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Interview : François Boucq du Petit Pape au grand général qui avait tout compris plus un exposition à Paris

Rien ne l’arrête François Boucq. Le grand général, De Gaulle, le petit pape, Pie 3.14, François Boucq a associé grande histoire et dérision. Dans Un général, des généraux, Nicolas Juncker au scénario, Boucq raconte avec son dessin toujours très inspiré le 13 mai 1958, coup de force à Alger, le retour de De Gaulle au pouvoir. Le Petit pape est une trouvaille de Boucq pour Fluide. Les deux albums sortent en ce début de l’année troublé par le report du Festival d’Angoulême. François Boucq est revenu dans le détail sur la génèse de ces deux albums, pouvoir spirituel et pouvoir politique se juxtaposent avec bonheur et talent. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC

François Boucq. JLT ®

A noter qu’une exposition qui présentera les originaux du Général sera inaugurée par un vernissage le 8 février à la galerie Les Arts Dessinés à Paris en présence de François Boucq et de Nicolas Juncker. Elle durera jusqu’au 5 mars 2022 au 19 rue Chapon.

François Boucq, comment êtes-vous arrivé dans ce projet, Un général, des généraux ? C’est Nicolas Juncker qui a écrit le scénario.

Oui et il l’envoie à Gauthier au Lombard. J’étais en train de terminer New York Cannibal. Je me dis que j’allais avoir à couvrir les débuts du procès Charlie mais il a été reporté en septembre. Je voulais me reposer avant parce que je ne savais pas à quoi m’attendre avec ce procès en charge de travail. Mais Gauthier voulait que je lise le scénario de Juncker et je l’ai fait. J’ai dit que c’était bien. Gauthier voulait absolument le faire et l’auteur le faire au Lombard à condition que je le dessine m’a dit Gauthier. Quand ton éditeur te dit ça. J’ai accepté et je me retrouve avec une sorte de truc au-dessus de la tête un peu difficile à gérer. J’ai commencé à faire des essais sur quelques planches pour voir. Et si ça me convenait, je me suis dis que je le ferai en me disant quand même « dans quoi je m’embarque ». Les pages sen sont enchaînées avec des effets de foule à dessiner, plein de personnages et j’ai continué. Au total je fais 20 pages. A partir de là, il était évident que je faisais l’album. Avec l’obligation de me libérer de ce projet pour commencer tranquillement le procès Charlie ensuite. Donc j’ai travaillé vite.

Combien de temps pour ce Général ? Vous connaissiez l’époque, le sujet ?

J’ai commencé début mai et j’ai fini deux jours avant le procès. Oui, je savais qu’il y avait eu un putsch en 1958 à Alger, que De Gaulle s’en était servi pour revenir au pouvoir. De Gaulle était considéré comme quelqu’un qui avait pris presque de force le pouvoir. Mais je ne connaissais pas les détail de l’histoire. Le scénario me les a appris.

Il y a une partie caricaturale des personnages sur des textes authentiques plus la documentation très précise pour parler d’une situation historique sans erreur.

En fait je me suis aperçu que c’étaient des rigolos avec des pouvoirs militaires, politiques et tout ça. Ça fait une sauce qui devait prendre mais on ne savait pas comment. L’intéressant était de rendre compte des évènements réels mais avec un ton à la Courteline, à la Feydeau. Des claquements de portes, des mecs en colère, des types qui retournent leur veste, c’est une sérénade et une valse d’opportunistes.

Par des gens avec d’énormes pouvoirs et une armée puissante, très opérationnelle. On va en retrouver pas mal en 1961 pour le putsch des généraux contre De Gaulle et l’abandon de l’Algérie. Et en 1958 la manipulation, elle est gaulliste.

Ce qui est aussi passionnant est de voir comment De Gaulle sans presque ne rien faire a réussi à faire en sorte que tous ces acteurs, sans lien direct souvent entre eux, vont le faire revenir aux affaires. J’ai aussi mieux cerné ce qu’avait été la 4e République, on change le premier ministre à tour de bras, les partis décident, le Président de la République essaye d’avoir un rôle. Ils sont tous dépassés par la situation.

Alger en 1958, c’est la force de l’armée avec un climat insurrectionnel, la volonté de garder l’Algérie française. Mais on est dans un régime aussi d’appelés qui aura un rôle en 1961 mais pas en 1958. Il y a à Paris la crainte que les paras sautent sur la capitale ?

Oui, ce style d’opérations soit elles foirent, soit elles mènent à une dictature. Le spectre existe mais les Français peuvent-ils assumer une dictature ?

On a eu Pétain et Vichy, sauf que ces acteurs militaires de 58 sont tous issus de la Résistance, de la France Libre. Il y a également eu la gifle indochinoise avec la bataille de Dien-Bien-Phu et l’évacuation du Vietnam Nord.

