Avec Monsieur Coucou (Le Lombard) qui est présenté en avant-première au Festival d’Angoulême 2018 et sortira début février, Joseph Safieddine revient au Liban, son pays d’origine. Après Yallah Bye, cette fois c’est avec Allan, autrefois Abel, qui a adopté sentimentalement et s’est installé dans une famille française, celle de son épouse. Allan renie toute attache libanaise. Mais celle qu’il considère désormais comme sa mère, sa belle-mère qui s’éteint doucement, va le forcer à traverser la Méditerranée pour qu’il ait une chance de renouer avec sa culture et les siens restés au pays. Un récit pétri d’émotion, d’explications, de non-dits et enfin peut-être de rédemption. Avec Kyung Eun Park au dessin Joseph Safieddine a sculpté un récit qui secoue, accroche et séduit. Avant Angoulême il revient avec Ligne Claire sur cet encombrant Monsieur Coucou. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Joseph Safieddine, Monsieur Coucou a une inspiration familiale ? Votre père d’origine libanaise a voulu couper avec son pays ?
Oui. J’ai fait le tour de l’histoire de mon père mais c’est vrai qu’il s’est fait adopter par la famille française de ma mère quand il est arrivé du Liban. Ensuite j’ai construit un récit mais à la base cela m’a été inspiré par son parcours. Il a voulu se retrouver une famille et un pays. Cela s’est c’est passé de façon plus ou moins adroite. Ce sont des immigrés forcés.
On va lui demander à Allan, son prénom francisé, de revenir pour différentes raisons mais il a coupé les ponts avec les siens au Liban ?
C’est sa belle-mère française qui le lui demande alors qu’elle est en train de mourir. Elle sent qu’il le faut. Il revendique que son pays est nul. Il a fait le deuil de tout ce qui pouvait le rattacher à sa douleur. Il est parti. C’est comme un couple, le rejet total après l’amour.
Dans votre autre ouvrage Yallah Bye, on est dans un contexte un peu similaire.
Oui mais moi ce qui m’intéressait dans Yallah Bye c’était que le héros trouve un peu de paix dans le chaos qu’est le Liban. Il était heureux, avec des nuances, sous les bombes.
On est aussi dans une vengeance non assouvie dans Monsieur Coucou ?
Allan est rejeté par sa mère naturelle qui veut lui imposer une façon d’être et il est soumis à sa mère française. Il y a une histoire de vengeance liée à la mort de son père au Liban mais comme il ne veut pas participer à ce destin là il est rejeté. Lui il ne se sent pas traître.
Il s’est investi en France mais plane au-dessus de lui le reproche de ne pas avoir vengé son père assassiné au Liban ?
Allan ne peut plus revenir dans son pays comme si rien ne s’était passé, revoir sa sœur et son frère. Il a fait ce qu’il pouvait et aurait pu sûrement mieux faire. Mon père s’est gargarisé d’avoir servi de fusible entre notre culture libanaise et la française. Il venait de la violence et nous on a été élevé libres. Il était marqué par la guerre, il adopté les codes français. Il ne voulait pas qu’on parle arabe, qu’on ait des liens avec le Liban. Quand j’y retourne mes cousins parlent quatre ou cinq langues. On n’a eu non plus aucune transmission religieuse.
Le rôle de la religion est important ?
C’est l’histoire de la famille. Nous sommes musulmans mais mes héros auraient pu avoir une autre religion. A la fin Allan récupère le regard qu’il avait refusé. Il retrouve la bonne distance au bon moment.
Comment on écrit un scénario aussi personnel en fait ?
J’ai cherché l’image de fin très longtemps. Je suis assez long pour écrire mais je consulte beaucoup. J’ai écrit une première version qui a été remaniée plusieurs fois. Un jour j’ai trouvé la fin. Cela m’a permis de dérouler plus facilement l’histoire. C’est quelqu’un qui est entre deux deux mondes, un thème qui me fascine.
On est au Sud Liban. Il trouve le pays sale bruyant ce qui est un paradoxe avec la maison superbe familiale qu’il découvre ?
C’est son pays. Ce qu’il vit est réducteur. Il est charmé par ce qu’il retrouve. Cela peut être n’importe où mais au Liban. Il faut rappeler que le rôle de l’ainé est très important dans ces pays. Et c’est ce qu’il n’a pas assumé.
Il a perdu aussi ses liens culturels.
Il parle anglais au chauffeur de taxi, il ne parle pas de suite l’arabe. Mon père au Liban, il bouge comme un Français. Il est parti au moment de la guerre civile. C’est un survivant et il s’est embourgeoisé. Et cela peut faire culpabiliser. Au Liban, Allan redevient Abel, retrouve son vrai prénom.
C’est un retour quand même sur des bases familiales compliquées à vivre ?
Non. J’ai trouvé ça joli comme histoire. Ma mère a peut-être trouvé plus dur de voir la place que mon père prenait dans sa famille. J’ai découvert des petits trésors et j’aime beaucoup mes parents. Je suis allé plusieurs fois au Liban et j’aimerais bien y passer six mois par an. Tyr est génial.
Vous avez travaillé avec le même dessinateur que dans Yallah Bye, Kyung Eun Park ?
L’album a été plus simple que Yallah Bye parce que le scénario est plus carré mais Park a toujours des remarques judicieuses. On parle beaucoup pour les scènes graphiques.
Son dessin a pris du poids, s’est affirmé.
Oui il a beaucoup progressé
Vous avez beaucoup de lecteurs libanais ?
Oui. Yallah Bye a marqué les gens à son échelle. Il a plu.
Le Liban est un pays pris en otage et sacrifié ?
C’était une sorte de paradis sur terre. Mais ce n’est pas prêt de se calmer aujourd’hui. Il y a beaucoup d’énergie, de vie. Il y a le retour de la diaspora mais avec beaucoup de générosité de sa part.
Votre Coucou, Allan, en fait fait sa place dans un nid ailleurs ?
Il prend toute la place, trop de place et ce n’est pas simple pour lui. Et c’est sa mère adoptive qui le pousse à aller chercher sur place ce qui lui manque.
Vous avez mis beaucoup d’émotion dans le récit, on le ressent avec le personnage un peu honteux parfois.
Il n’est pas vraiment légitime ni en France ni dans son pays, il est dépassé par ses propres émotions en permanence.
Le Liban est un sujet qui vous tient à cœur, la famille aussi même dans votre album L’Enragé. Vous allez passer à d’autres sujets ?
Cela reviendra le Liban. Je n’écris que des biographies sinon c’est trop personnels disait quelqu’un. Je parlerai toujours sur des choses inspirées par ceux qui m’entourent. J’ai par contre un projet TV sur le Liban avec une famille qui s’installe en France mais rien n’est encore fait.
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