Olivier Schwartz expose chez Maghen à Paris jusqu’au 20 janvier (la galerie est fermée du 24 décembre au 2 janvier) les planches de ses Spirou et Fantasio dont Yann a signé les scénarios (Dupuis). Du Groom Vert de gris aux deux tomes de La Femme Léopard, Olivier Schwartz a complètement investi graphiquement l’univers de Spirou, se l’appropriant, sans trahison bien au contraire, en lui apportant son talent, sa spontanéité et sa passion, sa touche, qui en ont fait les meilleurs albums de tous ceux de la série. Olivier Schwartz vit pour la BD et en parle avec une émotion authentique. Il s’est confié en toute liberté, avec humour et franchise à Ligne Claire. On évoque Spirou mais aussi la nouvelle série qu’il va signer avec Yann, Atom Agency. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
Olivier Schwartz, cette exposition chez Maghen est axée sur Spirou et Fantasio ?
Oui, c’est la troisième que je fais. La première était pour La Femme Léopard, la seconde pour Gringos Locos.
Comment vous est venue cette envie irrésistible de faire de la BD ?
C’est une vraie passion, j’aurai tué pour faire ça. Je ne sais rien faire d’autre, je n’ai aucun diplôme. J’en ai beaucoup parlé avec d’autres auteurs mais ceux qui arrivent vraiment à faire ce qu’ils veulent dans ce métier, pas ceux qui n’ont que des velléités. C’est une question de vie ou de mort. Moi j’aurai été capable de tout pour ça.
Vous avez dessiné très jeune ?
Oui j’avais des problèmes de communication enfant. J’étais très peu mis en valeur chez moi et c’est un moyen d’expression le dessin, c’est celui des muets. Je n’étais pas autiste mais j’étais très introverti et je pouvais ainsi m’exprimer avec mes parents d’abord puis avec mes copains. J’ai remarqué enfant que cela me donnait un petit rang, une certaine place alors que j’étais un sous-fifre. Je me souviens en colo d’un gros caïd qui me protégeait parce que je dessinais pour lui. Avant ça tous les soirs il urinait sur nos lits de camps. Quand il a vu que je dessinais bien il a arrêté avec moi et il m’a protégé.
Vous étiez un lecteur assidu de BD ?
Bien sûr et très tôt j’ai senti que la BD m’attirait. Enfant, je lisais du tout venant, des choses pas chères. Vers 10 ans on a déménagé et je suis tombé dans la cave sur deux Tintin poussiéreux dont un qui m’a marqué à vie, le Crabe aux Pinces d’or, sans couverture, en mauvais état. J’ai même refait des cases. J’ai pris une claque monumentale. J’ai adoré ça de façon organique. C’était une transfusion.
C’est ce qui vous a influencé, cette ligne claire, au départ ?
Cela existait. On pouvait toucher les personnages. En fait j’étais tellement peu respectueux que je découpais les personnages pour jouer avec comme avec des petits soldats. Après je refaisais les cases.
Quels étaient vos héros, vos influences ?
Le western, le comic avec Strange. Tout m’a influencé, Spirou, Tintin, les magazines mais j’avais aussi trouvé des Bicot chez ma grand-mère. Tout me parlait énormément. La BD c’était mon rayon à moi.
Vous êtes d’une grande franchise, honnête, sur votre cheminement de l’enfance à aujourd’hui, vos problèmes et la BD qui vous apporte son secours ?
C’est pour ça que je considère avoir revêtu la bure de la BD, comme un sacerdoce. J’étais prêt à tout sacrifier. C’est la passion qui anime les moines. Cela dit c’est plus facile pour moi, il n’y a pas la chasteté avec (rires).
Vous démarrez chez Milan ?
J’ai effectivement travaillé chez Milan puis signé Le Testament du docteur Zèbre. J’étais déjà dans le même style avec un trait super simpliste, plus maladroit, mais avec les mêmes références. Une sorte d’enfant d’Hergé et de Jack Kirby.
Simpliste on veut bien mais travaillé, un sacré boulot avec un investissement énorme. Comment c’est passé la rencontre avec Yann ?
Yann m’a dit qu’il me cherchait depuis des années mais chez mon éditeur on ne communiquait pas les adresses des auteurs. C’est Émile Bravo qui lui a donné mes coordonnées. Au départ, il me propose la reprise de Freddy Lombard mais il s’était un peu avancé car la femme de Chaland n’a pas voulu. On a fait un petit essai sur un scénario qu’il avait sous le coude mais pas terrible comme résultat. Et là il me propose de reprendre la série Gil Jourdan. Dupuis s’emballe jusqu’au moment où ils veulent présenter les planche et la couverture aux ayants-droits. Ils ont carrément refusé de voir le projet, ce qui plus acceptable car ce n’était pas notre travail qui était remis en cause. On était embêté et Dupuis nous a alors proposé un Spirou par.
