Stéphane Piatzszek est un scénariste qui aime l’Histoire, la petite dans la grande, avec sa part de romanesque. Mais plus encore, comme il l’a confié à ligneclaire.info, la géographie. Il a à son actif une trentaine d’albums et plusieurs sorties récentes dont certaines, comme le tome 1 de La Promesse de la Tortue, reportées pour cause de virus. Il y a eu aussi, juste avant le confinement, Kilomètre Zéro ou Le Vieux Docteur. On se souvient de La Cour des Miracles, Les Maîtres des Îles ou l’excellent Commandant Achab, un polar efficace. Il habite Mulhouse et s’est intéressé aux chocs vécus par sa région d’adoption, l’Alsace. Stéphane Piatzszek a évoqué avec Ligne Claire sa carrière et son actualité. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Stéphane Piatzszek, vous êtes un auteur réaliste. Vous travaillez sur des bases historiques, sur des récits contemporains qui excluent le fantastique par exemple.
Auteur réaliste ? Je ne sais pas vraiment ce que vous voulez dire par là. Mes récits sont peut-être réalistes mais surtout romanesques. C’est vrai que j’ai écrit des polars réalistes un certain temps chez Futuropolis. Mais après je me suis dirigé ensuite vers l’historique.
Oui, j’étais prof d’Histoire. On a un tropisme évident vers l’Histoire mais ça peut changer. J’aime plus, en fait, la géographie que l’Histoire. Au moins autant et il y a des lieux qui m’inspirent, que je trouve magiques et qui me donnent envie de raconter des histoires.
Parlons alors géographie, ce qui nous amène à l’Île de la Tortue où se passe votre dernière série. La Cour des Miracles, une autre de vos séries, c’était aussi un lieu géographique ?
Bien sûr. Évidemment. Les deux se ressemblent car elles parlent à notre inconscient collectif. Tout le monde connait l’une et l’autre. Et personne ne les connait en fait vraiment. Qu’est-ce qu’on sait de ces endroits ? Peu de choses et donc je trouvais intéressant d’aller les explorer.
La Cour des Miracles, on la connait de nom, à partir du récit d’Hugo dans Notre Dame de Paris, mais il y a très peu de traces de ce lieu en pleine capitale devenu mythique ?
C’est ça aussi qui vous fait écrire et inventer vos scénarios, partir tel un explorateur à la découverte d’un monde perdu ? L’Île de la Tortue, on en a également une image. Les pirates, les boucaniers, dans La Promesse de la Tortue, titre de la série, vous partez sur des bases historiques ?
Oui, tout à fait. Je voulais savoir comment vivaient vraiment les boucaniers et les pirates quand ils n’étaient pas sur leurs bateaux. Comment fonctionnait l’Île au jour le jour. Au-delà du mythe.
Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre en scène ces trois destins féminins différents, à la vie à la mort ? C’est l’image de personnages de femmes pirates qui vous a tenté ?
Non, pas du tout. C’est d’écrire une histoire de pirates qui n’en n’est pas une. Parler de pirates, j’en avais envie depuis longtemps. Je cherchais un point de vue différent. Je voulais parler de l’Île de la Tortue, de la vraie. Ce n’était pas qu’un repère de pirates. Il y avait une vie. Un gouverneur, des paysans, une vie portuaire, des boucaniers. On est plus souvent à terre dans mon histoire que sur un bateau. C’est ce qui m’intéressait et c’était une autre aventure autant que sur mer. Les pirates à la maison. En lisant un bouquin sur la piraterie je suis tombé sur ce gouverneur qui aurait fait venir des femmes de France, raflées dans les prisons. Pour sédentariser les pirates. Mais on n’est pas certain totalement de la véracité des faits. C’est parti comme ça. On voit aussi que ce sont des corsaires avec lettre de course et donc le pouvoir royal prend une part des butins. Je voulais retrouver la chair des habitants tout en étant romanesque.
Une histoire c’est toujours un point de vue. J’aime faire parler les femmes parce qu’elles m’émeuvent plus que les hommes. Cette jeune femme de Kilomètre Zéro, elle est à la fois dans son époque et dans la nôtre. Ce sont deux époques proches l’une de l’autre avec une mutation industrielle aujourd’hui comme la leur avec l’arrivée du chemin de fer.
C’est l’histoire d’un homme qui met en jeu sa fortune parce qu’il croit au chemin de fer. Il a existé ?
Encore une fois c’est romanesque mais tout à fait authentique. Un type qui est l’homme le plus riche d’Alsace met tout son argent au service de sa vision. Un bâtisseur. Mais une tragédie dans la réussite.
