Il est l’un des maîtres actuels du scénario. Tout s’est bousculé en quelques années pour Philippe Pelaez, enseignant à La Réunion, Anglais et Cinéma. Son actualité est très politique avec Dans l’ombre adaptée du roman d’Édouard Philippe et Gilles Boyer. Sans oublier Ceux qui n’existaient plus dessiné par Olivier Mangin qui se passe en Russie. Philippe Pelaez (à retrouver sur son site) a répondu aux questions de Ligne Claire. Touche à tout talentueux, éclectique, très humain dans ses récits comme dans la vie, Pelaez a un programme varié et chargé pour ses prochaines parutions. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Philippe Pelaez, vous avec deux albums Dans l’ombre et Ceux qui n’existaient plus qui viennent de sortir. Beaucoup d’autres annoncés, vous êtes un scénariste prolifique. Comment arrivez-vous à vous gérer ?
Je n’ai aucune restriction de choix. Je veux rester libre de ce que j’ai envie d’écrire. On dit dit que tout livre pousse sur d’autres livres. On est inspiré par ce qu’on a vu, lu. J’ai énormément lu, vu de films donc j’ai beaucoup de choses qui reviennent. J’écris plusieurs scénarios en même temps ce qui me permet de passer d’un thème à l’autre. C’est un tourbillon d’idées qui parfois se bousculent un peu trop.
Submergé parfois par vos envies ?
J’ai du mal à me canaliser. Quand j’écris je suis frénétique. Je peux quand je ne travaille pas (je suis enseignant) écrire non-stop. Je suis ainsi pris par le sujet. Mener les deux activités de front devient un peu difficile. Je suis tellement accaparé par l’écriture, passionné, que j’ai du mal à être prof même si c’est une vraie vocation.
Sur combien de scénarios pouvez-vous travailler en même temps ?
Toujours plusieurs et des fois je passe de l’un à l’autre. J’ai beaucoup de projets donc je ne suis jamais bloqué. Je peux écrire dix-sept heures sans pause.
Revenons à Dans l’ombre qui est une adaptation qu’on vous a proposée. Entre création et adaptation, quelle est la plus compliquée ?
J’aime beaucoup écrire mes propres histoires. Mais je n’ai jamais la fin. J’ai le titre qui souvent claque et de là je fais les cinq premières pages. Le bonheur total pour moi est d’écrire une histoire dont je ne sais pas comment elle finira. Il y a des personnages qui vont prendre de l’importance ou pas. Je ne sais pas où je vais. Avec une adaptation on sait tout. Pas de préférence cela dit. Adapter c’est savoir ce qu’on élimine. On trahit en restant fidèle. Le lecteur dans un roman imagine. Dans la BD les images sont prêtes. Adapter est peut-être plus confortable.
Avec Dans l’ombre, le thème est très politique, basé sur la réalité. C’est un monde que vous avez découvert ?
Je m’intéresse à la politique mais ce qui se passe dans l’ombre justement, le jeu des apparatchiks je n’en savais rien. Ce qui est plus effrayant c’est que c’est écrit par deux auteurs qui connaissent le dessous des cartes, vu de l’intérieur. C’est plus qu’un roman. On se dit que ça doit vraiment se passer comme ça. Gilles Boyer est-il l’apparatchik de Édouard Philippe ? Mais il n’y a pas de noms connus dans le roman. Les femmes y jouent un rôle important.
Cela a dû être compliqué pour le dessinateur de ne pas glisser quelques ressemblances physiques.
Le patron a un côté très Balladur.
C’est un album très actuel au moment où les politiques sont remis en question pour leurs méthodes.
C’est vrai. C’est un thriller politique écrit par un ancien Premier Ministre de la France, d’Emmanuel Macron confronté à la crise des retraites. On est dans l’actualité.
C’est aussi un thriller. Le héros est même sympa.
Oui il est génial. J’ai adapté le roman à cause de ça. Grand Angle m’avait proposé trois adaptations dont Dans l’ombre, La Chambre des merveilles et Les Refuges à venir. J’ai fait les trois. J’ai lu les premières pages de Dans l’ombre et j’ai mis très peu de temps à le rédiger. Le héros a une conscience, finit par presque douter de son patron mais continue à se battre pour lui. Il sait qu’il disparaitra à la fin. C’est une profession en fait mais on parle peu.
Dans le livre il y a aussi la naissance d’un futur apparatchik, la succession.
