manipulés génétiquement. L’idée des animaux qui avaient muté au fil des siècles, il y avait moyen de travailler autrement. Il fallait faire des animaux qui avaient évolué. Dans Blacksad ce sont des animaux à corps humains. Moi il fallait que je vois comment faire fonctionner les deux univers, un animal dans un costume mais qui reste un loup. Un peu comme dans le Dernier Livre de la Jungle mais dans cet album ils restaient des animaux. Dans Jack, les humains devaient être plus caricaturaux pour que la différence soit plus marquée, avec parfois un petit côté manga. La secrétaire humaine de Jack on peut la rattacher à certains dessins animés. Il fallait rendre les choses intéressantes pour le lecteur, piquer sa curiosité.
A un moment ils reviennent à l’état sauvage ?
H.R. : Cela a été un passage difficile. Ils gardaient quand même une part humaine. Il y a des vaches qui broutaient dans un pré mais on triche un peu.
Les personnages sont savoureux. Cela repose sur le dessin novateur, moins classique ?
S.D. : Bien sur. Avec la surproduction aujourd’hui en BD j’en suis arrivé à la conclusion que les gens qui ont un dessin franco-belge sont perçus comme un peu vieillots.
H.R. : Le film Zootopie est arrivé après. Au départ pour Jack, j’ai été inspiré par les comics américains. On a eu peur de retrouver notre histoire dans Zootopie. Ce qui n’est pas le cas. Dans notre projet si on change les animaux par des humains rien ne fonctionne. C’est le mélange des deux à jeu égal qui fait la différence.
L’ambiguïté de l’environnement a un rôle important ?
H. R. : C’est aussi lié à qui mange qui. Le risque sous-jacent est que les animaux redeviennent sauvages. Le produit miracle le tofu Qwat est la solution en apparence.
S. D. : Ce monde de Jack est très réaliste. On est à Paris, New York. Une des qualités c’est que c’est plausible dans un album de 60 pages mais qui se boucle. C’est dans l’air du temps.
Comment vous travaillez Henri Reculé ?
H. R. : Je travaille totalement sur ordinateur. Je fais mon découpage sur plusieurs calques. Quand je suis satisfait je fais un crayonné noir. Je gagne du temps, je peux revenir dessus comme on discute beaucoup dès le premier dessin. On ajoute une scène. Les voitures sont des modèles en 3 D. Je n’aime pas les dessiner. Avec tout ce qui est pénible sur papier on gagne du temps. Cela fait dix ans que je travaille comme ça. Cela me permet aussi d’aller plus loin. Je n’ai plus de raisons de refuser de revenir sur un décor.
Vous avez eu à éliminer des personnages ?
S. D. : On se pose beaucoup plus de questions qu’avant chacun à son niveau. On a laissé de côté des idées qui nous semblaient marrantes car on partait dans un sens moins logique. La problématique était qu’il y avait au départ peu de personnages et Jack le seul animal et en plus un agent secret. Comment faire accepter ça au lecteur ? J’au eu dernièrement une réflexion amusante sur le second degré de Jack Wolfgang. Est-ce que c’était vraiment du second degré ?
C’est quand même un polar dur même si il y a de l’humour. Il y a du racisme avec le patron de la CIA, ils tuent des animaux. On n’est pas si loin d’une certaine vérité basique. Et dans un thriller.
H. R. : Ce n’est pas que du premier degré non plus. C’est plus léger que Casio, plus détendu. Dans le prochain ce sont les pigeons qui se rebellent. Et il y en a un qui est le méchant, un milliardaire qui va faire une OPA sur un prix Nobel. Le scénario est fini et j’ai fait une vingtaine de pages. C’est pour juin 2018.
Quels sont vos projets Stephen Desberg ?
S. D. : Je vais faire une suite chez Dupuis de SOS bonheur. Van Hamme avait fait trois albums, deux albums de trois histoires et un album complet. Est ce que ce n’était pas un peu artificiel ? On fera un premier album qui est une seule histoire en 100 pages pour que le lecteur dise si il aime ou pas. Il aura son opinion sur le projet.
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