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Interview : Patrick Wong et les ambitions des 5 Terres

Les 5 Terres projet ambitieux chez Delcourt est prévu pour donner naissance à cinq cycles de six albums chacun. Cette saga animalière anthropomorphique a ouvert le bal en 2019 et en est arrivée au pas de charge au tome 13 sorti fin 2024. Un Game of Thrones sans la magie au royaume de félins moyenâgeux qui ont du mal à s’assurer une succession. David Chauvel en a eu l’idée et participé au scénario aux côtés de Andoryss (Mélanie Guyard) et Patrick Wong. Au dessin c’est Jérôme Lereculey, les couleurs Dimitri Martinos. On y a ajouté un spin-off, Demeus Lor. Patrick Wong répond aux questions de Ligne Claire sur la série, sa conception et son avenir. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Patrick Wong

Patrick Wong comment êtes-vous arrivé dans les 5 Terres ?

Une première série pour moi avec Chauvel mais je débutais dans le métier et je ne connaissais rien au métier de scénariste. Dans un salon il m’a demandé si ça m’intéresserait de travailler en groupe. Il savait la réponse car je lui avais souvent dit que dans le cinéma, la TV, le jeu vidéo on travaille déjà en pool. Cette toute première série avec Chauvel en face j’avais trouvé ça étonnant, j’allais le chercher pour avoir des détails sur le scénario. Donc le groupe j’ai dit oui de suite sans savoir le projet.

Vous êtes trois sur les 5 Terres. Vous n’avez pas eu connaissance du sujet immédiatement ?

Oui, Chauvel, Mélanie et moi. Le sujet, non pas de suite. Je savais qu’il voulait faire quelque chose de très choral, d’ambitieux qui tenait sur 30 tomes mais sans idée du sujet. C’est venu peu à peu au cours des réunions. Cela a pris du temps.

Vous avez déterminé ensemble le sujet ?

Non pas du tout. David a toujours posé les jalons. Mélanie et David avait l’habitude de travailler ensemble et moi j’interviens moins dans la création de l’univers. Depuis le début ils sont ceux qui sont à la base de ce monde. David oriente, le récit anthropomorphique c’est lui, les inspirations narratives aussi même si on impose les nôtres. Il n’y a pas eu de discussion sur vers où on voulait aller. David a le fil rouge.

C’est une série très ambitieuse, au long cours qui a du Game of Thrones en elle. Depuis 2019 vous en êtes au 13e album plus un spin-off Demeus Lor. Comment on arrive à gérer la relative complexité d’une série pareille, à trois, sans déraper, tenir le lecteur en haleine ?

Sur l’ambition je sais que c’est ce que voulait David et nous engageait sur du long terme. Il fallait travailler en amont. On est obligé de prendre de l’avance pour anticiper les problèmes. On en est au tome 13 et on a écrit le 19.

Pour ne pas vous retrouver au pied du mur scénaristiquement ?

C’est ça, ne pas se retrouver éloigné de la grande histoire en terme de rythme. Il y a le fond, le plaisir, tout joue. On est obligé d’avoir de l’avance pour que l’histoire du cycle soit bien et s’intègre. Il faut quatre à cinq tomes prêts pour que le dessinateur ne soit pas pris au dépourvu. Le premier cycle est très inspiré de Games of Thrones sans le côté magique dont on ne connait pas les règles. On a eu des discussions sur le sujet. Un récit très choral et des personnages complexes.

Le dessin de Lereculey a son poids dans cette saga. Une histoire bien bâtie où il faut quand même parfois s’accrocher aux branches pour suivre, la qualité du dessin a joué.

Oui mais je ne peux parler que de mon cas car je n’ai fait qu’une série contemporaine. J’ai beaucoup de mal à imaginer le dessin. J’écris sans savoir. David et Jérôme se connaissent depuis très longtemps, anticipent les problèmes. Je reste dans l’écriture, je peux déceler des problèmes dans le story-board et j’apporte des solutions. Le dessin je le découvre au final. Je n’avais pas imaginé comment cela allait se passer.

On est dans le contexte des séries TV avec des saisons. C’est ce qui a fait le succès des 5 Terres ?

C’est le rythme de parution aussi, la densité d’écriture qui vient de nous trois, trois générations, trois références culturelles, sociologiques. La richesse vient de ça, des thèmes soulevés, des obsessions, des personnages. Dans les 5 Terres si on creuse on arrive à reconnaître de qui vient le personnage, le fil narratif. Trois scénaristes et une seule cohérence.

Et donc la rapidité de parution copiée sur celle du manga qui accroche le lecteur.

Tout à fait et on peut faire un parallèle avec le manga. David l’a fait. C’était une bonne méthode. Dans le tome 1 d’un manga il y a une forte densité narrative impossible en franco-belge. Il y a un éditeur qui a un pouvoir sur les scénaristes ce qui me semble peu courant.

Vous savez donc qu’il y aura cinq cycles de six par continent.

David n’a pas envie de faire une histoire à rallonge. On n’improvise pas. Il y a une vraie cohérence.

Vous connaissez votre lectorat ?

Pas du tout. Je regarde les retours sur les forums. Il est très large mais il y a très peu de lecteurs de mangas.

On est dans de la BD traditionnelle. Les 5 Terres vous occupent à plein temps ?

Je ne sais pas. Les libraires peuvent le dire. Non pas à plein temps. Je suis photographe, je fais de la vidéo.

Revenons sur le dessin. Il vous a convaincu. Vous ressentez sa force ?

Absolument. Ce n’est pas facile de faire quelque chose avec un texte très verbeux, créer de l’émotion, créer un découpage naturel qui me touchait. La première fois que j’ai découvert les 5 Terres en story-board cela a été un choc. Le scénario me paraissait lourd et le dessin par contre très naturel.

Là où vous avez réussi c’est que malgré la complexité de l’œuvre, on plonge et on en reveut.

Il y a l’effet Game of Thrones que je regardais et où j’étais parfois perdu. Ce n’était pas grave car je savais les enjeux des personnages et je raccrochais les wagons. Dans les 5 Terres c’est pareil, il y a toujours un enjeu à résoudre. En plus je me dis que c’est parce qu’on est les seuls à faire ça, je crois.

C’est un succès installé. Qu’aimeriez-vous faire ensuite en BD ?

J’ai un projet de manga sur le même principe mais c’est dur de monter une équipe. Je relance aussi des projets dont un roman graphique.

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