Régric dessinateur de Lefranc a répondu aux questions de Ligne Claire car son héros créé par Jacques Martin fête cette année ses 70 ans. Un nouveau Lefranc a paru, Le Scandale Arès, un épisode aéronautique sur fond de grande Histoire, de seconde guerre mondiale en 1940 dans le ciel de France. Roger Seiter est au scénario. Régric revient sur sa reprise de la série, ses débuts avec Jacques Martin et sur Le Scandale Arès. Il faut aussi aller sur son blog. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Régric, on fête les 70 ans de Lefranc et votre dernier album, Le Scandale Arès, très aérien que vous avez dessiné vient de sortir. Comment avez-vous repris Lefranc et signé presque une dizaine d’albums à ce jour ?
Je vais commencer le neuvième album, ce qui va me mettre à égalité avec Gilles Chaillet. Depuis 2009, je travaille sur la série. J’ai commencé par l’Histoire de l’Aviation avec Jacques Martin, dans le cadre des Voyages de Lefranc. J’avais passé un test à la demande de Martin soit pour couvrir l’histoire de l’automobile, soit celle de l’aviation. Il m’a dit OK c’est bon, et cela a été l’aviation.
Mais l’aviation était-elle une passion pour vous ?
Le sujet m’intéressait mais je n’étais pas spécialiste et ne le suis toujours pas. J’ai essayé d’être le plus pointu possible sans être féru d’aviation. Je me suis largement documenté. Dans la BD franco-belge, l’automobile et l’aviation sont des domaines souvent mis à contribution.
Le scénario de cet album, Le Scandale Arès, est à la base une idée de Martin ?
Oui, c’est vraiment au départ un projet d’histoire imaginé par Martin. D’ailleurs on en retrouve la trace dans de vieilles interviews qu’il avait données à la fin de sa vie. Il avait rédigé une liste d’histoires qui lui restaient à développer. Donc c’est le sujet qu’il appelait lui le Scandalor. Il avait imaginé cette histoire d’avion qui tombe dans un lac que Seiter a reconstruit, écrite totalement.
Comment cela se passe quand vous partez sur un tel sujet ? C’est très documenté, uniformes, tanks, une page sur l’aviation de 14. On est aussi dans les années cinquante et la guerre n’est pas loin.
Ma documentation vient en priorité d’internet. Quand je reçois le scénario de Roger Seiter, on en a discuté en amont. Je vois vers quoi je dois axer mes recherches. C’est touffu, avec des flashbacks dans différents pays. Cela m’amène à me documenter largement sur des engins comme les Panzers en 40 et je découvre au fur et à mesure.
Sur votre page de couverture, on dirait des photos que l’on voit en ce moment sur l’Ukraine, des colonnes de chars en feu, une sorte de décalage dans le temps ?
C’est assez curieux car on en a parlé avec Roger et depuis le début du conflit ukrainien. On trouve des similitudes, à la fin les chars russes envahissent la Hongrie en 1956 mais tout était déjà réalisé bien avant la guerre en Ukraine. C’est étrange mais c’est un hasard.
Comment cela se passe avec Seiter ? Vous discutez du synopsis et après il vous livre un scénario totalement clé en mains ?
Oui et c’est très agréable de travailler avec lui. Il est ouvert aux idées, aux suggestions. C’est toujours impeccable. Quelques fois j’amène un petit quelque chose. Quand je reçois les pages de script, dialoguées, il n’y a plus grand chose à bouger. Je lui pose une petite question pour un affaire de compréhension, d’intention. C’est tout.
Alors qui a inventé le prototype de l’Arès, lui, vous deux ?
Martin n’avait laissé aucune indication sur le modèle. Roger non plus donc j’ai fait des recherches sur des avions un peu bizarres, originaux. Il y en a beaucoup qui ont existé ou pas, pour des jeux vidéo. Je suis tombé sur le Payen 100, le 49 est au Musée de l’air. J’ai tranché, modifié car il était plus petit, allongé et le résultat est cet avion de chasse, le Arès.
Sans train rétractable. Vous-vous parlez avec Seiter sur les dessins, les planches ?
J’aurais pu c’est vrai pour le train, j’y ai pensé après. Pour le choix de l’ avion on s’est mis d’accord. Ensuite j’envoie des pages crayonnées et encrées. Il se fait son album pour voir le rendu, se relire. Cela fonctionne bien à chaque fois.
Quand vous avez commencé à reprendre Lefranc cela a été compliqué ? Vous l’appréhendiez ?
