Philippe Francq est désormais seul maître à bord de Largo Winch. Après vingt-cinq ans de collaboration et vingt albums dont le dernier 20 secondes vient de sortir (Dupuis), Jean Van Hamme a décidé d’arrêter de scénariser cette série mythique. Philippe Francq revient en détails sur cette séparation et surtout sur la suite, sur le nouveau scénariste de Largo Winch, le romancier Eric Giacometti, qui signera avec lui L’Étoile du matin, titre du prochain Largo prévu pour début 2017. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC. A lire aussi sur cultureBD.
Jean Van Hamme et Philippe Francq, c’est fini. Copains toujours ?
Cela n’a pas beaucoup d’importance. D’abord on n’a jamais été vraiment copains-copains. Cela a toujours été une relation de travail avec Jean même si on s’entend bien on ne passait pas nos vacances ensemble (Rires), je rappelle qu’il y a une différence générationnelle entre nous, Il a l’âge de mon père, ceci expliquant cela. Donc je ne peux pas classer Jean parmi mes amis intimes.
Vous n’aviez pas de relation affective entre vous ?
Il y a eu une relation privilégiée qui a duré vingt-cinq ans ce qui n’est pas négligeable et ça laisse des traces.
On peut s’arrêter du jour au lendemain au bout de vingt cinq ans quand on sait le succès de Largo Winch ?
Ce n’est pas moi qui m’arrête du jour au lendemain. Il faut reprendre les propos de Jean. J’ai été très surpris parce que je pensais qu’il continuerait d’autant qu’on avait parlé de l’avenir. La fin de 20 secondes qui vient de sortir est très ouverte et demande une suite. Je m’attendais donc à ce que Jean écrive cette suite et qu’on sache pourquoi cette manipulation dans Chassé-croisé et 20 secondes avait été ourdie contre Largo. Je reste étonné qu’il jette l’éponge.
Vous avez, vous, vos propres envies concernant Largo dont vous êtes désormais le maître d’œuvre ?
Il faut renouer avec ce qui a fait Largo depuis le début et revenir à une histoire à base économique. Le Prix de l’argent, La Loi du dollar, OPA et Business Blues. Un diptyque en Chine où Largo paye une dette morale, un trafic d’armes et un frère hypothétique de Largo dont on ne sait pas vraiment s’il l’est vraiment dans Mer Noire, enfin dans les deux derniers, un chassé-croisé permanent, des terroristes salafistes, une manipulation et un attentat, on n’est pas dans l’économique tel que je le souhaiterais comme aux débuts de la série.
Jean Van Hamme a arrêté XIII, Thorgal. Comment expliquer qu’il lâche Largo ?
Je suis étonné, je le répète parce que Largo est un personnage qui a une histoire, un passé que l’on apprend à connaitre. Largo est l’un des personnages les plus intéressants de Jean Van Hamme. Il évolue dans le monde qui nous entoure et ce n’est pas de la politique fiction ou de la fiction économique. Cela permet de raconter une infinité d’histoires ce qui n’est pas le cas avec Thorgal ou XIII.
Comment cela se passe dans une situation pareille ? L’éditeur à son mot à a dire ? Et quelle suite pour Largo ?
L’éditeur est un peu pris en otage et n’a pas grand-chose à y voir. Il nous a toujours laissé libre. L’éditeur publie ce qu’on lui propose et reste dans l’expectative. Il peut être inquiet. Ils l’ont été. Moi, je m’y étais préparé. Jean et moi avons une certaine différence d’âge. Donc il y aurait eu un moment ou le problème du repreneur se serait posé. Quand les journalistes me posaient la question je ne savais pas vraiment quoi répondre. On se dit qu’il faudra penser à la succession mais bon, on a le temps. Quand j’ai reçu la lettre de Jean – il m’a écrit et ne m’a pas appelé pour me dire qu’il arrêtait – d’un coup cela a été concret et urgent. Je commençais 20 secondes et traditionnellement quand j’attaque un album j’ai le suivant. J’aime savoir où je vais, connaître le destin des personnages. On peut cacher des choses dans le dessin pour que le lecteur les découvre plus tard. Il faut avoir un train d’avance ou être au même niveau que le scénariste. Là, j’ai commencé à penser à la relève.
