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Interview : Pierre Boisserie raconte les débuts de Kim Philby espion du siècle et adapte la Trilogie Berlinoise de Philip Kerr

Kim Philby a été la star des espions du XXe siècle. Il a gravi un peu sans le vouloir tous les échelons du renseignement britannique, et aurait pu en devenir le patron. Sauf que Philby est un agent double qui travaille pour les Soviétiques très tôt et leur passe un maximum d’informations. Démasqué par la CIA américaine, il part à Moscou en 1963 où on va en faire une idole. Pas de quoi être fier pour le MI6 britannique. Pierre Boisserie a décortiqué dans son album (Les Arènes) avec Christophe Gaultier au dessin, les débuts et les motivations d’un homme qui ne dévia jamais de son choix par conviction. Pierre Boisserie revient avec Ligne Claire sur Kim Philby et aussi sur les cinq de Cambridge, ce groupe de copains dont il faisait partie qui ont saccagé à l’époque toute la crédibilité des service secrets de sa Majesté. Mais Boisserie va aussi adapter la mythique Trilogie Berlinoise de Philip Kerr dont le héros est bien sûr Bernie Gunther et dont nous présentons deux extraits. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Pierre Boisserie. Pierre Hybre / MYOP / Les Arènes ©

Pierre Boisserie, pourquoi avoir choisi ce sujet, celui de l’agent double le plus connu du XXe siècle ?

Philby est un personnage qui m’intéressait depuis très longtemps. Je voulais traiter le rapport que l’on peut avoir avec la vérité. Ce garçon depuis son enfance s’enterre dans le mensonge. Au point qu’il finit par ne plus savoir qui il est, où il en est. Le plus surprenant c’est que autour de lui personne ne s’en rend compte ou cherche à savoir parce qu’il de la bonne caste sociale anglaise.

Finalement son rang social lui permet de passer entre les mailles du filet. Avec le passé de son père comme garantie, ce qu’il arrive à faire est fabuleux.

C’est fou. Quand on lit ses mémoires écrites sur un ton très distant, à l’anglaise, lui-même n’en revient pas d’avoir pu berner tout le monde. Et se berner lui-même. Il a fallu que les Américains mettent leur nez là-dedans pour enfin le coincer.

Sinon il aurait continué ? On lui accorde des succès et non des moindres, comme avoir provoqué le pont aérien sur Berlin en 48, l’entrée en guerre de la Chine en Corée, tout ça sur ses renseignements. Et en Angleterre où ils sont paranos pour le renseignement ?

Oui mais par rapport à l’extérieur, pas pour eux-mêmes. La caste dominante ne peut pas imaginer qu’elle ait une brebis galeuse parmi elle.

Il ne cache pas vraiment son jeu, ses contacts auraient pu être recoupés, transpirer ?

Bien sûr. Il a suffit que des gens de l’extérieur s’intéressent à lui pour voir qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Les Anglais étaient aveuglés par leur complexe de supériorité.

Vous traitez surtout de son enfance, de son éducation, de la raison de son prénom. C’est la montée en puissance que vous décrivez.

Oui, car c’était cela qui m’intéressait et pas ses actions une fois qu’il a été introduit au sein du MI6. J’ai un peu fantasmé l’ensemble mais sans vrai romanesque car tout est vrai.

Philby c’est aussi le Trinity College et des amitiés qui résisteront à tout entre les cinq de Cambridge, espions doubles qui travaillent pour l’URSS ?

Burgess, Blunt, McLean, Cainrcross, Philby, tous seront amis et des agents doubles qui iront au cœur du pouvoir. Certains se sont autodétruits par l’alcool ou autre. Philby est le seul à avoir navigué parmi tous les écueils avec un aplomb incroyable alors qu’il est mouillé jusqu’au coup.

Pour vous Philby est le maitre espion du XXe siècle ?

Complément car sa réussite n’est pas liée qu’à lui. Il a bénéficié du contexte, de l’aveuglement de son entourage. Il a été, je pense, étonné de faire des choses pareilles sans éveiller les soupçons. Vers la fin avant sa fuite à Moscou en 1963 les choses se sont compliquées et il a jonglé en Palestine, avec les Égyptiens. Il s’est presque retrouvé à la tête du MI6, le patron du renseignement anglais. Il en était le premier stupéfait.

Il a presque été dépassé par sa réussite.

Oui c’est ça et les cinq ont traversé les tempêtes jusqu’à ce que la mécanique se détraque. Pendant 20 ans ils n’ont pas été inquiétés.

Pendant la Guerre d’Espagne, il est journaliste côté franquiste, décoré par Franco. En 40 il couvre la défaite. C’est aussi un type de terrain qui cache son jeu, s’infiltre.

Oui, il n’avait par forcément du charisme mais il était charmant, sympathique. Charmeur, séducteur aussi, il était irrésistible donc tout le monde s’ouvrait à lui.

Son enfance, son adolescence, les rapports avec son père ont été marquants ?

Oui, il le dit lui-même. Les parcours du père et du fils sont liés. Il a été écrasé par la figure paternelle. Il y aurait un bouquin à faire sur son père qui a œuvré dans l’ombre de Lawrence d’Arabie et est même plus intéressant que lui. Un personnage détestable, un aventurier diplomate et brillant.

Philby était vraiment un communiste convaincu ?

