Philippe Jarbinet a le talent rare des grands conteurs. Que ce soit dans ses albums ou dans la vie, à condition qu’on ait le privilège d’obtenir sa confiance. Il se confie, se passionne et dévoile toute l’étendue de sa sensibilité. En six albums, avec Airborne 44 dont le dernier vient de sortir (Casterman), Jarbinet a atteint le summum de ce que l’on pouvait réaliser en BD sur la seconde guerre mondiale. Personnages, détails, fiabilité du dessin, ambiances et réalisme. Ses scènes dans la neige pendant la bataille des Ardennes ont du Pratt accroché aux flocons. Ses héros sont ballotés par la guerre. Des gens normaux dont le destin ne tient qu’à un fil mais qui gardent foi et espoir. Philippe Jarbinet avant Istres et AéroBD revient avec ligneclaire.info sur sa série. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Philippe Jarbinet, Airborne 44 colle à la réalité vécue par les combattants, les civils ?
Il fallait effectivement que tout colle. Si je m’étais éloigné de la réalité, je n’aurais pas eu de légitimité. Donc je suis allé en profondeur dans les détails.
D’où un gros travail de documentation ?
Bien sûr. Il faut être le plus documenté possible. D’autant que les sources sont accessibles. Des bouquins et des historiens qu’il fallait consulter, on est passé à internet qui a tout changé. Il y aussi les clubs de reconstitution très forts en uniformologie. Un souvenir : pour une autre BD en 89 je suis allé à Paris au Musée de la Marine pour faire des photos d’un galion. Aujourd’hui c’est fini ce genre de recherches.
D’où vient ce choix de traiter la fin de la seconde guerre mondiale ?
Je l’ai souvent dit mais pour moi il y a un souvenir d’enfance comme déclencheur. Des paras de la 82e Airborne sont morts près de chez moi. Les survivants sont revenus sur les lieux et je les ai vus pleurer, agenouillés là où étaient morts leurs copains. Autre raison, c’est une sorte de Madeleine de Proust. Enfant toujours, il y avait des stocks américains de vêtements datant de la guerre. J’y allais et je garde une odeur indéfinissable de ses tissus. Il doit y avoir un lien avec ma mémoire, un lien olfactif, qui m’a incité ensuite. Enfin la Jeep reste pour moi un souvenir d’enfance. Donc ce choix est en fait assez affectif.
Airborne 44 est une série qui a eu du mal à voir le jour ?
Et ensuite ?
J’ai retravaillé la synchronisation des albums suivants. J’ai réécrit les tomes 3 et 4. A la fin du 4 on rejoint le tome 1. Les tomes 5 et 6 se passent eux dans les Ardennes mais on a toujours des personnages très humains qui tentent de survivre. J’ai un goût immodéré pour le côté graphique de la seconde guerre mondiale. Je serai assez tenté par une histoire qui se passerait dans le Pacifique ou pendant les derniers jours de l’agonie de l’Allemagne nazie. Un sujet sur tous les orphelins dans les ruines et les Russes qui sont là, fin 1945.
On sent que vous aimez dessiner des avions en particulier dans les deux derniers albums.
Difficile de traiter de sujets historiques ?
C’est un peu comme le lit d’une rivière. Il y a des blocs de rochers qui ne bougent pas. C’est la grande Histoire. La fiction se glisse entre les blocs. L’Histoire a un rôle contraignant. Des personnages imaginaires doivent s’imposer dans un contexte connu, un vrai défi.
Votre travail sur le noir, le blanc, la précision et la justesse du trait, la rigueur historique avec le matériel, les uniformes, les couleurs, c’est fait de façon traditionnelle ?
Il n’y a pas une seule image numérique dans mes BD. Tout est manuel. Il y a une progression dans mon travail graphique au fil des albums mais quand je ne sais pas faire quelque chose je ne le fais pas.
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