Avec Stalag IIB, mon retour en France (Casterman), Jacques Tardi publie la suite très attendue de la mise en images des carnets de routes de son père, tankiste en 1940 et fait prisonnier par les Allemands. Dans son journal, à l’évacuation de son Stalag, René Tardi avait continué à tenir son journal, inscrivant les noms des villages, des endroits où avec ses compagnons d’infortune, il était passé pendant les quatre mois qu’allait durer leur calvaire sous la garde toujours agressive des soldats allemands. Le tome 1 décrivait avec la vie au quotidien au Stalag, dans ce tome 2, de fin janvier 1945 à mai de la même année, on suit René Tardi pas à pas, toujours flanqué d’un jeune garçon, témoin et futur Jacques Tardi qui sert d’interlocuteur à son père. Un retour qui était très attendu. Un album d’une force rare, émouvant, d’une rare humanité, qui remet aussi les pendules à l’heure avec la grande Histoire dans laquelle ces hommes sont embarqués, histoire de ne pas oublier.
Ce sont ces pas de fourmis que raconte Jacques Tardi qui avait interviewé son père dans les années quatre-vingt et qui s’est rendu sur place pour mettre ses pas dans ceux de son père : « Je suis allé en Pologne pour retrouver l’emplacement du Stalag IIB. Et je me suis aperçu que des milliers de prisonniers étaient morts dans ce camp dont énormément de Russes dont je parle dans le tome 1 ». C’est aussi pour Jacques Tardi une occasion, parfaitement intégrée au découpage de l’album, de remettre en situation et avec précision l’histoire de ces années noires, de la déportation, des rafles en France, du nazisme, de ses dignitaires, du laisser faire du peuple allemand. Mais aussi des bombardements alliés massifs sur l’Allemagne. René Tardi marche, l’Histoire l’accompagne. Il y a les faits du quotidien, Clapier le copain abattu mais retrouvé, les unités mobiles allemandes d’extermination, le bain dans la Baltique, l’oreille gelée ou la colonne de déportés croisée le long de la route, une douche chaude, la mort compagne de marche.
Et puis il y aura les gardiens, les Posten, pendus par les prisonniers. « Dégueulasse » lui dit son futur fils à René qui ne répondra pas en manipulant le pistolet pris au chef de groupe. René a mal au dents quand les Russes se pointent et qu’il part rejoindre de l’autre côté de la rivière les Américains qui auraient bien fait un non stop jusqu’à Berlin. René Tardi, dans la pagaille grandiose qui règne, finit par arriver à Valence le 23 mai 1945 et tomber dans les bras d’Henriette. Pour la suite, rien n’est dit comme nous le confiait Jacques Tardi : « On verra ensuite si je reviens sur mon père, militaire de carrière, qui retournera en Allemagne mais cette fois avec les forces françaises d’occupation ».
Dessiné en noir et blanc, en bases de gris, l’album reprend de la couleur au moment où les gardiens allemands sont exécutés. Du rouge bien sûr, puis un drapeau tricolore, une étoile sur un char soviétique, des drapeaux alliés ou nazis, des Focke Wulf à nez jaune. Mais ce n’est qu’aux dernières pages que Tardi, son père est de retour en France, colorise totalement son dessin. La charge émotionnelle est violente dans ce Stalag IIB. Il n’y aucune concession, pour personne, un témoignage brut avec ses questions parfois sans réponses. C’est aussi un hommage. On sent toute l’affection de Jacques pour René, du fils pour le père. Digne et timide même. Quant au dessin, qu’en dire ? Il envahit, il submerge et étreint. Un voyage au bout de la nuit, selon Tardi.
Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB, Tome 2, Mon Retour en France, Casterman, 25€
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