Cinquante ans après, que reste-t-il de mai 68 ? Au moins des BD qui sortent en nombre et vont célébrer chacune à leur façon un anniversaire qui sera aussi repris par la plupart des médias. Voici donc La Veille du Grand Soir, qui n’en fut d’ailleurs pas un et pour cause. C’est Patrick Rotman (Les Brûlures de l’Histoire, L’Ennemi intérieur) qui est le narrateur de ces journées très particulières pendant lesquelles beaucoup ont joué à se faire peur. Il y a ajouté quelques parcours romanesques, forcés souvent le trait qui, d’un côté comme de l’autre, flirte avec la caricature aussi bien pour le texte que pour le dessin signé par Sébastien Vassant. On revoit passer les grands ou petits noms de l’époque, de De Gaulle à Cohn-Bendit ou déjà Chirac, Mitterrand à l’affut d’un pouvoir qu’ils finiront plus tard par conquérir. Alors, que reste-t-il vraiment de mai 68 ? Des avancées sociales obtenues sans grande difficulté car la France avait les moyens et des retraités qui du lycée, à l’usine ou à la fac, quand ils n’étaient pas à Paris ont vécu un mois à l’écoute de la radio, sans cigarettes brunes, sans essence pour le Solex, à lire tout San Antonio mais sûrement pas prêts à prendre d’assaut les préfectures.
La Sorbonne, le mouvement du 22 mars, les images en noir et blanc à la TV de Sauvageot, Geismar ou Krivine, Weber des inconnus pas pour longtemps, sans oublier Dany Cohn-Bendit, la révolution était-elle en marche ? Elle est à Nanterre en socio la jeune fille qui conteste et que rencontre un étudiant par le plus grand des hasards. De Gaulle, lui, il déjeune avec Fernandel et Occident, l’extrême droite part au front et a la trouille. Bien fait. Alain Peyrefitte est ferme. On embarque les meneurs et sur le boulevard Saint-Michel les pavés volent. Le préfet Grimaud aimerait bien éviter la violence. Trop tard, Joxe, Fouchet se réunissent avec le Grand Charles pendant que Pompidou est allé faire coucou au shah d’Iran. Grimaud tente la médiation et la radio rend compte en direct sans censure, ce qui ne sera pas bien sûr le cas de la télévision d’état seule à émettre. Et c’est donc l’oreille collée au poste que la France profonde apprend que c’est la chienlit à Paris en ce 6 mai 1968. Les lycéens vont rejoindre les étudiants, en province aussi pour une manif ou deux qui permettent de se sentir plus libre si tant est que l’on se soit senti opprimé. Le bac cette année 68 sera cadeau.
Le peuple voulait-il le pouvoir ? Les syndicats et le PC pas vraiment. Pour en faire quoi du pouvoir ? Et avec qui ? Rotman remonte le temps, fait dire à De Gaulle qu’on peut tirer dans les jambes des manifestants pendant que les barricades coupent la rue Gay-Lussac et le Quartier Latin. La dramatisation volontairement accentuée du récit est par moment étonnante car Rotman connait son sujet. Le bruit des chars le soir à la veillée. Pompidou sera mine de rien le grand gagnant, futur président deux ans plus tard, mais c’est le discours de De Gaulle du 30 mai à son retour de Baden qui va marquer la fin de la partie, à la radio encore, écouté sur des auto-radios avec des copains. On ne jouait plus à la révolution. Les accords de Grenelle avaient fermé le ban et les travailleurs ré-ouvert les usines. Les étudiants pouvaient retourner dans les amphis. Et les députés gaullistes triompher aux législatives de fin juin. La fête était terminée. 102 journalistes seront virés injustement de l’ORTF. Vive les vacances, on pouvait refaire le plein du Solex. Un homme restera par contre le symbole souriant, intelligent, pertinent de mai 68 pour cette génération, c’est Daniel Cohn-Bendit qui est toujours quoiqu’on en dise égal à lui-même, franc et direct, passionné. Cela dit, ça quand même était un beau mois de mai.
Mai 68, La veille du grand soir, Seuil Delcourt, 24,95 €