Comme il le dit lui-même, Ailefroide, Altitude 3954, l’a fait connaître, découvrir par une autre catégorie de lecteurs, plus large, pas toujours concernés par la saga grandiose qu’est Transperceneige. Raison pour laquelle Jean-Marc Rochette est remonté en solitaire dans ses chères et belles montagnes dont il sait si bien parler pour une version alpestre que l’on pourrait croire inspirée du Vieil Homme et la mer. Mais pas que, car Rochette a certes pris pour thème une lutte à mort entre un berger et un loup, adieu l’espadon, mais surtout une vraie tragédie, la perte d’un être cher de part et d’autre, la reconstruction difficile, la haine de l’autre jusqu’au tournant imprévisible. La vie est gagnante dans ce Rochette hors du commun, sorte de huis clos dont la montagne est le théâtre sans pitié, témoin privilégié d’un duel où tous les coups sont permis sur fond de fantômes d’un passé douloureux. On est pris par cette chasse où le gibier ne sera pas à long terme celui qu’on croit. Un récit d’une rare force évocatrice, accrocheur, prenant, poétique aussi, en un mot superbe et terriblement émouvant.
Massif des Écrins, un troupeau, une louve et son petit, un berger et Max, son chien. Voir bouffer ses bêtes, il ne peut pas et il tire, tue la louve ce qui est interdit. Mais il en est à une cinquantaine de brebis mortes, ras le bol. Gaspard ne sait pas encore que le louveteau a survécu, dévorant avec les vautours les cadavres des bêtes tuées par sa mère. Pendant une chasse aux chamois, Gaspard revoit le louveteau qui a grandi et lui laisse une part de son gibier. Ce ne sera pas la seule fois et Gaspard ne peut se résoudre à le tuer. Trop jeune, il faut attendre qu’il soit adulte, à jeu égal. Mais quand le troupeau remonte à l’estime, le loup n’a rien oublié de la mort de sa mère. Un couple de ses congénères débarque sur les pâturages, venus de loin. Mais pas question pour l’orphelin de se laisser faire et il égorge le loup dominant, vole sa compagne. Et panique les brebis qui vont se jeter dans un ravin. Le jeu mortel peut désormais commencer entre les deux ennemis irréductibles, le berger et le loup.
On a perdu l’habitude du loup dans nos montagnes. On s’étonne que le loup tue et dévore. Comme Baptiste Morizot le dit très bien dans la postface il y a une grande ambiguïté entre les dégâts du loup, les services indirects qu’il a procuré aux bergers malgré les attaques, l’absence de défense des brebis abâtardies, un prix de la viande ovine française élevé non concurrentiel, les bergers qui disparaissent retraités. Très complexe comme débat. Gaspard et le loup sont sur un territoire à partager. Gérer le loup demande de s’adapter comme autrefois. Rochette raconte une fable car un loup vengeur c’est peu crédible. Sauf dans son histoire qui est exemplaire. La morale de Le Loup, aujourd’hui où l’on constate faux-cul que des espèces disparaissent en nombre, est que c’est plus à l’homme de s’adapter qu’au loup qui lui n’a aucune raison de changer son mode de vie si on veut continuer à en voir encore en liberté. Comme pour les ours dans les Pyrénées. Un album encore une fois, que ce soit par son dessin ,ses ambiances, ses paysages, son souffle glacé, ou par ses deux héros charismatiques, un modèle du genre qui donne aussi à réfléchir. Une histoire à la Kessel. A noter que Rochette accompagné par Matz publie le préquel du Transperceneige, Extinctions, sur lequel nous reviendrons très vite.
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