A l’occasion de la venue de Thomas Legrain, dessinateur de Sisco, pour une dédicace à la librairie Azimuts à Montpellier le 7 juin, voici l’enquête réalisée par Ligne Claire sur cette série policière atypique. Ce texte a aussi paru dans le mensuel de BD Zoo.
Il porte le nom d’un petit village corse. Sisco, agent très spécial de la République française, est le héros d’une série musclée et nerveuse au Lombard.
Sisco est chargé de la sécurité du président de la République. Un garde du corps qui est aussi l’exécuteur de ses basses œuvres. La raison d’état est son credo. Le créateur de Sisco, Benec, est un Janus à double visage. Informaticien le jour et scénariste la nuit ou en vacances. C’est le suicide de François de Grossouvre dans son bureau de l’Élysée en 1994 qui a été le détonateur pour Benec. Grossouvre était un proche de François Mitterrand. « Et si c’était un suicide arrangé ? Sur ordre. J’en ai tiré une histoire rocambolesque pour les débuts de Sisco en me demandant ce qui me plairait si c’était moi le lecteur. Avec Sisco on passait du côté du méchant mais sans faire une histoire immorale », pas vraiment un salaud ajoute Benec mais « un type qui est du bon côté du bâton ».
Sisco, avec Thomas Legrain au dessin, est tout de même un affreux, limite malfaisant. Benec l’a humanisé au fil des albums. Dans le tome 6 qui clôture le diptyque new-yorkais entamé avec le 5, Kalachnikov diplomatie, Sisco joue du flingue mais montre ses faiblesses. Faut pas toucher à la famille d’un Corse. Le scénariste s’est librement inspiré d’affaires assez récentes. Au train où vont les choses dans notre doux pays Sisco a du pain sur la planche. Il travaille pour le président dont on ne voit en fait jamais le visage dans les albums. Au lecteur d’imaginer celui qu’il veut, c’est le choix du scénariste. Astucieux Benec, un passionné d’histoire contemporaine mais qui n’a pas voulu remonter aux années soixante avec les « barbouzes », ancêtres de Sisco, mis en place officieusement pour lutter contre l’OAS à la fin de la guerre d’Algérie.
L’envers pourri du décor
Pour captiver les lecteurs Benec se sert des affaires « qui ont encore un écho dans la mémoire collective ». Dans les tomes 3 et 4, c’était clairement l’affaire Mazarine, la fille cachée du président, qui était évoquée et revisitée bien sûr. Quand on demande à Benec s’il croit que la France a un réseau parallèle avec de vrais Sisco il est clair : « Si l’envers du décor est pourri je n’ai pas envie de croire que cela existe sur le territoire français. Des unités spéciales et des actions ponctuelles extérieures ? Sûrement. Je garde le sabotage du Rainbow Warrior par la DGSE dans mes cartons. Par contre, un état comme Israël avec le Mossad ne s’est jamais caché d’accomplir ce genre d’actes « définitifs ». Ou les Américains avec Ben Laden.
Comme Benec le montre dans le dernier Sisco, si nos politiques peuvent encore avoir quelques états d’âme, d’autres n’en n’ont pas. « Les maffias des pays de l’Est, ou la Russie de Poutine, vont au bout d’une logique implacable. Des opposants sont éliminés. Les maffias s’imposent par la violence pure à l’étranger parfois sans que cela se sache ». Des scandales qui sont vite enterrés.
Avec Sisco, dont Legrain maîtrise le dessin qu’il a bien su faire évoluer au fil des albums, on est aussi dans l’univers des séries TV américaines. Benec aime le genre. Leur écriture est stricte. La sienne aussi. « La série est une référence pour un scénariste. Le découpage, le rythme. Celle qui m’a le plus marqué dernièrement est Person of interest ». Autre référence pour Benec, Michel Audiard : « des dialogues truculents, décalés ». Sans oublier celui qu’il considère comme un maître en matière de scénario BD, Jean Van Hamme avec Largo Winch ou, aujourd’hui, la relève avec Fabien Nury.
Un feu de paille, l’affaire Cahuzac ?
Sa passion de l’actualité rend Benec prudent. « Je ne veux pas faire de lien avec une actualité immédiate. Une affaire peut provoquer un énorme feu d’artifice médiatique et retomber deux mois après ». Les lecteurs de Sisco vont en prendre plein la vue dans ce tome 6. La vie de sa sœur est en jeu. La France a décidé devant l’ONU de s’attaquer aux régimes qui profitent de la drogue. Sisco va être en colère et jouer une symphonie en rouge vif.
Et Benec a la suite en tête plus quelques autres projets dont une aventure indochinoise et un récit d’anticipation qui mêlera thriller à nouvelles technologies. Enfin quand on lui parle de l’affaire Cahuzac qui colle bien avec l’univers de Sisco, Benec n’est pas certain qu’on ait vraiment voulu ou pu faire le ménage. Un feu de paille qui permet de passer à autre chose ou de détourner l’attention ? Pourquoi pas.
Jean-Laurent TRUC
Sisco, Tome 6, Négociations en 9mm, de Benec et Legrain, Le Lombard, 48 pages couleurs, 12 €
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