Ils essayent de redorer leur blason mais c’est une valse d’hésitations encore une fois. Permanente. Un pouvoir militaire non dirigé ne peux pas réussir un putsch. Ils arrivent à Paris, ils prennent les institutions mais après ? Ils n’ont aucune notion de la politique. Ils sont aptes à recevoir des ordres, agir mais pas à gouverner. De Gaulle le sait, et que ce sera une faillite à terme, qu’on fera appel à lui l’homme du 18 juin.

Il y a à Alger les réseaux gaullistes, Soustelle, Delbecque, Debré à Paris.

Dans le côté Grand-Guignol, on n’a pas traité des accords occultes. Pflimlin va aller voir De Gaulle en douce mais on ne dit pas comment Soustelle arrive à Alger. Il est en fait l’homme de De Gaulle.

Il y a aussi l’épisode ubuesque de la Corse, cible des putschistes, une sorte d’avant-poste, de premier pas.

Une réunion va décider de faire fort. Massu dit que les paras peuvent prendre le sénat ou autre à Paris. C’était un peu gonflé, Salan minimise. Donc comme le niveau baisse, Delbecque propose un truc intermédiaire. On menace la Corse, ou on débarque en Provence comme Napoléon à son retour. Il commence en Corse et personne ne les accueille vraiment pour prendre la préfecture d’Ajaccio. Il y a le commandant du régiment mais pas ses paras. Une pantomime.

Leur seul souci, c’est l’avenir de l’Algérie qu’ils veulent française comme les milliers de Pieds-noirs sur le Forum à qui parle Massu et Salan.

Cette situation a généré la suite, l’OAS, le putsch de 61, l’autodétermination, le référendum, 1962, l’indépendance. Les conséquences de cette époque se font sentir encore aujourd’hui.

Quel est le personnage pivot, Massu ou Salan ?

Dans l’histoire, Salan c’est un Louis de Funès qui passe partout. Il essaye de sauver son autorité. Il cherche à devenir un De Gaulle à Alger. Il est entouré d’une tripotée de mecs qui le contredisent avec un Lagaillarde qui flanque la panique. Il est désespéré de voir qu’il perd pied ou qu’on lui fait dire n’importe quoi. Massu est là et sert de courroie de transmission sans vraiment savoir pour qui ou pourquoi. Du Salan, du De Gaulle avec un Delbecque qui cherche sa place. Un jeu qui aurait pu mal tourner et ils deviennent des personnages essentiels. Il faut bien se souvenir que nous sommes toujours dans la Ve République, celle voulue, mise en place par De Gaulle donc un Macron aujourd’hui en est l’héritier. Et ce que nous vivons est la conséquence de tout ça avec bien sûr d’autres péripéties intermédiaires. Les Indigènes de la République c’est aussi issu de ça.

Les dialogues de Nicolas Juncker, vous n’avez rien touché ?

Non. Ce que j’aime dans cet album c’est qu’il fait bien comprendre ce qui s’est passé le 13 mai 1958. Les images, les articles d’époque, le scénario est conforme à la réalité. Il y a un aspect pédagogique. Ensuite c’est plus de mon domaine de faire jouer les personnages comme une direction d’acteurs. Ce que j’ai fait sans découpage de sa part. A moi de mettre en scène. C’est génial à faire selon la situation. Il n’y a pas eu de morts même si je montre une scène violente à Saint-Étienne. L’album sera en couleur. Je me suis demandé aussi pourquoi Bigeard n’arrivait pas dans l’histoire. Un prudent.

Autre sujet, comment le Petit pape est né, votre nouveau héros chez Fluide.

C’est simple, je sortais du procès Charlie et j’avais envie de me détendre un peu. J’avais des appels du pied de Fluide. J’avais fait des essais et je trouvais amusant de faire un pape tout petit de taille. Et je me suis demandé comment il pourrait s’appeler. Pie 3,14, c’est bien on pouvait faire des jeux de mots comme des circonférences épiscopales. J’ai fait une histoire pour voir si ça leur plaisait. Une autre, courte, 3 à 5 pages. J’aime bien dessiner devant la TV le soir. Je fais ça depuis tout jeune et je continue. Je fais des illustrations. De fil en aiguille ils se sont entichés du personnage. Ils ont fini par me dire que j’avais pratiquement fait un album. Donc on va le publier. Ils le voulaient absolument. Donc, ils me pressent encore et ils veulent que l’album soit prêt pour Angoulême (NDLR le Festival est retardé).

Il y a la mule du pape, des morts-vivants qui font la vaisselle. Vous vous lâchez.

Totalement. Tout le monde a un rapport direct ou indirect avec le pape mais de façon sympa dans des situations qu’il provoque. Une dérision affectueuse. Ce serait trop facile d’être dur. J’ai fait deux couvertures. Mais ce sera la première où on présente le pape à la foule de la place Saint-Pierre avec un cardinal qui lui sert d’escabeau. J’ai encore plein d’histoires. Et un Bouncer en préparation.

François Boucq par lui-même
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