Depuis le tome 11, Stefano Martino dessine Les Forêts d’Opale imaginées et scénarisées par Arleston chez Soleil. Avec son trait riche et précis, il a su séduire les amateurs de la série. Il a raconté à ligneclaire comment il avait vécu cette aventure et sa collaboration avec Arleston. Voici l’intégralité de son interview dont des extraits ont paru dans le numéro de ZOO de novembre 2020. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC. Merci à S.Martino pour ses illustrations, travaux préparatoires et pages.
Comment êtes-vous arrivé Stefano Martino dans cette aventure ?
Je ne sais pas vraiment. Je pense que cela remonte à un Festival d’Angoulême où j’ai rencontré Arleston pendant une séance de dédicaces. Il a dû voir à ce moment là mon dessin. J’avoue que je ne m’attendais pas à être contacté. Quand Soleil m’a appelé pour me dire qu’Arleston, dont j’avais lu les albums, voulait travailler avec moi, ça m’a fait un choc. J’ai dit « Quoi ? » Je croyais à une blague. Cela dit, j’avais déjà beaucoup fait de Fantasy auparavant ce qui m’a aidé.
Et de la BD réaliste aussi. Vous avez un dessin qui en général, même pour votre reprise des Forêts d’Opale est très précis, avec beaucoup de relief. Vous aviez un cahier des charges ?
J’avais déjà lu toute la série des Forêts. Il fallait que j’ai en tête tous les détails car c’est un monde très riche. Avec un public qui en connait les références ce qui m’obligeait à coller à l’univers. Ce n’est pas une obligation technique qui m’a été imposée. C’est une obligation morale pour un dessinateur de suivre les traces de ceux qui ont travaillé avant sur un monde aussi fort. J’ai reçu tous les albums que j’avais déjà lu mais perdu au cours de mes très nombreux déménagements. J’ai étudié tous les personnages. Comme dans le tome 11, on les a tous changés graphiquement, cela m’a donné une grande liberté qu’Arleston voulait que j’ai en fait. Cela m’a permis de rentrer dans la série en lui donnant tout ce que je pouvais. J’ai imaginé des personnages nouveaux, des détails en toute liberté. Travailler avec Arleston a été très agréable.
Libre, mais à la base il y avait le scénario d’Arleston ?
J’ai fait une planche. Il m’a dit qu’il fallait garder le maximum de détails très fins car c’est une caractéristique des Forêts d’Opale. Il y a aussi quelque chose de très important, l’intégration dans les cases des sons, des onomatopées, son écriture. Je n’y étais pas habitué. Je ne faisais avant que le dessin, pas le lettrage. C’était très nouveau pour moi mais intéressant ce graphisme du son. Arleston m’a demandé d’en ajouter.
On est dans un dessin très marqué. Le fait d’avoir fait évoluer les personnages était volontaire à cause du changement de dessinateur ? Ou pas ?
Je ne sais pas vraiment mais dans ce cas cela permet d’être plus à l’aise. J’imagine qu’Arleston a voulu m’aider peut-être en faisant ce choix. Lui seul peut répondre.
Facile ou compliqué de vous intégrer à cet univers ?
Facile parce que le scénario est très bien écrit et me montrait ce que je devais faire. Sauf que le faire était parfois compliqué. Il y avait des mondes entiers à dessiner. On ne peut pas agrandir le temps. A la fin de la journée, je n’avais souvent fait qu’une demie planche donc cela a été beaucoup de travail mais passionnant. J’ai travaillé autrefois en Italie sur des séries qui ne me plaisaient pas beaucoup. C’est difficile. Cette fois, avec le plaisir que j’y ai pris, je suis curieux de savoir ce qui va se passer, comme un lecteur qui lit l’album, donc c’est parfait.
Reprendre les Forêts n’est pas un travail de commande banal. On voit l’investissement et le plaisir ce qui n’empêche pas les écueils. Il y a une très nette différence entre votre album et le précédent. Vous travaillez de façon traditionnelle ?
Le crayonné est classique, l’encrage sur écran. Pour gagner du temps. Le plus dur est le crayon. J’ai un an pour un album et il y a énormément de détails. Je vois ça comme une bonne chose mais aussi comme un défaut. J’adore Frank Miller en noir et blanc qui avec deux traits raconte une histoire. Il y a tout. Comme j’aime aussi Giraud, Moebius avec des planches très riches. Les Forêts ont besoin de ça. C’est un signe d’identité.
C’est une série qui a une histoire. Et ce n’est pas simple à prendre en marche. Vous avez pu y apporter vos propres influences ?
