Miguelanxo Prado n’a plus rien à prouver en matière de BD et pourtant, avec sa première apparition chez Rue de Sèvres il montre que son talent est en perpétuelle progression, en évolution permanente. Certes on pourra parler de polar social avec Proies faciles mais, plus que l’enquête menée avec un réalisme pertinent, c’est la description d’une Espagne, celle des petites gens, saignée sans vergogne par la « finance » que met en scène Miguelanxo Prado. Et avec quelle authenticité, un sens du détail, de la violence ordinaire qui pend au nez de tout un chacun dans un monde qui n’a aucune pitié pour les gens sans défense. Si on y ajoute un dessin qui accentue volontairement le trait, rendant encore plus humains et émouvantes les vraies victimes de ce polar qui ne sont pas celle que l’on croit, on a avec ces Proies faciles une œuvre forte et sans concession.
Un cadre bancaire empoisonné, une pizza fatale, l’inspectrice Olga Tabares et l’inspecteur Carlos Sotillo commence une enquête qui va accumuler cadavres et morts accidentelles suspectes. Tout s’accélère et Olga commence à trouver bizarre que les victimes aient toutes une fonction quelconque dans l’univers des banques tout en ne travaillant pas dans la même. Un tueur en série peut-être car au bout de trois morts on peut douter. Il faut creuser pour tenter de trouver un lien. Un boulot ingrat mais Olga ne lâche rien. Le cyanure est le roi de la fête mais comment il a été injecté aux trucidés ? Et la liste s’allonge. On parle de justiciers de la banque et le livreur de pizza va donner une piste bien mince mais sait-on jamais. Quel est le mobile ? Une vieille dame a été livrée juste avant l’un des meurtres par le même livreur de pizza. Sauf qu’elle a une mémoire défaillante la dame. De là à faire un lien entre des personnes âgées et les banques, faut pas rêver.
Ne pas en dire plus. La progression de l’enquête, les indices que Miguelanxo Prado laisse filtrer, la personnalité de l’inspectrice et des témoins, des suspects possibles, tout est subtil dans ce récit, finement amené et finalement évident. Un puzzle qui en plus est plausible car tout repose sur une vengeance des humbles contre les forces de l’argent méprisantes et irrespectueuses, aux dérives pitoyables. Subprimes aux USA, bulle immobilière qui explose, faillite des petits épargnants, c’est de cela que Miguelanxo Prado parle et on y croit car tout sonne juste. En teintes grises, noir et blanc, le dessin apporte un ton émouvant et triste à la fois à ces destins brisés mais qui ne regretteront rien au final. Une façon de montrer et de dire qu’il faut faire attention à l’eau qui dort.
Proies faciles, Rue de Sèvres, 18 €
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