Oui, Winston. Il y a une part d’humour cynique qui soulage les tensions. Les scènes sont très courtes. Il fallait rester sur ce rythme.
Comment avez-vous travaillé avec le dessinateur Cédrick Le Bihan ?
Il a eu tout le scénario, le découpage prêt aussi. J’ai deux manières d’écrire, soit page par page très décrites, soit comme un scénario de cinéma avec une continuité dialoguée. Cela donne plus de liberté au dessinateur. Ma femme est ma première lectrice. Dans L’Ombre, j’ai découpé. Mais je ne suis pas fermé, on peut tout retravailler. Le dessinateur me retourne les pages mais j’interviens peu. On a mis un an et demi à le faire.
L’éditeur intervient beaucoup ?
Pas vraiment. Édouard Philippe et Gilles Boyer non plus. Ils ont validé le scénario puis le choix du dessinateur. Rien n’a été modifié.
Vous avez désormais presque travaillé pour tous les éditeurs.
Beaucoup d’albums sortent chez Grand Angle. D’autres chez Dargaud et Glénat plus Dupuis.
Il y a un projet avec Hugues Labiano.
Oui une trilogie mais des albums sans rapport les uns avec les autres. 1936, 1926 et 1946 avec la même héroïne. C’est en fait ce projet qui m’a vraiment lancé il y a plus de trois ans. Hugues a presque fini le tome un. C’est un hommage au film noir. Chez Dargaud je sors un western en mai et j’ai fait un dossier pour expliquer que le western n’existe pas (rires). Historiquement et que c’est une mythologie américaine. Chez Glénat c’est plusieurs centaines de pages mais je ne peux pas en dire plus. C’est dans la lignée de La Bombe.
Dans Ceux qui n’existaient plus avec Olivier Mangin, le sujet est aussi politique, des manipulations scientifiques. C’est en Russie mais au départ cela aurait dû être aux USA ?
Oui dans une base en Arizona. Olivier m’a dit que c’était un peu cliché alors pourquoi pas en Russie avant l’Ukraine. Je sortais un peu de ma zone de confort car je me serais servi pour les USA de mes connaissances universitaires en littérature américaine. La littérature russe je suis moins à l’aise. J’ai réécrit car l’idée d’Olivier était intéressante.
Il y a des rappels cinématographiques. Vous vouliez toucher au polar scientifique ?
C’était une de mes toutes premières histoires. J’ai commencé à être publié en 2015. La version américaine date de 2013. Je m’étais imaginé en amenant mes enfants à l’école une femme dans un avion qui avait tué les siens mais ne savait pas pourquoi. Je ne suis pas demandé ce que c’était comme genre mais ce qui allait se passer. Je voulais faire dans l’étrange, le mystérieux. Le tome 2 sera une seconde histoire mais sans lien véritable hormis le portrait de la jeune femme qui est morte à la fin du premier que l’on retrouve sur des scènes de crimes. Et des rebondissements.
Quels sont les sujets que vous n’avez pas encore traités et que vous aimeriez aborder ?
J’en suis à 35 BD écrites. Rugby, SF, western, thriller, il doit y avoir un ou deux sujets que je n’ai pas traités (rires). Il va y avoir des Romains en -30 avant J.C. amenés en Chine pour bientôt. L’Histoire me passionne. Les 500 pages chez Glénat seront historiques, le projet avance. Pinard de guerre et Bagnard de guerre auront un tome 3 au Mexique. Là cela me demande de grosses recherches. Avec Porcel je fais aussi Air qui sortira en septembre. L’oxygène est rationné dans les années 30 et il faut trouver une solution malgré des terroristes. C’est très Steam punk.
Vous êtes un lecteur de BD ?
Oui, j’en ai plusieurs milliers. J’ai lu les classiques jeune, Thorgal, Julliard. Je lisais beaucoup avant d’écrire mais j’ai freiné aujourd’hui de peur d’être influencé. J’ai aimé Stern chez Dargaud. J’achète mais j’empile. Je lis par contre beaucoup de bouquins pour mes recherches. Je veux être crédible. J’envoie toujours un gros dossier doc au dessinateur.
Vous êtes à La Réunion où vous avez été publié pour la première fois, après Tahiti, Pontarlier ce qui n’est pas la même chose, vous allez revenir en Métropole ?
Oui dans un an. Je suis enseignant ma femme aussi. On verra où, la façade océan, La Rochelle. Les saisons nous manquent. Et pour la BD on est loin quand on veut accepter des invitations, libraires ou festivals. Ce sera plus simple.
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