En fait je n’ai pas été angoissé. J’ai senti la responsabilité de cette reprise importante. Je n’avais fait que des albums des Voyages de Lefranc et donc j’avais tout à prouver. Je me suis senti assez à l’aise car c’était le genre de BD que j’aimais lire puis dessiner. Je n’étais pas loin de Lefranc graphiquement. Je me suis appuyé sans faire du copier-coller des albums existants.
Vous êtes en effet dans le ton et la ligne tout en ayant votre propre trait. C’est là où on peut considérer que c’est une réussite intéressante.
J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour l’œuvre de Martin, d’Hergé aussi. Et j’ai collaboré avec Martin. On n’est plus très nombreux dans ce cas et à continuer à travailler sur ses séries. C’est pour moi une responsabilité de dessiner cette série sans la dénaturer. Je dois dire que j’ai aussi de la chance de travailler avec des scénaristes qui ont apporté des idées nouvelles. On peut faire des petits clins d’œil à des albums anciens aussi mais il faut du neuf. En respectant l’âme de la série.
Il y a une alternance d’équipes sur Lefranc ?
Cela a toujours été le cas. Quand je suis arrivé il y avait André Taymans puis d’autres dessinateurs. Aujourd’hui on alterne avec une autre équipe ce qui permet de sortir un album par an. Corteggiani est au scénario et Alvès au dessin.
Vous travaillez de façon classique ?
Oui totalement, à l’ancienne. J’y tiens. Papier, crayon, encre. La mise en couleur sur ordinateur est la seule concession à la modernité. Cela permet aussi d’avoir des originaux et je ne me vois pas dessiner sur une tablette.
Le Scandale Arès, c’est une histoire de vengeance qui part de 1918 et rebondit en 1940. Plus l’histoire des avionneurs nationalisés par le Front Populaire, le Dewoitine choisi et la défaite donc toujours grande et petite histoire ?
Sans parler des rancœurs entre militaires avec Pétain. La vengeance court en effet sur vingt ans. Lefranc va reconstituer le puzzle.
Vous êtes sur une ligne claire très réaliste, très riche qui doit vous prendre beaucoup de temps ?
Oui c’est comme ça que j’ai appris à travailler avec Martin, avec précision. Il faut avoir le souci de la cohérence par rapport à l’époque. Le matériel, les voitures, ce qui est parfois compliqué.
On est dans une histoire de coopération franco-allemande. Il y a Marlène, fille d’un officier de panzer. On a une enquête journalistique sur fond d’Histoire avec des magouilles financières, Seiter vous laisse de la liberté ?
Il livre des pages qui restent ouvertes à l’improvisation. Je peux faire des choix, à moi d’habiller ses idées, d’interpréter. Mais il y a une description très claire au départ.
Un des personnages dans Arès, Valmont a un air de Sean Connery, non ?
Oui car Sean Connery est décédé au moment où j’ai commencé à dessiner ce personnage. La description de Seiter correspondait donc j’ai pris Sean Connery un peu comme modèle.
Lefranc qui a 70 ans a été créé pour être le pendant d’Alix, Jeanjean celui d’Enak. Comment le public le considère-t-il aujourd’hui ?
Il faut bien dire que Lefranc a un lectorat adulte, des gens de 30 ans et plus. Ils sont ravis que la série continue et que le niveau soit bon. Souvent ils suivent la série depuis longtemps et ont lu tous les albums.
C’est aussi l’époque un peu lointaine qui séduit avec sa part de nostalgie ?
C’est indéniable que la nostalgie est là avec l’esthétique des années cinquante. Le design de l’époque avec des souvenirs à plusieurs niveaux. Et on voit Lefranc faire son métier de journaliste qui est au cœur des histoires. Dans un album plus ancien j’avais cherché un téléscripteur qui envoyait les nouvelles sur bande papier aux rédactions. Ce sont ces détails qui donne son authenticité à la série.
Et pour le prochain Lefranc vous avez déjà des pistes avec Seiter ?
L’album est déjà écrit et se passera en Espagne (parution pour 2024). L’histoire reviendra sur la Guerre Civile de 36, Lefranc ira sur les traces d’un oncle qui y a participé dans les Brigades. D’autres affaires vont se recouper.
Jeanjean reviendra un jour ?
Dans le prochain je ne crois pas. C’est un personnage très embarrassant qui a été escamoté, un peu trop années cinquante, qui ne va jamais à l’école. Martin l’avait mis sur la touche. Dans La Rançon il était très présent. On nous réclame aussi Axel Borg mais c’est pareil. On l’utilise avec parcimonie pour mieux le faire revenir dans une histoire qui vaille la peine. On a d’autres méchants en magasin. On joue aussi avec le lecteur quand Lefranc prend la main de Marlène dans Arès. C’est tout public et gentil bien sûr.
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