Il y a des rencontres qui sortent de l’ordinaire. Celle avec Olivier Schwartz, à Quai des Bulles, en est l’exemple. Il vient de publier avec Yann, son complice de Spirou pour Le Groom vert-de-gris et La Femme léopard, un polar, Atom Agency, clin d’œil au Gil Jourdan de Tillieux. Paris, les années cinquante, des truands à l’ancienne et les bijoux de La Bégum qui se font la malle. Avec son dessin pétillant, où le moindre détail compte, Olivier Schwartz s’est offert une nouvelle série à la hauteur de son talent. Un auteur chaleureux, instinctif, émouvant. Olivier Schwartz s’est livré sans faux-fuyant, en toute liberté. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Olivier Schwartz, vous évoquiez à l’instant notre dernier entretien, il y a un an, marqué par une certaine bienveillance. On est bienveillant avec les gens qu’on aime bien, non ?
Pas toujours. Nous les auteurs on ne sait pas à qui on a à faire. Et les questions peuvent être un peu perverses. Parfois, j’ai pu être étonné ou déçu par certains journalistes.
Où placez vous la perversité ?
Des questions ambiguës, à double tranchant, volontairement. Je n’étais pas seul cette fois à les entendre. Yann était là.
En fait quand on a commencé à travailler ensemble, il m’a assez vite proposé des reprises de personnages dont Gil Jourdan. On avait un projet très construit, bâti, avec Dupuis. Les anciens albums de Tillieux seraient ressortis avec, à chaque fois, un nouvel album signé par nous. Mais finalement, ce sont les ayants-droits qui ont opposé leur veto. On était déçu mais on a pu faire ensuite le Groom vert-de-gris plus facilement car Dupuis se retrouvait un brin coupable de s’être trop avancé dans cette affaire. Avec Gringos locos, cela a été autre chose (rires). Gil Jourdan, c’est notre ADN avec Yann. Gil Jourdan, c’est très adulte dans le contexte du journal de Spirou. Tillieux interprète et c’est, pour beaucoup, la première BD adulte avant Pratt. Ce n’est pas faux même si le dessin semble dans la ligne de Marcinelle. Les personnages ont une force et une fermeté peu commune.
Atom Agency est le fils naturel de la série Gil Jourdan ?
Oui, bien sûr mais dans Atom Agency il y a deux trios, un trio paternel avec le père d’Atom et ses deux adjoints. Ils sont paternels à deux titres. Le lien du sang et puisqu’on fait référence à Tillieux, pour moi ils sont une synthèse Félix. L’autre trio, c’est Gil Jourdan, Libellule et Queue de cerise avec Atom, le catcheur et Mimi. Dans des rôles différents. C’est presque du néo réalisme.
On s’est mis en 2012 sur le sujet. On a discuté comme on l’a fait avec Spirou pour mettre les grandes lignes au point. On a évoqué la nouvelle série qu’on voulait faire ensemble, originale, pas une reprise. On est parti de suite sur Projet Texaco car c’était le nom que Tillieux voulait donner à Gil Jourdan au départ.
Un polar traditionnel, années 50, des gens fidèles à un idéal, le rappel de la Résistance, la Bégum et des personnages vedettes comme Zitrone ou Rochefort en seconds rôles.
Zitrone c’est du gag. Je n’aime pas trop ce genre de trucs. Quand Yann me propose ça je lui dis qu’on dirait un texte pour Chaland il y a trente ans. Une fois que je l’ai fait, j’ai constaté que ça fonctionnait. Rochefort c’est différent. J’ai appris sa mort quand je faisais l’album. Il était âgé et je travaillais sur les brouillons de la page où un vieil antiquaire se fait assassiner. J’ai pris le visage de Rochefort comme dernier hommage. Il se fait trucider mais comme Rochefort était un comédien, c’était un dernier rôle.
Parlons décès. Aznavourian est là aussi ? Émouvant non ?
Oui, mais bon, ce n’était pas prévu évidemment. Mais je suis un nostalgique.
C’est quoi pour vous la nostalgie ?
J’aime bien pleurer. Ça fait du bien. Les chansons à texte, même celles d’aujourd’hui, la chanson française en général, il y a toujours un moment qui coïncide avec un instant de votre vie. Celles de Reggiani par exemple.
