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Interview : avec Jean-Pierre Pécau 100 jours pour la fin du Reich et d’Hitler

C’est Jean Lopez chez Perrin qui a écrit cet ouvrage de référence très détaillé, un éphéméride documenté à l’extrême sur Les 100 derniers jours d’Hitler. Jean-Pierre Pécau l’a scénarisé, adapté avec au dessin Senad Mavric et Filip Andronik, aux couleurs Jean Verney. Hormis le personnage de Hitler dont on sait à peu près tout c’est de l’Allemagne et des Allemands dont il est vraiment question sur ces 100 jours d’agonie du Reich qui ira jusqu’au bout de sa folie. On parle de nazis, certes, d’Allemagne nazie, oui, mais on a rapidement tiré un trait sur l’acceptation en connaissance de cause, parfois voulue de ce que la nazisme, régime légalement choisi en 1933 a fait des Allemands. Des questions que Ligne Claire a posé à Jean-Pierre Pécau sur un ouvrage qui fera référence. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Jean-Pierre Pécau. Delcourt ©

Jean-Pierre Pécau, rappelez-moi pourquoi vous avez choisi d’adapter en BD le livre de Lopez ?

Simplement parce que je lis tout ses livres et qu’il est un des plus grands historiens sur la seconde guerre mondial du front de l’Est, l’Armée Rouge. J’avais trouvé son bouquin sur les 100 Derniers jours d’Hitler qui offrait un angle passionnant car ce n’était des histoires de batailles mais plus la fin du Reich. Ce qui s’était passé un peu de chaque côté de la barricade autant du côté allié ou allemand, civil.

Le titre exact du livre ? C’est un éphéméride très détaillé, documenté qui mélange tous les facettes les plus noires du moment mais à tous les niveaux du pouvoir ou du peuple.

Exactement le même, les 100 Derniers Jours d’Adolf Hitler. C’est justement ce mélange qui est passionnant pour moi. On voit les actions des civils, des familles, des prisonniers chaque jour. Le tableau est apocalyptique et juste de ce qu’ont été les trois derniers mois de la Seconde Guerre Mondiale, en particulier en Allemagne. Cela met un coup au mythe qui n’en est plus vraiment un de nos jours d’un pays sous la coupe nazi qui aurait subit plus qu’autre chose. C’est un pays en fait aux côtés des nazis pour résister.

Au début des années soixante on sentait encore qu’il y avait eu une participation volontaire au nazisme. Ensuite on ne remet pas évidemment en cause le remord et le retour à une démocratie. Mais il y avait des traces de nostalgie. C’était dû à quoi ? A une dénazification partielle en 45 ?

L’Allemagne est envahie. On dénazifie mais il faut que les institutions fonctionnent comme en France à la Libération. On a tendance à penser que tout le monde à résisté à l’Est face aux Russes dont on avait peur parce que tout le monde savait ce qui s’y était passé avec les troupes allemandes SS ou pas. A l’Ouest c’était plus calme. C’est faux car l’intensité des combats a été féroce aussi. Hitler arrive en 1933 mais avant il y a dix ans de montée du nazisme dont deux générations allemandes embrigadées. Et ça produit ce résultat.

Les conditions du traité de Versailles en 19 aussi ont joué, la volonté de revanche car l’Allemagne considère ne pas avoir perdu la guerre en 1918.

Là aussi il y a une réécriture de la République de Weimar et de Versailles. Il y a la volonté d’Hitler de revoir les clauses du traité mais de devenir une grande puissante qui s’étend sur l’Europe. Tout le monde adhère en Allemagne. Les anti-nazis en hiver 33 quelles ont été leurs réactions ou situation à l’arrivée d’Hitler ? Ils partent ou sont en camps. Donc il n’y en a plus en action.

Est-ce qu’il y aurait pu y avoir une issue différente. Il y a eu des tentatives même de proposer une alliance face aux Russes.

Je ne crois pas car on a eu des hommes politiques Churchill et Roosevelt qui ont compris qu’il n’y avait pas de négociations possibles avec les nazis, régime maléfique à abattre. Si on avait eu d’autres hommes politiques on aurait pu avoir des velléités alliées. A la grande surprise des Allemands car leur diplomatie n’a pas compris pas pourquoi les Alliés à l’Ouest ne veulent pas s’entendre avec eux contre le péril soviétique.

Avec le paradoxe qu’en 1945 ce sera la guerre froide qui se profile et les Russes s’imposent.

C’est de la faute de Roosevelt. Churchill était anti-communiste. Roosevelt a été roulé dans la farine par Staline qui lui avait fait croire qu’ils pourraient s’entendre. Donc Roosevelt a laissé faire car il n’a pas compris ce qu’était le régime stalinien. Il détestait aussi De Gaulle donc c’était là aussi de Roosevelt une autre erreur politique grave.

Je reviens sur la notion d’Allemagne en 45. Allemagne nazie, Allemagne hitlérienne, Allemagne tout court ?

Allemagne hitlérienne et il y a eu des tonnes de bouquins écrits. Le sujet n’est pas épuisé. Qu’est ce qui fait que l’Allemagne se lance dans une folie destructrice à laquelle tout le monde participe. Il y a une hypothèse un peu tirée par les cheveux qui s’appuie sur le fait que les Allemands n’ont jamais été colonisés par les Romains. Il n’y a pas le substrat civilisateur reçu par les autres pays, la romanification. Ce n’est pas un hasard si Luther apparait en Allemagne.

N’y a-t-il pas et c’est une caricature une sorte de soumission naturelle à l’ordre comme les Russes qui ont besoin d’un tsar ou d’un Poutine ?

Je ne trouve pas. Il y a une tradition en Allemagne comme à Berlin de liberté, de décalage. Cela dit, je travaillais pour la Fondation Jean-Jaurès et on va à Berlin invité par le SPD. On passe devant le mémorial de la Shoah et une responsable du SPD regarde et dit « les Juifs ils exagèrent ». Elle a compris qu’elle avait dérapé et elle en rajoute une couche « il faudrait tous les mettre sur une île et on serait tranquille ». Elle était au Parti Social Démocrate allemand. Pas dans l’extrême-droite.

On a dépassé aujourd’hui tout ça.

La jeunesse allemande n’a plus de repères, ils ignorent et rejettent le nazisme.

Votre scénario est un copié-collé du livre, vous avait des choix ?

Choix oui car sinon on ne tenait pas en pagination. Peu en fait, j’ai sauté quelques jours et des évènements techniques.

Le choix des dessinateurs ?

Il s’est fait facilement car je travaille depuis plusieurs années avec Senad Mavric et Filip Andronik. On fait la série sur les blindés. Mais je ne les ai jamais vus, ni rencontrés. On travaille sur le net mais ils parlent français.

Graphiquement l’album est costaud.

Ils sont très pointus sur le sujet. Je n’interviens que rarement. Je pense que ce sont des spécialistes. Mais je ne sais pas vraiment. On a eu quelques imbéciles sur les réseaux sociaux pour des bêtises. Il y en a un qui envoie un message « comment peux-t-on confondre les FTP (Francs Tireurs Partisans) et Parti Communiste. Sauf que les FTP étaient le bras armé du PC, son émanation directe. Que répondre ? Je sors un Manouchian le mois prochain sur l’angle par qui a-t-il été trahi ? Je pense que je vais avoir des retours intéressants.

Hormis Manouchian, quoi d’autre ?

Deux ou trois Jour J dont un où Jeanne d’Arc devient reine de France. Avec Gibelin on sort un album sur le Zéro japonais après Spitfire.

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