Votre Spirou avec Yann, Le Groom Vert de gris, qui reste le summum du genre. C’est le plus fort avec celui aussi de Bravo.
Je suis d’accord pour Émile Bravo. Je l’ai lu quand j’étais en train de dessiner le mien. Je n’ai pas pu résister à le lire et j’ai pris une grosse claque. On n’est pas dans le même registre, on ne marche pas sur les mêmes plate-bandes. Le titre du Groom est un clin d’œil à Peter Cheney, auteur de La Môme Vert de gris un polar dans la Série Noire.
Spirou se retrouve en pleine occupation allemande en Belgique, avec un environnement dramatique. Et votre dessin éclate.
C’est la différence avec la série mère. Là il y avait un enjeu car le background des héros devenait lourd et fort. C’était très intéressant car Spirou existait déjà avant-guerre donc c’était légitime de le retrouver à cette époque.
Votre duo avec Yann a bâti une œuvre foisonnante. On peut relire les albums dix fois et découvrir le détail caché.
C’est vrai mais on veut éblouir chacun de notre côté. On s’est bien trouvé avec Yann (rires). Je ne veux pas travailler avec quelqu’un d’autre que lui.
Vous discutez avant de vous lancer dans l’aventure de chaque album ?
On parle beaucoup, on se dit tout ce que l’on a envie de mettre dedans. J’ai des carnets de dessins avec des idées. Ensuite c’est son boulot après un travail en amont. L’univers, certaines péripéties peuvent être émises quand on échange. J’ai le synopsis terminé mais ensuite on a vu que c’était plus intéressant pour moi de n’avoir que quelques pages dans l’ordre chronologique pour garder l’effet surprise. Comme le lecteur, éviter l’ennui. Je sais où on va. Je fais un trait crayonné, puis un crayonné plus définitif et l’encrage . Tout est en traditionnel.
Il y a plein de clins d’œil dans vos Spirou, Sartre, Gréco, Vian, c’est Yann qui en est à l’origine ?
Oui, c’est purement scénaristique. C’est son plaisir à lui. Il incorpore des personnages réels dans une fiction. Ça l’amuse beaucoup ce décalage. J’ai eu du mal de me moquer de certains personnages que j’aime bien mais je respecte son travail. Moi j’aime bien Sartre (rires). Pas Yann. J’ai essayé de ne pas trop le dégommer avec le dessin.
Le Titre Spirou au Congo est aussi une référence amusante à Tintin. Question bateau, le prochain Spirou c’est pour quand ?
Effectivement. Pas tout de suite parce qu’il y a pas mal de projets d’autres Spirou par… à faire. Yann et moi, on est parti sur autre chose. On a commencé une nouvelle série chez Dupuis ensemble. On s’y consacre. Ce qu’on a vu avec l’éditeur c’est qu’on en faisait deux ou trois et ensuite on faisait un autre Spirou. Je n’en sais pas plus. Par contre la nouvelle série s’appelle Atom Agency. C’est génial. Ça nous plait énormément. En fait ce sont les aventures d’Atom Vercorian jeune français d’origine arménienne qui veut fonder une agence de détective privé. Son père est commissaire et il voudrait que son fils ne soit pas policier et qu’il épouse une arménienne. On est en 1949. Mais c’est plus adulte que Spirou, plus réaliste. Il y aurait plusieurs albums. Dans le premier on pose le cadre et ensuite chaque histoire sera indépendante. On a envie que ça marche. On pense qu’on a trouvé quelque chose. Et ça nous amuse beaucoup.
Yann a déjà des idées pour un autre Spirou ?
On doit en reparler mais oui. Il a toujours un coup d’avance.
Si on vous disait : qu’auriez-vous envie de faire ? Quelle thématique, quel environnement, que répondriez-vous ?
J’aimerai beaucoup faire Barry Lyndon, ce genre de choses, en costumes, historique, avec de l’action, il faut que ça bouge. La BD et l’action sont irrémédiablement liées. Avec du spectacle.
C’est donc vital pour vous la BD ?
A tout points de vue. Ce qui est viscéral, c’est qu’il faut que j’ai toujours des planches à faire. Tout ce que je regarde, je le simplifie, je le vois en noir et blanc. Je fais aussi de l’illustration en particulier pour avoir des touches de couleur dans une exposition. Cela l’anime bien.
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