Alors que vient de sortir chez Delcourt l’adaptation du roman de Jean Teulé, Entrez dans la danse, par Richard Guérineau, un bel habitué de l’exercice, on a voulu rappeler que c’est Philippe Bertrand qui avait ouvert le bal. Un homme de grand talent, charmant, curieux. Il avait pris en main Le Montespan de Teulé, un bouquin enlevé, sidérant, tendre et amer parfois. L’histoire d’un homme qui aimera jusqu’au bout sa femme allée rejoindre des bras royaux. Philippe Betrand avait sublimé le destin du marquis. Et il s’en est allé bien trop tôt évidemment en 2010. On l’avait rencontré à Angoulême, comme Jean Teulé. On a sorti des archives deux textes sur lui, sur Le Montespan, sans hésiter non plus à ajouter la chronique parue à l’occasion de la parution du Magasin des Suicides de Teulé qu’Olivier Ka a scénarisé et Domitille Collardey dessinée. Textes : Jean-Laurent TRUC.
16 mai 2010 : BD et théâtre, Philippe Bertrand qui a signé Le Montespan n’est plus
Philippe Bertrand est mort à 61 ans. Parmi une production importante, en quelques albums, il aura marqué de façon incontournable le monde de l’art et celui de la BD en particulier.
Philippe Bertrand venait de publier l’adaptation du roman de Jean Teulé, Le Montespan chez Delcourt. En donnant vie sous son crayon au mari de la célèbre marquise, Philippe Bertrand avait signé son album le plus fort, le plus construit et aussi le plus difficile. Jean Teulé, très triste aujourd’hui, lui avait donné carte blanche pour mettre en images le parcours exemplaire face à un Louis XIV despotique d’un homme qui ne cédera jamais et aimera jusqu’à son dernier souffle sa peu loyale marquise de femme.
Bertrand avait dessiné une marquise de Montespan irrésistible, amoureuse, d’un trait sobre et chaleureux. On sentait dans ses décors toute l’ampleur de son expérience du théâtre. Mais bien avant cet album, qui restera malheureusement son dernier, Philippe Bertrand avait apporté un bon nombre de jolies pièces au 9e art. C’est Wolinski qui lui fait faire ses premières armes dans le magazine Charlie Mensuel. Bertrand, touche-à-tout ouvert à tous les styles, à toutes les expériences artistiques travaillera au même moment pour la presse alternative
Viendra dans la foulée sa période Pilote et la publication de Linda aime l’art chez Dargaud en quatre volumes. Bertrand se prend de passion pour l’édition jeunesse et dessinera une cinquantaine d’albums. Il mettra la BD en parenthèse et réalisera des décors de théâtre, la verrière de la Fnac Étoile à Paris, des dessins animés et un jeu vidéo. Amoureux des femmes, son adaptation du Montespan le prouve, Bertrand écrira des romans légers et reviendra à la BD sur un scénario de Frédéric Beigbeder, Rester normal à Saint-Tropez, un brin tendance, et en 2008 l’excellent L’Amour cash avec Tonino Benacquista.Philippe Bertrand était un homme tendre et chaleureux, curieux et passionnant.
Le Montespan de Teulé dessiné par Bertrand
Jean Teulé a le talent de choisir des héros souvent inconnus mais hors du commun. Avant Mangez-le si vous voulez, son dernier titre, il avait raconté le parcours exceptionnel du marquis de Montespan, mari de la célèbre maîtresse de Louis XIV. En virtuose, Teulé signait un roman superbe, généreux, qui s’est vendu à 500 000 exemplaires. Jean Teulé a aussi eu une vie d’auteur BD.
Il a tiré un trait sur ce temps-là et a préféré confier son bébé pour son adaptation. Le Montespan a vu le jour en BD grâce à Philippe Bertrand dessinateur, ami de trente ans de Teulé qui « s’est complètement approprié l’histoire et je ne suis pas intervenu sur le scénario, le choix de coupes ». Et Teulé, rencontré au dernier festival d’Angoulême, de compléter : « Il a apporté une touche d’élégance, de douceur à ce drame de l’amour. » Mais qui était Montespan ? « C’est par hasard que j’ai découvert la vie du marquis de Montespan totalement méprisé à son époque et oublié. Un noble qui refusait l’honneur suprême – et la richesse qui allait avec – d’accepter avec le sourire que sa femme soit la favorite de Louis XIV. C’était incroyable à la cour. »
Car Montespan non seulement rejette l’idée que sa femme règne à Versailles mais en prime va peindre son carrosse en noir et le flanquer de cornes de cerf. Cocu certes mais avec panache. Et par-dessus tout Montespan aimera jusqu’à sa mort, avec passion, sa marquise qui trempera tout de même dans l’affaire des poisons mais sera une grande amie des Arts et des Lettres. « Un cas unique le Montespan. Il n’a jamais craqué et pourtant le roi a mis le paquet. Je n’ai rien inventé et Bertrand a eu le talent de donner à tous les personnages un relief saisissant, émouvant ou cruel. »
Philippe Bertrand après avoir adapté Beigbeder et Benacquista a séduit son ami Teulé. « C’est la première fois qu’en parlant d’une BD je peux dire que c’est un chef-d’œuvre », ajoute Teulé, très sérieux. Et c’est vrai que l’on plonge avec facilité déconcertante et joie à la suite du Marquis qui élèvera un crétin de fils et perdra sa pauvre fillette désespérée de ne pas revoir sa maman. A coup sûr Le Montespan mériterait aussi un film comme l’autre roman de Teulé, Je, François Villon que France 2 va réaliser. Et que Luigi Crittone dessinera pour une BD en trois tomes. Quant à Teulé, désarmant touche-à-tout génial, il continue à se laisser porter par les futures aventures de ses héros qui auront toujours une trame de fond historique pour décor.
Le Montespan, Delcourt, 17,50 €
Le Magasin des suicides, un hymne au bonheur
Vous voulez mourir ? Décidez-vous et nous ferons le reste. En écrivant Le Magasin des suicides Jean Teulé (depuis auteur de Je, François Villon, de Le Montespan, du sulfureux Mangez le si vous voulez, de Charly 9 et scénariste de BD) avait signé finalement et mine de rien une sorte d’ode à la meilleure façon de retrouver une saine joie de vivre. Avec rebondissement final bien trouvé.
Paradoxe certes car dans la famille Tuvache on a une spécialité, la mort volontaire, et la boutique qui va avec, le suicide parfait selon goûts et souhaits des volontaires. Corde à pendu, bonbon empoisonné, katana pour hara-kiri, on trouve tout ce qu’il faut chez ses braves gens qui ne rigolent pas avec la mort, surtout celle des autres. Quand un beau jour madame Tuvache met au monde Alan elle ne sait pas que leur vie va changer. Car Alan sourit, aime la vie, est optimiste et, pire, a une bonne humeur contagieuse.
Les Tuvache feront tout pour rendre leur gamin tristement et mortellement ennuyeux. Perdu et c’est cette lutte que raconte Teulé avec un humour noir qu’Olivier Ka a scénarisé, Domitille Collardey dessinée. L’amour contre la mort, l’espoir contre le désespoir, un petit bonheur que cette adaptation d’un excellent roman.
Le Magasin des Suicides, Delcourt, 14,95 €
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