On sait de suite quand on lit ses albums que Pat Perna est avant tout un journaliste, un enquêteur qui remonte des pistes, fait parler les faits. Avec Darnand, c’était la Collaboration dans ce qu’elle a eu de pire. Avec Kersten et les Mains du Miracle, c’était le jeu trouble d’un démon à facettes Heinrich Himmler. Cette fois, ce sont deux albums, malmenés au départ par le virus, qui finalement et heureusement paraissent le même jour, le 6 janvier 2021. Perna continue sur sa ligne éditoriale favorite, le thriller historique vrai avec La Part de l’ombre (Glénat), un jeune Suisse qui va tenter d’assassiner Hitler. Au dessin Francisco Ruizgé (Bodegas Mendoza). Pour le second titre, Valhalla Hôtel (Comix Buro), il retrouve son ami et complice Fabien Bedouel pour un polar fantastique, étonnant, surprenant, pimenté par l’humour. Pat Perna est revenu en détail sur ces sorties avec ligneclaire. Une page paraîtra aussi sur le sujet dans le prochain numéro de ZOO mi-janvier 2021. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Pat Perna, vous avec deux sujets d’albums en ce début 2021, un dans lignée de vous œuvres précédentes et une nouveauté atypique, un polar, avec Fabien Bedouel ?
Avec La Part de l’Ombre sous le nazisme en Allemagne (Glénat), on est dans une pure histoire vraie méconnue. C’est grâce à mon ami de toujours en littérature, Philippe Kerr que je l’ai trouvée. Il avait ce talent incroyable dans ses célèbres polars de donner des petites infos mine de rien. J’ai lu ainsi dans un de ces bouquins le nom de Maurice Bavaud, un Suisse, que je ne connaissais pas. J’ai fait des recherches et il n’y avait pas grand-chose sur un sujet très polémique. En réalité, deux ou trois écrivains en ont parlé en ayant des conclusions très différentes sur le personnage. Ce qui est fascinant c’est que gamin de 20 ans se met en tête de tuer Hitler et arrive à l’approcher.
Une parenthèse pour revenir à Kerr car il y a dans votre album, un enquêteur allemand berlinois qui a un peu de Bernie Gunther son héros bien connu, ex flic de la Kripo.
Oui, c’est un hommage bien sûr. Il me fallait un personnage à Berlin en 1953 lors du deuxième procès de Maurice Bavaud. C’était l’occasion.
Revenons à Bavaud qui réussit à approcher Hitler, un des hommes les mieux protégé à l’époque.
C’est ce qui est incroyable. Dans les différentes thèses qui s’opposent, les historiens pensent que c’est le hasard, qu’il a eu de la chance, un petit jeune homme insignifiant qui se retrouve une arme à la main à quelques mètres d’Hitler. D’autres vont plus loin. Est-ce qu’il n’était pas téléguidé ? On sait qu’il a séjourné chez un oncle qui était très proche d’un grand manitou nazi. En fait le plus incroyable c’est qu’Hitler a été traumatisé par cette histoire au point de faire interdire toutes les représentations de Guillaume Tell, héros suisse, pour ne pas donner des idées à d’autres. Quand Bavaud s’approche ensuite du Nid d’aigle avant de se faire arrêter, il s’est entrainé en tirant plus de 150 cartouches dans les bois. Curieux.
La sécurité d’Hitler était digne de ce que l’on connait de nos jours pour des présidents ?
Pire encore, on avait affaire à un dictateur entouré des services secrets, de la police, de la SS, de sa garde rapprochée. Pour la première tentative que je raconte au début de l’album, Bavaud est dans la tribune présidentielle, entouré de pro-Hitler. Il ne tire pas bloqué par la foule subjuguée par le dictateur.
Ce sera un diptyque ?
Oui, j’aime bien ce format. On n’attend pas trop entre deux albums. Le premier devrait paraître fin mai sous réserves.
Vous donnez des pistes, apportez une solution à cette affaire ?
Sur un sujet aussi délicat je vais vers la thèse qui m’a parue la plus probable. On a essayé de faire passer Bavaud, ce gamin pour un fou. De ce que j’ai lu, dans les rapports psychiatriques, rien ne le prouve. C’était un idéaliste avec un grand sens moral qui n’a pas été reconnu en particulier par la Suisse, son pays d’origine.
Effectivement, on y arrive donc à ce rejet bizarre de la Suisse.
Il y a un problème de fond avec la Suisse pendant la Seconde Guerre Mondiale. Leur position a été une bienveillante neutralité. L’ambassadeur de Suisse à Berlin pendant toute la guerre entretient des rapports ambigus avec les Allemands et aussi avec le restant du monde. Il fait de grandes fêtes. Le bâtiment de la légation suisse à Berlin n’a pas reçu une bombe même pendant la chute de la ville en 1945. Ils n’ont pas accepté d’échanger Bavaud à la demande des Allemands contre des prisonniers faits en Suisse. Ils collaborent avec l’Allemagne pour rechercher d’éventuels complices de Bavaud. Les Suisses leur permettent d’arrêter le complice français de Bavaud. Pourquoi en faire autant ? Donc après la guerre, la Suisse n’a aucune envie qu’on se penche sur leur attitude et leur manque d’empathie pour Bavaud. On raconte le déroulé du procès en révision puis l’appel. Mais ce sera dans le tome 2. En creusant, on se retrouve au moment de la création de la CCE au début des années 50. Un des plus fervents défenseurs de ce début d’Europe est un ancien ministre d’Hitler très proche des milieux d’affaires suisses. Il avait en plus participé à la rédaction des lois anti-juives.