Oui. Il y a des théories compliquées qui le disent agent triple. Robert Little a écrit un bouquin sur ce thème. Je n’y crois pas. Pour moi il était communiste à fond et est resté fidèle. Tout en ayant conscience des dérives du communisme mais qui était seul capable à ses yeux d’abattre nazisme et fascisme.

Il n’a jamais eu le moindre remord. Il aimait son pays ?

Oui mais pas la politique de son pays et les politiciens anglais, de droite ou de gauche qui ne faisaient rien pour lutter contre les inégalités sociales, corruption en prime.

C’est un homme de réseau qui joue sur tous les tableaux. Philby est très intelligent ou instinctif ?

C’est un manipulateur conscient du pouvoir qu’il avait sur les autres. Son charme sur hommes et femmes, de les pousser à se confier, il s’en sert avec intelligence.

Philby est aussi l’exemple de l’espion typique de la Guerre Froide ?

Il n’a pas vendu son âme. Il agit par conviction du début à la fin. Et il s’est réinventé une vie grâce au mensonge. Il raconte parfois des choses dont il n’est plus très sûr que ce soit la réalité et pas le mensonge. Son père lui dit : « à quoi sert la vérité si un mensonge peut faire l’affaire ». Il a reconnu plusieurs fois qu’il ne savait plus si ce qui s’était passé était fidèle à ce qu’il avait déjà raconté ou pas. Mais il n’était pas machiavélique. Il a fait des choses horribles, envoyé des agents infiltrés en URSS et les dénoncer. Les Rosenberg ont été exécutés à cause de lui. Mais il servait sa cause et c’était une icône pour les Soviétiques.

Comment votre dessinateur Christophe Gaultier est arrivé dans ce Philby ?

Il avait déjà fait des albums aux Arènes. Laurent Muller m’a proposé de travailler avec lui. Au départ il y avait une dessinatrice anglaise qui a disparu des réseaux. Donc Christophe est arrivé sur le sujet. Il y a eu un gros travail d’ambiance et j’ai retravaillé des passages pour être plus en accord avec son style. Avec moi les dessinateurs réagissent beaucoup sur le scénario. J’écris sur les dispositions psychologiques de mes personnages, pas vraiment avec des indications de découpages sauf si j’ai besoin d’une effet narratif précis. Le dessinateur peut me proposer autre chose que ce que j’ai écrit. On en parle et on valide. Cet album, Philby, devait sortir juste avant le premier confinement et donc fait finalement une seconde sortie maintenant. Par contre on s’est aperçu que Le Banquier du Reich sorti en février dernier avait, contrairement à ce qu’on craignait, très bien marché. Comme quoi il était très aléatoire de prévoir ce qu’allaient être les effets du confinement. Les libraires semblent assez contents de leur année. Ils ont vu revenir d’anciens lecteurs qui comme il n’y avait plus de sorties possibles, cinés, restos, relisaient des BD.

On ne parlera pas, suspense oblige de l’homme à qui, à Moscou, Philby se confie. Un trait scénaristique très bien vu. Philby est allé au bout de son destin et n’aurait jamais pu être récupéré. Sinon quoi d’autre sur le feu ?

Je participe à l’Histoire de la Franc-maçonnerie de Convard. Le tome 4 sort en mars et je finis les 7 et 9. J’adapte aussi chez Delcourt Henri IV de Shakespeare avec un dessinateur qui vient de chez Disney dont ça sera le premier album. Et puis aux Arènes je vais adapter la Trilogie Berlinoise de Philip Kerr. Bernie Gunter va faire ses débuts en BD.

Les débuts de Bernie Gunther. Pierre Boisserie / François Warsala / Les Arènes ©

Non ? Très bonne nouvelle et avec qui au dessin ?

François Warzala qui y a fait l’Histoire de la Ve République. Un vrai plaisir. Cela faisait un moment qu’on en parlait avec Laurent Muller et Kerr meurt au moment où on a demandé les droits. On s’est dit que c’était fini. Pas du tout. Les ayants-droits ont accepté presque sans négociations. Aucun problème. J’ai fini le tome 1. Il en est à une centaine de pages. Chaque roman sera une histoire complète de 130 pages. On fait la trilogie puis on verra mais c’est un énorme travail.

Les débuts de Bernie Gunther. Pierre Boisserie / François Warsala / Les Arènes ©

On le comprend quand on connait l’écriture très riche de Kerr.

Mais c’est passionnant. Le premier devrait sortir à priori sur le deuxième trimestre 2021. Mais sans certitude. Je découpe le tome 2.

Comment se lance-t-on dans l’adaptation d’un auteur référence qui a inventé un genre, le polar historique en Allemagne nazie même s’il y en eu d’autres depuis ?

J’adore son style, ses dialogues extraordinaires. Depuis que je me suis mis à la Trilogie, j’ai arrêté de lire les derniers Kerr pour ne pas être influencé, tout mélangé. On fait un grand séquencier de chaque roman, et on réorganise, on voit ce qu’on peut enlever. Pas grand-chose. Il y a parfois des scènes où il se fait plaisir donc on a nettoyé un peu. Ce qui est difficile en BD c’est qu’il a des scènes que de dialogues et nous on doit arriver à animer la scène. Quand j’annonce que je prépare la Trilogie berlinoise on me dit « génial ». Je n’avais pas vraiment conscience de la popularité de Kerr.

Kim Philby
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