C’est vrai. Il y aura à priori une dizaine d’albums au total. Les années à venir vont être chargées. Les personnages, quand je les envoyés à Arleston, avaient des différences que j’avais trouvées. Il les a validées. Il y a eu un échange permanent, ce qui est rare entre scénariste et dessinateur. Et impossible à l’étranger. Donc c’est un projet où le scénariste m’a écouté. On a décidé de choses ensemble. On a eu des rapports professionnels mais faciles. C’est un problème d’ego. Il y a des artistes qui ont un égo énorme. Ils sont bons mais moi je n’ai pas temps de m’occuper des problèmes d’ego. J’ai plein de choses à apprendre, à comprendre, à vivre. Je sais faire mon boulot. Si un éditeur voit chez moi quelque chose qui ne marche pas je le changerai sans états d’âme car il faut que la série fonctionne. Mon ego n’a rien à voir là-dedans.
Cet album est plus violent que d’habitude. Ce sont les lecteurs qui ont évolué et en demandent plus ?
Oui, il y a des scènes qui m’ont marquée mais c’est aussi le talent du scénariste qui a pris en compte l’évolution de sa série, le public est différent, a évolué dans ce qu’il veut trouver dans une série de Fantasy.
Plus proche de ce qu’il voit à la TV ?
Arleston est resté fidèle à ses principes. A ses propres idées. On n’est pas dans une copie de Game of Thrones. C’est un mélange. J’imagine qu’Arleston a évolué comme tout le monde.. Quand on est dans un monde déjà vu, une ville, des personnages je les respecte. Si on passe à un univers nouveau, je peux en parler avec Arleston et faire des propositions. Imaginer des monstres c’est facile, je l’ai fait souvent. Plus compliqué a été pour moi d’adapter une série TV (Docteur Who) dont les personnages sont aussi des héros de comics. L’agent de l’acteur venait dire qu’il devait être plus beau dans le dessin. Dans la BD franco-belge, c’est simple, plus artistique.
Vous aurez le temps de faire des albums autres en parallèle ?
Oui j’ai des projets. J’ai signé chez Glénat où je ferai scénario et dessin. J’ai déjà des planches. Il devrait y avoir trois albums. Le titre provisoire est Atlantide. Je vais raconter l’histoire de l’Atlantide avant sa disparition. Atlantide est un mélange avec de la Fantasy mais sans monstres. Au total ça fait deux séries lourdes à gérer. J’ai aussi un projet pour apprendre à programmer un ordinateur pour faire des jeux vidéo. C’est une autre passion. Les jeux vidéo aujourd’hui racontent des histoires. Mais c’est très compliqué, très ingrat mais super. La BD reste ma priorité. J’ai aussi travaillé l’animation mais c’est trop lourd, trop cher.
Pour les Forêts, les personnages vont retrouver un jour leurs physiques initiaux ?
Bonne question mais je ne sais pas. Mais où sont les corps ? Cela va être difficile de revenir en arrière mais encore une fois c’est à Arleston qui a la réponse.
Oui mais ils ont évolué et acquis plus de possibilités. C’est un pari non ? Il y a aussi plus d’humour qui contrebalance la violence.
Rodombre était un vieillard, maintenant il est très puissant. Il se trouve très bien ainsi. Altaï est plus sexy. La psychologie des personnages est très forte. Le tome 2 devrait être bientôt fini. De l’humour, oui mais quand il précède la violence, elle en devient plus dure. C’est plus dans une lignée qui colle à la réalité, aux goûts actuels. On y accède plus facilement.
Qu’est-ce que vous aimeriez aborder en sujets, en thématiques ?
Je suis très content de ce que je fais aujourd’hui. Mais il y a des choses difficiles à proposer à un éditeur. J’ai grandi avec Druillet, Moebius, Bilal dont la façon de raconter des histoires n’existe plus. A leur époque, il y avait une vraie révolution graphique. Aujourd’hui, on fait de l’Histoire, du classique. J’aimerais faire une série de petites histoires surréalistes, au dessin différent. Mais comment la présenter ?
Il y a moins de prise de risques chez les éditeurs ?
Oui, car ils ont peur de perdre des parts de marché. Chercher des séries nouvelles, investir, c’est dur. Mais le marché franco-belge reste pourtant le plus ouvert, innovateur. C’est une question de casting pour un auteur. On va voir avec Les Forêts d’Opale qui est une suite mais finalement très différente. On verra comment le public la reçoit.
Les Forêts d’Opale, Tome 11, La Fable oubliée, Soleil, 14,50 €
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