Bavaud est une victime par ricochet et il sera décapité par les Allemands. Finalement si on avait voulu au niveau d’une grande puissance assassiner Hitler, est-ce qu’on y serait arrivé ?
Très difficile. Seul un loup solitaire aurait pu comme Bavaud y arriver, sans passé, intraçable.
Comment avez-vous rencontré votre dessinateur pour La Part de l’ombre ?
C’est notre éditeur qui nous a mis en relation. J’aime beaucoup le personnage. Francisco Ruizgé fait d’habitude une BD réaliste, grand public. On avait discuté à Angoulême et il voulait évoluer car on l’avait mis dans des case précises. Ce qui est fréquent aujourd’hui. J’aime bien ce style d’aventure. Je l’ai fait avec Marc Jailloux. Francis s’est documenté et a un trait parfait pour le sujet très enquête. La Part de l’ombre a été difficile à mettre au point. Quand c’est pointu, sans trop de sources, c’est dur. 1953 Berlin Est, l’Allemagne il n’y a pas grand-chose. La BD, c’est du cinéma, il faut rester cohérent dans les détails. Et je m’y emploie.
A l’origine c’est une histoire et une idée de Fabien Bedouel. C’est coscénarisée et il a eu cette idée il y a plus de dix ans.
Un sujet un peu à la Coen, non ?
Oui, pas Tarantino, et je voulais mélanger les genres. Du thriller mais aussi du fantastique. On s’oriente vers une histoire un peu spéciale.
Un entraineur et un joueur de tennis de table qui partent à Albuquerque pour les qualifications aux JO se font arrêter par un flic sur la route. Ils se retrouvent au Valhalla Hôtel et le champion disparait.
Exactement. Dans des circonstances étranges, le coach se retrouve nez à nez avec un homme cochon. Il voit une petite fille étrange et tout commence.
C’est du vrai fantastique ou une réalité discordante ?
Du fantastique pur. C’est une option que j’ai rajoutée dans l’histoire de Fabien. Elle donne une autre dimension et j’ai envie d’apporter avec des éléments la crédibilité à ce fantastique. Le réel va rejoindre le tout. Je suis parti sur le fait qu’aux USA d’anciens nazis ont été exfiltrés, ont immigrés. On est dans les années 80 et on va débarquer dans une communauté de paysans allemands, dans un village qui est dans le cratère d’une météorite. On aurait récupéré une pierre plate d’où le nom du patelin, Flatstone. On y élève des cochons mais quelle est la vérité ? Et qui est la patronne du Valhalla Hotel ?
Le dessin de Fabien Bedouel est toujours aussi inspiré et singulier.
Il a fait la mise en couleur seul. C’est un hommage à tout ce qu’il aime, manga, comics et la résilience du franco-belge. Il voulait dessiner des voitures, il y a des scènes de poursuite, des explosions. Je lui en écrit des pages et il s’est amusé avec ça. Moi j’ai gardé mon fil conducteur, des personnages qui me plaisent. Fabien, c’est aussi un fan d’Heavy Metal. C’est un des fils rouges. Pour l’instant, on est sur trois albums et je voulais que ça fonctionne comme une série TV. Chaque histoire est bouclée mais chaque personnage peut avoir son histoire ensuite.
Il y a toujours chez vous en première ou seconde ligne la grande Histoire dans vos narrations ?
Oui, je suis fasciné. L’Histoire est une source d’enrichissement qui m’éclaire sur notre monde. Quand je parle de Bavaud, de Darnand ou Kersten, je comprends mieux notre monde aujourd’hui. J’adore trouver des sources peu connues.
Qu’est-ce que vous avez d’autre en cours ?
J’ai proposé quatre ou cinq sujets historiques chez Glénat. Mon problème est plus de trouver un dessinateur avec qui me marier. Que ça marche. Je travaille de façon atypique. Avec Fabien, on est au quotidien ensemble. Je ne peux pas faire un scénario en un mois et passer à un autre. Je reste six mois avec le dessinateur, je réécris des scènes. J’ai mon point de départ et d’arrivée. Je suis très inspiré par Stephen King qui a écrit Mémoire d’un métier. Les péripéties sont faciles à trouver. Quand je vois Francisco dessiner son Berlin Ouest cela me plait au point que je rallonge la sauce. Du coup j’axe mon histoire différemment.
Et encore ?
Je suis aussi en train de travailler chez Les Arènes à l’adaptation d’un roman, ce que je rêvais de faire depuis longtemps. Ils ont acheté les droits de Shibumi de Trevanian. Complexe. Je voudrais juste offrir à des gens qui n’ont pas lu le roman une vision accessible, sa force sans la puissance des mots, proposer au dessinateur une vision des personnages. Là par contre il faut tout faire en amont. Je suis dessus depuis deux ans et il y a une trentaine de pages faites par Jean-Baptiste Hostache qui vient du jeu vidéo. Il a opté pour un dessin un peu à la Blain, avec des personnages forts, un peu caricaturé, très personnalisés. Autres sujets avec l’homme qui voulait tuer Trotski. On se souvient du film avec Delon, une affaire complexe. Ce type a été fabriqué pour tuer Trotski, il y a la guerre d’Espagne. Puis ensuite peut-être réutiliser mon clone de Bernie à Prague. J’aimerai aussi avoir des héroïnes. Je travaille sur Lee Miller, top-modèle, photographe, grand reporter pendant la guerre, muse de Man Ray. Elle prend un bain célèbre dans la baignoire de l’appartement d’Hitler à Munich, une photo très connue. L’idée serait de mélanger trois ou quatre femmes au moment de la photo de Munich dont une résistante et une nazie. Lee Miller a eu une vie compliquée mais très riche qui flirte avec le surréalisme.
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