Pierre rouge plume noire, une demande chinoise

C’est un corbeau narrateur le témoin ironique d’un des évènements importants de l’histoire de la Chine, un album qui plus est commandé par des officiels du gouvernement à un auteur français. Pierre rouge plume noire, destiné à mettre en valeur le site chinois du Guizhou, est signé par Thierry Robin (Moscou année zéro). Une fresque d’une incroyable puissance au trait si ferme, vivant, dramatique que l’on fait corps avec ce récit qui raconte une lutte à mort entre l’empereur Ming et le roi Yang dans sa forteresse.

Des paysans par centaines avec leurs maigres biens sous l’œil d’un corbeau moqueur se réfugient dans la forteresse du roi Yang. A leur trousse l’armée de l’empereur Ming qui veut prendre la citadelle. Les réfugiés de la province s’entassent sur les remparts alors que l’armée impériale occupe les crêtes. Posé sur la montagne le corbeau entame un dialogue avec elle. Plume noire l’écoute raconter son quotidien, ses origines alors qu’un paysan costaud Zhong Wei qui a chassé le corbeau voleur de grains a lui aussi rejoint la forteresse de Hai Long Tun (titre du premier album de Robin sur le sujet paru en 2020) encerclée où nobles et riches vivent dans le luxe sous la protection des hommes de Yang commandé par le fidèle général Wu. Mais Wu n’arrive pas à obtenir d’ordres de Yang alors qu’une porte restée ouverte a permis aux troupes de Ming de rentrer.

Pendant cinq ans Thierry Robin a vécu en Chine pour tracer son œuvre, minutieuse, et enlevée avec de vastes panoramas, ou des pages à dessin unique. Et puis il y a l’intrigue, le duo corbeau et montagne qui philosophent, un roi qui se sait médiocre sur tous les plans. Alors peut-on considérer que la forteresse de Yang est un dernier rempart de liberté face à un impérialisme totalitaire, un règlement de comptes ou un obstacle pour l’unification d’un empire ? C’est bien sûr un témoignage de la puissance de la civilisation chinoise à travers son histoire ancienne. Au premier degré on a une aventure épique, dramatique, violente puis le souvenir du roi Yang qui a battu les Mongols et peut ainsi construire son château. Guerre, massacres, une parenthèse dans l’histoire de la Chine et un lieu touristique à venir. Reste que cet album peut aisément figurer parmi les meilleurs, les plus intelligemment et artistiquement bâtis. Thierry Robin (La Mort de Staline) en postface en dit plus sur sa génèse.

Pierre rouge plume noire, Une histoire de Hai Long Tun, Dargaud, 22,50 €