Thorgal, Adieu Aaricia est sorti en avant-première au Festival BD d’Angoulême. Cette nouvelle aventure du fils des étoiles (Le Lombard) est signée par Robin Recht (Conan). Un album qui ne rentre pas dans le moule, iconoclaste et séduisant. Robin Recht en a écrit le scénario et l’a dessiné. Il surprend, piège avec intelligence ses lecteurs. Thorgal est âgé mais pas au bout de ses peines. Au sens propre du terme. Robin Recht est revenu avec Ligne Claire sur les origines de ce projet. Une exposition des planches aura lieu à Paris en mai chez Huberty et Breyne. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Robin Recht, comment en êtes-vous arrivé à intégrer la saga Thorgal. Vous avez pris le train en marche ?
Oui effectivement, en marche car il se débrouillait bien sans moi Thorgal. J’ai essayé de m’amuser et de lui amener quelque chose de nouveau. Au départ c’est très fortuit. Je crois beaucoup au hasard et aux nécessités. Et là les deux étaient réunis. Un éditeur du Lombard m’a contacté comme souvent cela se fait dans ce métier. Je venais de finir Conan et travaillais sur un autre projet, La Cage aux cons. C’était en novembre 2019. Il avait bien aimé mon travail et moi je réfléchissais à la suite. Au cours de notre entretien je lui ai parlé de Thorgal comme on jette une bouteille à la mer. Je savais que Thorgal c’était Yann et Fred Vignaux. Je lui ai dit que dans une autre vie j’aurais aimé travailler sur un Thorgal, une série qui m’a marquée jeune. Il me répond que ce n’est pas impossible, qu’ils ont envie de donner leur chance à d’autres auteurs sur Thorgal. A cette époque l’idée était très informelle.
Ils avaient déjà à la fois diversifié Thorgal et au final voulu recentrer le monde.
Oui, ils voulaient finir les séries parallèles. Mais aussi donner des cartes blanches à des auteurs pour raconter une aventure à chaque fois. Le projet trainait dans les bureaux et donc si j’avais une idée je pouvais leur en parler. Trois mois après c’est Angoulême. On au rendez-vous avec Le Lombard et je leur parle de mon idée à laquelle je ne croyais pas trop, un peu saugrenue, un peu prototype de ce qu’elle est devenue. Il y avait le voyage dans le temps et une figure familiale qui pouvait transformer sa vie. Ils ont dit OK. Six mois après, je leur ai envoyé un séquencier qui a été validé par la famille Ronsinski. On était en juin 2020.
Et là on était proche de l’album tel qu’il est aujourd’hui ou cela a évolué ensuite ?
La fin n’était pas la même.
Quand on voit votre dessin sur le Conan on se dit que Thorgal était dans logique de ce que vous pouviez faire après, dans la lignée. Ensuite il y a l’idée de votre scénario où tout dérape pour Thorgal.
C’est vrai pour Conan. Pour l’histoire de Thorgal, c’est partir de l’idée qu’on ne maîtrise pas le destin. Quand on connaît le futur, Il y a trop de chaos, d’imprévus impossibles à maîtriser. Surtout il y avait de ma part impertinence de m’emparer du personnage et de l’amener ailleurs. Je suis très respectueux de la série que je connais bien jusqu’au tome 16 ou 17. Je considère Rosinski et Van Hamme comme majeurs dans la BD franco-belge. Van Hamme aurait dû être Grand Prix d’Angoulême. C’est un maître talentueux en roublardise et en efficacité transcendé par une certaine poésie. Rosinski aurait dû être également Grand Prix. C’est un des rares dessinateur totalement investi et au service de son histoire sans ego. Comme je suis un sale môme égocentrique j’avais envie d’accaparer la série.
C’est-à-dire ? Avoir une vision à court terme ? Cet album ouvre des pistes inédites.
Oui ça pourrait être une nouvelle aventure, un reboot. C’était mon jeu à moi. Ils l’ont accepté. Je fais un peu le même travail que Leone dans « Mon nom est personne ». Il déconstruit le mythe du cow-boy classique et le transforme en iconoclaste qui ne se prend pas au sérieux. Moi je le fais entrer dans univers plus dramatique.
C’est vrai, shakespearien même.
Oui. Le Thorgal qui est parfait devient un Thorgal qui se trompe porté par un drame initial et on ne saura pas ce que sera son destin.
Il y a le chaos des destins et des destins chaotiques.
C’est aussi une représentation des âges. Il ne faut pas savoir ce que sera sa vie, ce n’est pas bon quand on est jeune. Mais il reste aussi les souvenirs quand on est vieux que l’on garde.
On a aussi une intervention diabolique, faustienne avec Niddhog le dieu serpent tentateur.
Mythologique et symbolique pour provoquer. Thorgal se fait piéger car il vit le pire du pire. Normalement Thorgal ne succombe jamais à la tentation.
Il y a un personnage étonnant, la reine noire ancienne esclave, Srkaeling.
C’est une figure maternelle et fille de Dieu qui forme Thorgal jeune. Que je pourrais maltraiter mais je l’aime bien parce qu’elle s’invente une vie. Comme Gandolf qui m’est sympathique, colérique et médiocre. Il est dominé par le fantôme du père adoptif de Thorgal. Ça le rend fou. C’est tragique. Ils sont tout ce que j’aime, avec des radicalités d’action et des ambiguïtés de personnages. J’ai ajouté une part de magie qui est un classique dans Thorgal. Ce sera l’anneau donné par Niddhog.
Pas de suite à cet album ? Un thème alors à la Spirou par ?
Non. Mais il ne faut jamais dire jamais. Ce n’est pas l’idée. On verra. Il y a des cartes blanches dont un album avec Corentin Rouge et Fred Duval, Aouamri aussi, un autre de Roman Surzhenko. Ce n’est pas du Conan. Pas du Spirou par non plus qui est une vision. La spécificité de Thorgal c’est que c’est une saga, sa vie avance et on la découvre. Un épisode de plus. Il y a des morceaux du puzzle qui viennent s’intercaler. J’ai travaillé comme d’habitude. Le story-board est fait en numérique ce qui est plus souple, les crayonnés aussi puis j’imprime les pages et fait l’encrage sur papier.
Et après, quand on sort d’un Thorgal que fait-on ?
J’aime bien alterner. Je me suis lassé de l’heroic fantasy. J’alterne entre un plaisir d’adolescence et un plaisir d’adulte. Je viens de finir le plaisir d’adolescence avec Thorgal et je passe à quelque chose de différent, plus contemporain dans un univers pas du tout lyrique. Une farce entre Un Singe en hiver et L’Aventure c’est l’aventure, une virée nocturne très alcoolisée de nos jours. Mais je n’en dis pas plus. Je souhaite désormais écrire et dessiner. Au bout de vingt ans j’ai compris que je ne dessinais pas par plaisir mais pour raconter des histoires. J’ai le dessin laborieux par contre j’adore raconter. Comme je ne peux pas tout dessiner, je vais écrire pour d’autres et un album devrait sortir dans deux ans. Je me suis souvent engueulé avec mes scénaristes. Je comprends maintenant pourquoi. Je voulais faire leur boulot.
Vous êtes un lecteur assidu de BD ?
Oui je l’ai été. J’ai fait une pause et je le suis redevenu. Après les classiques quand j’étais jeune, c’est Régis Loisel qui m’a redonné goût à la BD et puis j’avais arrêté. Je m’y suis remis. Blast de Manu Larcenet est le must de la BD, Christophe Blain est prodigieux.
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