Oui, c’était soudain et définitif. C’est arrivé l’an dernier, juste avant le voyage de presse à Londres pour la sortie de Chassé-croisé. Donc il fallait se taire, ne rien laisser transparaître. On n’en a pas parlé vraiment. Ensuite, l’éditeur m’a demandé de faire vite 20 Secondes il y a un an en me disant « Alors le prochain ? Le 20 pour les 25 ans ? Ce serait bien que tu le fasses rapidement ». Je suis rentré chez moi le 6 décembre 2014, j’ai fait la couverture et j’ai attaqué les planches. Cela dit, ce n’est pas l’album que j’ai fait le plus vite.
A qui avez-vous pensé pour remplacer Van Hamme ?
Comme c’était inéluctable, il fallait trouver une solution qui corresponde à mes envies. Je passe des noms en revue. Je ne trouve rien.
Des noms connus, scénaristes ou autres, romanciers ?
Oui mais je lis beaucoup de romans. J’ai lu par exemple le dernier livre de Ruffin, Check Point. Il y a deux personnages qui discutent et l’un dit « je lis Corto Maltese et Largo Winch ». Je sais qu’il y a pas mal d’écrivains branchés BD. Mais il y a une condition, une qualité, être capable d’écrire une intrigue économique. Pour moi le plus important. Il faut quelqu’un jeune d’esprit, qui s’intéresse au monde tel qu’il est et tel qu’il va. Anticiper sur les futurs problèmes. Je réfléchis et je ne trouve pas.
Et soudain le déclic ?
Et une nuit, je me dis c’est Eric Giacometti que je connais depuis longtemps. Je n’avais jamais pensé à lui. Il est romancier et travaille à quatre mains avec Jacques Ravenne sur la série de polars, Antoine Marcas, un thriller ésotérique. J’ai repensé à son dernier bouquin Le règne des Illuminati. Il y a longtemps, il m’avait confié qu’il s’intéressait à la manière d’écrire des américains et qu’il envisageait un séjour aux States pour y parfaire son art. Avec les Illuminati, j’ai pu en mesurer les bénéfices, je me suis laissé totalement avoir. Impossible de deviner la fin alors que j’essaye toujours de démêler les ficelles de ce que je lis ou vois au cinéma. Il y avait vraiment une belle évolution dans sa façon d’écrire. De plus c’est un journaliste économique.
D’où votre proposition ?
Je le lui ai dit que j’aimerais lui parler. Il était à mille lieux de penser à cela. Il est un lecteur de Largo et donc la tentation a été grande d’accepter, ce qu’il a fait. On a pu commencer à réfléchir.
C’est donc Eric Giacometti, journaliste, romancier, spécialiste d’investigations économiques qui prend la relève. Mais est-ce que l’éditeur a voulu imposer un scénariste ?
Non, j’avais dit que je m’en occupais. Ils ont eu probablement pas mal d’appels. Je n’en n’ai pas été au courant dans le détail.
Oui. Pourquoi et qui. J’ai dit à Eric qu’il y avait un cahier des charges. Il avait fait aussi le sien, revenir aux fondamentaux de Largo, renouer avec ce qu’il avait aimé. Il y avait deux façons de traiter la suite. Soit on passe à autre chose et on y revient plus tard. Ce qui marche bien si c’est le même scénariste qui continue de travailler d’album en album. Mais comme Van Hamme provoque une rupture il fallait continuer sur la lancée pour profiter de cette fin non aboutie et glisser lentement vers autre chose. La transition sera plus douce. Avec des différences mais le lecteur s’en rendra moins compte. On passe en fait à une histoire plus globale liée au dernier album.
Vous avec des échéances Giacometti et vous. Avez-vous commencé à écrire ?
Oui, il y a déjà un synopsis et on a le titre des albums. Pour le premier ce sera L’Étoile du matin, le tome 21. Il faut encore en écrire les dialogues et découper l’histoire. C’est sur cette dernière étape que mon expérience sera utile à Éric. Mais il apprend vite. Très vite !
Avec Van Hamme vous interveniez sur le scénario ?
Non, jamais. Jean est très visuel, il visualise bien ce qu’il écrit, en combien de pages cela peut se dessiner. Même si je changeais régulièrement le découpage de ses pages. Il avait une vision très carrée de la place que prenait sa littérature.
Les personnages vont évoluer ?