Oui, un peu trop. C’est ma qualité, ma force et j’espère qu’on ressent ma sensibilité. Le dessin aide à maîtriser les émotions. Depuis l’enfance. Tout artiste trouve un moyen de dépasser ses peurs.
Vous m’aviez dit au cours de notre dernière rencontre que la BD c’était vital pour vous ?
Oui. On peut pondérer car je peux arrêter demain si j’ai de quoi vivre jusqu’à la fin de mes jours. Je dessine pour le plaisir du dessin.
Vous êtes quelqu’un de très attachant. Avec une vraie authenticité.
Merci. C’est pour ça que ça me gêne un peu qu’on me parle de mon dessin ligne claire. C’est froid la ligne claire. Hergé, c’est pas quelqu’un qui devait vous prendre dans ses bras. Ou alors ce sont des gens qui cachent leur émotivité. Pas moi. C’est un reproche que je me fais. Il faut savoir prendre de la distance.
On fait comment ? A quel moment on doit faire attention quand on dessine ?
C’est une bonne question. Il ne faut pas se laisser entraîner dans la fiction, l’irréel, dans le papier. Il faut savoir s’arrêter.
J’aime le tennis. Mais je suis moins fort en tennis qu’en BD. Depuis l’enfance. J’ai pas mal réfléchi à ça. On peut exercer ce métier de façon adulte même si cela reste attaché à l’enfance. Les plus intellectuels ou littéraires d’entre nous y sont rattachés car la BD c’est un médium de l’enfance. Au moins pour ma génération. On se démarquait de nos parents. Comme le rap pour moi. Qui n’est pas naturel à mes yeux. Pas pour mes enfants.
Revenons à Atom Agency, le tome 2 sur lequel vous êtes avec Yann aujourd’hui.
Oui on s’égare (rires). Il vous a raconté le thème ?
Pas tout, bien sûr.
J’en suis aux premières pages avec les six personnages classiques du tome 1. Le fil rouge c’est l’Arménie. Chaque album est un one-shot avec un fait divers méconnu. Le second, ce seront les Rochambelles du général Leclerc qui seront en toile de fond.
Les ambulancières de la 2e DB en 1944 ? C’est une première.
Oui, tout à fait. Je ne connaissais pas. C’est très féminin. Donc il va y avoir un fait-divers autour des Rochambelles. J’ai lu le synopsis. J’aime que Yann me raconte une histoire. Elle commencera en janvier 1945. On repart sur une ambiance de guerre et on revient en 1950 mais je n’en dirai pas plus. On avait évoqué qu’Atom Agency comme la série Mad Men progresse dans le temps et qu’on voit l’évolution de la société.
On est plus libres. C’est dur en doc par contre. Je cherche beaucoup. C’est précis. J’aime bien que les gens soient touchés par les détails. Le combat de catch qui se passe au Cirque d’Hiver a été compliqué. Il y a très peu de photos d’époque. J’ai vu des combats en noir et blanc enfant à la TV. J’adorais. L’atmosphère que j’aurais voulu recréer c’est celle du film Quai des Orfèvres avec Jouvet, Blier. Mais avec la couleur c’était difficile. Je regarde souvent ce genre de films. Le Schpountz de Pagnol, je l’ai vu avec mes enfants.
Et avec une Orane Demazis qui joue très mal.
Pas du tout. J’adore sa voix, son accent plat qui préfigure la nouvelle vague, le jeu de Jean-Pierre Léaud. C’est une femme normale, pas sexy qui aime Marius d’un amour énorme. Le contraste avec Raimu la fait exister dans ce film.
Hormis Atom Agency, autre chose en magasin ?
Des envies, des projets dont un ancien découpé. J’ai écrit le scénario. J’ai un éditeur mais ça commence à devenir ancien. Sinon j’aimerais bien repartir sur de l’autobiographie, de l’autofiction. J’ai des choses à dire dans le style du livre Rue des boutiques obscures de Modiano.
C’est un autre registre.
Rien à voir. Si je parle de moi, je ne ferai pas le même dessin, il sera plus souple, il fera appel à ma mémoire. J’aime Modiano car il livre des bribes de lui et n’épuise jamais la source. J’arrive à un âge où je peux le faire. Ce n’est pas dans les cartons, c’est dans ma pensée.
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