Avec un épisode d’Airborne 44 qui, pour la première fois propose des personnages principaux allemands et la chute du Reich pour contexte, Philippe Jarbinet poursuit une série qui se démarque par ses qualités graphiques et éditoriales, sa richesse et son envergure réaliste si reconnaissable. Jarbinet travaille sur le tome 8, fin de ce diptyque où le docteur Von Braun se prépare à passer du côté allié. Mais pour Philippe Jarbinet l’aventure n’a pas été des plus simples. Il revient sur le sujet, parle de sa façon d’appréhender la BD et sur ce qui pourrait se passer ensuite. Rencontre en toute liberté au Festival de Gruissan. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Philippe Jarbinet, on fait un retour sur le tome 7 d’Airborne 44 qui se passe côté allemand avec cinq destins qui s’entrechoquent. Ce n’est pas trop lourd à gérer ?
C’est vrai. Je ne m’en suis pas rendu compte de suite mais au moment de dessiner, oui. Donc qui trop embrasse parfois mal étreint et ça a été compliqué.
Vous en êtes où du tome 8 ?
A la page 15 mais je sais toujours où je vais à la case près.
Vous me disiez récemment qu’il faudrait peut-être plus de pages ?
Quand on écrit, on fait appel à sa mémoire, à sa capacité d’organisation. Et tout se met en place comme un puzzle. C’est magique. On se dit ok ,mon histoire est bien ronde je n’ai plus qu’à la dessiner. Sauf qu’en la dessinant, si on était efficace en terme de narration, pour le dessin on a besoin de respiration, de cases plus grandes, moins par planche. Donc ça mange de la place. L’efficacité, c’est bien mais jusqu’à un certain point.
Je vais avoir besoin de trois ou quatre planches de plus sans remise en question de l’ensemble. Si j’arrive à la page 54 du tome huit je sais exactement ce qu’il y a dedans. Tout est écrit.
Comment travaillez-vous ?
Il y a une écriture totale bien sûr, un scénario complet avec des dialogues dégrossis mais j’affine ensuite selon ce que je ressens des personnages. L’expression qu’ils ont peut ne pas correspondre à l’image. Mais c’est à la marge. Je sais où je vais arriver car il faut qu’il y ait une relance d’une page à l’autre. Sinon on change l’angle de vue de l’histoire. Le problème de la BD n’est pas que de raconter une histoire mais de la raconter dessinée. Le lecteur ouvre l’album et il est face à deux pages. Donc son œil lit déjà la droite alors qu’il est encore sur la page de gauche. Il faut qu’il y ait compatibilité. Il faut fignoler.
C’est un très bel artisanat ?
Oui mais il faut organiser son récit pour que graphiquement il puisse s’insérer dans l’album. Beaucoup d’auteurs ne font pas attention à ça. Je suis peut-être un obsessionnel maladif.
Pas vraiment car vos albums sont toujours très réussis. On s’y plonge facilement. Dans le 7 pourquoi ce choix de héros de l’autre bord, allemands ? Alors que le début a pour cadre les USA ?
Oui. Qui met dans les premières planches le pistolet sur la tempe d’un vieil homme et lui qui est-il aussi ? (Rires). J’ai eu beaucoup de lecteurs qui me font des propositions mais ils se trompent. Il faudra attendre la fin du tome 8. Alors pourquoi la fin du Reich ? Parce que dans un film j’aime bien être tenu en haleine, de faire un rétropédalage. Je vous présente en entrée ce qui va se dénouer à la fin. J’aime bien comme lecteur être manipulé.
Quel lecteur de BD justement êtes-vous ?
Je suis classique. Je suis un enfant d’Hermann. On a assisté à l’élargissement de la BD aux comics et aux mangas. J’y suis imperméable sans jugement de ma part. J’adore Brüno avec Nury, ou Vallée avec Katanga. Il y a une vraie symbiose du scénario et du dessin. C’est bien quand deux individus différents font œuvre commune. C’est une rencontre magique comme Rosinsksi et Van Hamme.
Et donc pourquoi ce choix de destins allemands ?
Cela faisait six albums où les Allemands étaient les opposants. Je me suis beaucoup intéressé à l’Allemagne où je vais souvent. Je suis interpellé par la capacité de ce pays à analyser son comportement pendant la guerre. C’est le seul à l’avoir fait. On ne peut pas simplifier. Le défi le plus aigu était que je voulais partir d’un SS donc du pire. Philippe Gillain qui m’a toujours aidé grâce à ses connaissances pour le côté allemand m’a dit : comment peut-on rendre un SS sympathique ?
Le décalage est astucieux car le héros quitte la SS pour avoir refusé le pire.
Oui mais cela montre comment le parti nazi avait pris une terrible autorité sur la mentalité des parents et des enfants qui ensuite embrigadés sont devenus SS. La plupart des SS sont allés jusqu’au bout et ils sont très peu à dire ensuite qu’ils se sont fait avoir.
On a cet ancien SS, on a Solveig une jeune femme qui n’est pas vraiment celle que l’on croit, deux jeunes déportés et puis Von Braun, l’homme aux fusées, une vraie anguille avec le destin qu’on connait.
Ce qui m’intéresse avec Von Braun c’est qu’il a été ambivalent. Il a bien été aidé par les Américains à la fin de la guerre et on ne trouve pas pratiquement de photos de lui en uniforme de la SS ou même de la Luftwaffe. Tous les ingénieurs avaient un grade SS. On l’a virginisé mais il avait aussi cette volonté d’aller dans l’espace. Il a travaillé pour le Reich et le camp de Dora ne pouvait pas être ignoré par lui.
On va le retrouver dans le prochain tome ?
Oui mais sans en dire trop. J’ai eu beaucoup de personnages dans le tome un. On me reproche que mes histoires finissent trop bien. Donc à voir. J’espère pouvoir sortir le prochain l’année prochaine qui fêtera les 50 ans de l’homme sur la Lune se mais c’est un diptyque très difficile.
Pour l’avenir, qu’est-ce que vous envisagez ? La même veine ou une thématique différente ?
Ce ne sont pas des héros que vous mettez en scène mais des destins ?
Effectivement, j’aimerais partir sur des personnages réels mais j’hésite parce que trouver la bonne documentation est difficile.
D’autres envies ?
Il faut que la nature soit présente. Je suis incapable de dessiner des histoires dans des bureaux ou en ville. Aucune affinité donc je suis limité.
Et l’aviation ?
J’adore les avions depuis l’enfance. Mais je n’en ai pas de connaissance intime comme Romain Hugault pour le faire bien. Vous savez, autrefois, se planter sur un album ce n‘était pas grave. On le disait avec TaDuc. Aujourd’hui, à 53 ans, faire un album qui sera un échec, on se dit que tout album compte car il va nous prendre de la vie et on n’a plus autant de temps pour en faire de très bons. Le drame en BD c’est de trouver une thématique qui va nous permettre de travailler bien et proprement alors que temps nous est compté.
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