Il y en a qui reviennent mais il y a beaucoup de nouveaux personnages que l’on ne connaît pas. On va explorer un monde que le lecteur ne soupçonne pas. En fait dans les deux derniers albums ce sont d’anciens personnages qui se retrouvent à Londres et vivent une histoire chacun de leur côté. Tout se croise, décroise, recroise et ils échappent au pire à la fin. Cette fois il y aura des personnages étoiles filantes.
Vous semblez avoir pris du recul, de la distance sur 20 secondes ?
Quand j’ai eu ma discussion sur la suite avec Van Hamme, avant qu’il ne décide d’arrêter, il devait écrire une histoire avec un fondement économique solide. On savait que les deux derniers albums étaient amusants mais légers. On avait 25 ans d’histoire et on pouvait se le permettre mais ce n’était pas suffisant. La suite aurait dû faire prendre tout son sens à cette apparente légèreté. Il ne la fera pas.
Vous vous sentez plus impliqué désormais ? Vous semblez avoir avec Giacometti des atomes crochus ?
Il a l’habitude de travailler à deux. C’est un grand changement pour moi. La première fois que j’ai rencontré Jean Van Hamme il voulait s’assurer que je n’étais pas un dessinateur-scénariste-frustré (dixit JVH). Sa hantise était de devoir composer avec quelqu’un qui avait des idées sur les histoires. Il ne voulait pas s’encombrer d’un co-auteur. Seul maître à bord dans sa partie. Dans l’écriture, il n’aurait pas supporté être contredit. Cependant, et au fil des années, et toujours avant qu’il ne commence à écrire, je lançais des idées en l’air. Son travail terminé, je pouvais constater ce dont il avait tenu compte. Le scénario fini, je pouvais toutefois faire des remarques.
Avec Eric Giacometti votre façon de travailler va changer ?
Cela sera différent avec Éric qui est parti sur une idée que je ne peux dévoiler ici (Rires). Je peux dire qu’une partie se passera au Mexique. Et donc Eric tenait à cette idée très moderne et moi j’en avais une autre. Les deux combinées forment une histoire à plusieurs trames, plusieurs histoires dans une histoire. On comprendra que quand Largo arrive à Londres au début de Chassé-croisé, ce n’est pas innocent. Il est parvenu à donner une raison d’être à 20 secondes, à réutiliser ce qui avait été mis en place.
Vous avez une idée de la date de parution ?
Courant 2017. Je vais faire un peu de repérage, crayonner des personnages. Il y a une belle galerie de nouveaux. Et j’attaquerai les planches. Ce sera la première fois qu’on finit un diptyque avec le mot à suivre. Je voulais faire une page 47. Un lien pour faire du buzz sur le net. Ce sera une page que j’aimerai poster en février ou mars pour relayer la suite. Ce ne serait pas la page un du 21. Un épilogue, prologue.
Vous avez l’impression de passer à autre chose ? Pas d’inquiétude ?
Nouveau départ, je range tout mon atelier. Ce sera différent. Dans la continuité de 20 albums. Pas d’angoisse. J‘ai demandé à Eric de faire apparaître des choses que l’on ne voyait pas. Les réseaux sociaux par exemple. Je dessine mes personnages maintenant avec des gens qui marchent en regardant leur portable. Les gens ne se parlent plus. Dans mes dessins j’en tiens compte. Dans le même ordre d’idées, un personnage qui tend un journal papier en disant « tiens tu as vu cette info », c’est fini. Donc je fais un tri dans ma doc papier. Je suis inquiet à chaque fois tant que je n’ai pas commencé une nouvelle histoire. Ensuite, non.
Il va y avoir un toilettage de Largo ?
Toilettage non. On va actualiser son environnement. On a beau avoir un dessin moderne il faut être de son époque. La suite sera aussi un diptyque, les tomes 21 et 22. On n’a pas trop de deux albums. En fait cela fera au total deux fois deux albums avec Chassé-croisé et 20 secondes. Je ne sais pas comment Van Hamme l’aurait traité. On était parti sur une histoire en Russie car l’homme d’affaire machiavélique de 20 secondes est russe. Et puis Largo dans les étoiles, pourquoi pas ? Mais toujours avec un arrière plan économique.
Largo malgré sa récente amourette est abonné au célibat ?
Oui. Il n’a pas d’enfant, il n’est pas marié. Ce n’est pas possible de l’attacher sentimentalement. Il serait le moins bon des maris (rires).
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