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Seules à Berlin, deux femmes en guerre

Une chronique qui prend tout son sens en ce 8 mai, date anniversaire de la capitulation allemande de 1945. Deux destins, qui par le hasard de l’Histoire, vont se croiser. Deux femmes en guerre, une Allemande dans un Reich qui agonise en 1945, une Russe qui, avec l’Armée Rouge, lui porte le coup de grâce. C’est Nicolas Juncker qui a en a tracé les contours précis, une rencontre qui comme il nous l’a dit dans son interview a rassemblé et adapté deux témoignages distincts, le livre « Une Femme à Berlin », anonyme (Gallimard), et « Carnets de l’interprète de guerre », d’Elena Rjevskaïa (Christian Bourgois) pour en faire un seul et même album, Seules à Berlin. Un ouvrage d’une intensité rare sans la moindre concession, plongé dans une violence implacable que Juncker mène au bout de la nuit mais en lui donnant justement une lueur d’espoir. Deux femmes que tout oppose vont peut-être retrouver une part d’humanité ensemble. Un ouvrage important et puissant à acheter dès que possible.

Berlin est un champ de ruines. Ingrid l’Allemande, en cette fin d’avril 1945, vit comme elle peut, travaille pour la Croix Rouge dans une ville qui ploie sous les bombes et sait que la fin est proche. Plus de ravitaillement, bébé qui hurle de faim, gamins en arme, SS impitoyables, Ingrid en a épousé un dont elle n’a plus de nouvelles. Les Russes entrent dans Berlin, la chasse aux femmes allemandes va commencer. Elena Rjevskaïa est officier interprète au NKVD. Elle arrive dans un Berlin en flammes. L’Armée Rouge plante son drapeau en haut du Reichstag. Elena tient un journal bien que ce soit interdit. Le NKVD, police politique toute puissante, est redouté par les troupes russes. Hitler se suicide. Mais le corps retrouvé est-il le sien ? Elena tombe sur les journaux de Goebbels. Elena, qui parle allemand, réquisitionne une chambre dans l’appartement où habite Ingrid.

Nicolas Juncker confronte deux visions qui sont, au départ, basées sur la peur, la méfiance, la haine, la guerre. On règle les comptes, les massacres commis par l’armée allemande en URSS, pas de pitié désormais pour les vaincus. Juncker reconstitue dans le moindre détail ce qu’a été la chute de Berlin, son dessin est sans concession, ses visages plus que meurtris, ses décors authentiques, ses ambiances étouffantes. Et pourtant il y a ce brin d’espoir, de renouveau, s’en sortir aussi alors que la très grande majorité des berlinoises sera violée par ses vainqueurs. Ingrid et Elena se rapprochent. Juncker raconte le chaos final vu du côté allemand, une rareté et voulait «  montrer le point de vue des femmes peu audible en général ».

Seules à Berlin est un OVNI. L’auteur montre aussi que cette guerre menée par les Soviétiques n’est pas pour eux une course à la liberté : « Il y en a eu 5 millions de Russes faits prisonniers à partir de 1941. 4 millions sont morts en captivité. Staline a eu peur d’un retour de gens avec des idées libérales. Après l’espoir et la victoire, ils ont déchanté et cela a été encore pire en Union Soviétique. »Tout est vrai dans Seules à Berlin, la vie au quotidien des Allemands, la chasse au cadavre d’Hitler, le témoignage d’Elena publié bien plus tard pour cause de stalinisme et de censure. Nicolas Juncker a, une fois de plus, su mettre en relief, de son trait d’exception, ses cadrages, sa mise scène, une Histoire à visage humain.

Seules à Berlin, Casterman, 25 €

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