Le fait que vous vivez en Alsace, à Mulhouse, joue sur le choix de certains de vos scénarios comme pour Une famille en guerre ou Kilomètre Zéro ?
Une Famille en guerre, l’ambiguïté délicate de la vie alsacienne surtout de 1940 à 44, pourquoi avoir eu envie de traiter ce sujet de gens pris malgré eux entre plusieurs feux ?
C’est une région qui est entre France et Allemagne. Elle a une identité très heurtée. On a parlé beaucoup de l’Occupation en France mais l’Alsace n’est pas occupée, elle est redevenue allemande dès la défaite de juin 1940. On connait les Malgré nous, Alsaciens sous uniforme allemand mais c’est la partie visible de l’iceberg. L’Alsace a été traitée comme une partie de l’Allemagne et donc nazifiée. Elle a beaucoup souffert de ça. La vie au quotidien des Alsaciens n’avait pas souvent été évoquée. Les Alsaciens étaient allemands avec tout ce que cela a suscité comme conflits en interne violents. Je me suis inspiré du journal intime écrit pendant la guerre d’un professeur de lycée en Alsace. Je voulais aussi parler du vin et la guerre. Le tome 2 est en cours de dessin par Espé, il sortira dans un an, et on ira jusqu’à la Libération avec des retours de nos jours.
Pour revenir à votre actualité récente vous nous avez surpris avec Le Vieux Docteur, l’histoire de la création de l’ostéopathie ?
Un homme étonnant et méconnu, il crée une médecine douce aux USA qui a largement pris place en Europe. Les recherches ont été simples ?
Oui, il a écrit son autobiographie et il y a des livres sur lui. On a toujours dans ce genre de récit des espaces très précis et d’autres moins clairs qui permettent de broder. On peut extrapoler. Et là je suis à l’aise. Avec lui, on a des traces fortes et d’autres qui permettent d’aller plus loin.
Quand vous créez vos scénarios, c’est toujours une idée à vous ou une demande d’un éditeur ?
C’est toujours moi. Je ne suis pas un scénariste de commande. En général, je donne au dessinateur un scénario clé en mains. Très fini. Dans une trilogie, il a souvent les trois albums terminés. Je livre mes histoires quand elles sont très abouties.
Et comment se fait le choix du dessinateur ? Vous le connaissez, ou pas ? C’est l’éditeur qui vous met en rapport ?
Comment travaillez-vous ? Vous avez plusieurs scénarios au feu en même temps ? Vous alternez ?
J’ai une idée d’histoire en tête que je veux raconter. Quand je sais comme le faire, j’essaie de tout écrire, de rester dedans du début à la fin, même si c’est une trilogie. Sinon c’est toujours un effort assez violent si on fait un livre, si on passe à une autre, de revenir. Difficile de s’immerger à nouveau, de se remettre dans la tête les personnages.
Vous avez des séries en marche mais aussi d’autres en projets ?
J’ai encore un autre projet chez Bamboo, une histoire américaine autour du vieux New York. On commence avec Meddour au dessin. Le titre provisoire serait Arizona Joe, le vagabond de Wall Street. Un titre long qui me tente alors que je suis abonné aux titres courts. Pour l’instant c’est tout. J’ai traité de beaucoup de périodes et j’ai envie de souffler, de chercher d’autres sources d’inspirations. Pourquoi pas revenir au polar. J’avais été déçu par l’arrêt d’Achab.
Non. J’adore les westerns mais cela ne me tente pas. J’ai le sentiment d’avoir fait un peu le tour de ce que j’avais envie de raconter. Je vais me poser. Je lis beaucoup de romans actuellement.
Quel lecteur êtes-vous ?
Je lis beaucoup de romans américains mais aussi des classiques français. Je suis un gros lecteur et pas du tout un lecteur de BD. J’en lis très peu. Je suis arrivé à la BD par hasard. J’étais journaliste à Libération et on m’a proposé d’aller à un festival pour traiter de possibles adaptations au cinéma. J’ai lu beaucoup de BD à ce moment-là et ce qui m’a plu, c’est la richesse, la liberté que l’on a en BD. Je travaillais aussi à cette époque pour des scénarios TV mais avec des contraintes lourdes. En BD, pour celui qui voulait écrire une histoire, il n’y en avait pas. Et voilà. Pour le plaisir de l’écriture, sans influences de lecture BD pendant ma jeunesse. J’ai actuellement très envie de lire Gipi en BD.
Comment ressentez-vous ce que nous vivons aujourd’hui, virus, confinement ?
Comme une autre vie qui commence. C’est rude et c’est inédit. Nous sommes face à un monde qui change avec toutes les conséquences possibles, prévisibles ou pas.
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