Salva Rubio, scénariste et historien brillant de Monet, nomade de la lumière, revient aujourd’hui avec un album qu’il avait évoqué lors d’une interview avec ligneclaire comme « se passant dans un autre univers ». Et pour cause. Avec Le Photographe de Mauthausen c’est l’univers concentrationnaire qu’il pénètre pour un retour sur un oubli coupable. Les Espagnols ont aussi été les victimes de la barbarie nazie, déportés comme les Juifs, les politiques, les homosexuels, les Tziganes, avec finalement la complicité du gouvernement de Vichy qui ne fera rien pour sauver ces hommes anti-franquistes réfugiés en 1939 en France, enfermés puis enrôlés dans l’armée française. Faits prisonniers, les Allemands les enferment rapidement dans un camp parmi les pires, Mauthausen. Avec cette biographie de Franscico Boix, Rubio rend hommage à un homme qui aura le courage de résister de l’intérieur. Sa vie ne valait pas un sou, il l’a mise en jeu avec un détermination incroyable. Pedro J. Colombo est au dessin, sobre, efficace, émouvant, sans rien cacher de cette terrifiante horreur ordinaire.
Janvier 1941, un train s’arrête à Mauthausen, Autriche. Les SS en font descendre hommes et enfants. KL Mauthausen, désormais Francisco et ses compagnons espagnols vont vite savoir qu’on ne sort pas vivant du camp ou, comme le dit un SS, par la cheminée du crématoire. Exécution sommaires, pour le plaisir, d’une balle ou poussé du haut de la falaise, les déportés cassent de la pierre, affamés, torturés. Mais le Parti Communiste (comme ce sera le cas aussi à Buchenwald) a un QG clandestin au sein même du camp. C’est le seul moyen pour arriver à survivre, profiter de la corruption et placer des Espagnols aux bons endroits tout en obéissant cependant aux ordres du PC soviétique. Détail qui aura bientôt son importance. Francisco est affecté au laboratoire photo dirigé par un SS, Paul Ricken. Il découvre que tout est pris en photo au camp dont la mort des déportés, avec un luxe de détails. Francisco comprend vite que ce sont autant de témoignages vitaux pour si, il survit, faire accuser ses bourreaux. Dès lors il va faire des tirages pirates et tenter avec l’aide de ses camarades de les cacher des SS.
Tout est vrai dans cet album. On y atteint le summum souvent inracontable de ce qu’ont vécu les déportés, ce qui les poussera à se murer dans un silence mortel après la guerre de peur de ne pas être cru. Francisco et le SS photographe à l’esprit morbide arrivent à cohabiter. Francisco survivra et prendra à son tour un Leica pour photographier la libération du camp et continuera ensuite à exercer ce métier. Il mourra malheureusement rapidement victime des privations et des maladies contractés au camp . Mais que faire des ces Républicains Espagnols (d’autres libéreront Paris avec Leclerc) alors que les Alliés ménagent le régime fasciste de Franco qui les a chassés de leur pays et les met au mieux en prison si ils reviennent ? On tirera longtemps un trait pudique sur ces oubliés de l’Histoire. La France, pas remord peut-être, en accueillera beaucoup. Francisco témoignera à Nuremberg mais pas à la hauteur de ses espoirs et des photos qu’il a sauvé. Pour que l’Histoire ne se répète pas, voila pourquoi Francisco et ses amis se sont battus, avec un courage écrasant et à quel prix. L’ouvrage de Rubio est précédé, complété par des dossiers, des photos, un historique précis nécessaire et bien fait. Il faut accompagner ce photographe qui méritait cet hommage, par devoir de mémoire certes mais aussi car rien ne peut arrêter un homme qui met sa vie au bout de ses idées de justice.
Le Photographe de Mauthausen, Le Lombard, 19,99 €
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