Un duo d’ego ou tout simplement une confrontation impossible, une erreur de diagnostic que Freud n’a jamais assumé, quels ont été les vrais rapports entre l’inventeur de la psychanalyse moderne et ce bon docteur Frink qui n’avait peut-être pas toutes les cases de son cerveau placées dans le bon ordre ? En fait qu’importe car le Frink et Freud de Pierre Péju (L’œil de la nuit dont est inspiré la BD) et de Lionel Richerand relève plus du romanesque que des fondamentaux d’une science qu’il était de bon ton d’appréhender sous sa forme littéraire dans toute sérieuse classe de philosophie en terminale. On passe, et on en arrive à ce roman graphique dans lequel tout est vrai au moins sur le fond, historique et vraisemblablement aussi sentimentalement. Une chose est sûre, Freud n’avait pas vraiment apprécié sa tournée américaine dont justement le docteur Frink s’était senti exclu. Comme quoi il suffit parfois de pas grand-chose pour bouleverser une vie. Si Freud n’avait pas existé, Frink aurait-il été heureux ? Un joli sujet pour le bac.
En 1909, Freud découvrait l’Amérique. Non l’Amérique découvrait Freud et aurait du mal à s’en remettre. Pour Freud l’Amérique est une gigantesque erreur, propos assez d’actualité. Refoulement, malaise dans cette civilisation pragmatique à la recherche du bonheur à tout prix, Freud y débarque pourtant avec Ferenczi et Jung. Freud est célèbre et à l’arrivée on lui présente le docteur Frink qui va lui servir de boy. Frink, médecin, est bien sûr un adepte de la psychanalyse qu’il exerce. Petit accident de parcours pour Freud qui a une vessie délicate. Humilié il va en vouloir à Frink d’en avoir été le témoin. Comme quoi. Quand Freud parle, la gratin scientifique américain se tait. Horace Flink n’est pas invité à la réception grandiose de la Clark University. Au final Freud rentre chez lui pas convaincu.
On découvre la jeunesse de Frink avec des parents absents et un grand-père chirurgien qui rêve qu’il prenne sa suite. Perturbé déjà le jeune Frink dont le père magnat de l’acier voit partir en fumée son usine. A partir de là, tout dérape en profondeur. Il se marie, fait des enfants, exerce, divorce, on en passe et des meilleures. Reste donc d’une part sa liaison avec une riche patiente, puis Freud qui le traite, se plante, le tout raconté par le détail par Péju sur un dessin en noir et blanc de Richerand (L’Esprit de Lewis). Frinck dévisse, est sûrement bipolaire. Il ne faisait pas le poids face à l’ogre viennois. Un album de 216 pages qui se lit encore une fois comme un roman tout en donnant des repères des plus clairs sur Freud, son œuvre et surtout sa sauvage prétention sans pareille. Très prenant cette course au drame.
Frink & Freud, Le patient américain, Casterman, 22 €
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