Olivier Berlion sera présent au Festival lozérien de Sainte-Enimie les 4 et 5 juillet prochains. Mais avant, l’auteur du Juge, du Cadet des Soupetard, de L’Art du crime, revient sur Agata, polar qui se passe dans les années trente et dont le tome 2 a été reporté pour cause de virus. Olivier Berlion parle aussi, sans langue de bois ce qui est rare et courageux, sur ce que vit aujourd’hui une très grande majorité d’auteurs BD. Séries arrêtées diminuées, tarifs en baisse, Berlion détaille la vie d’un album, les conditions de contrats, en un mot parle d’un monde qui aurait bien besoin de se remettre en question à tous les niveaux. Il évoque aussi sa passion de la BD, ses envies d’écriture mais ses doutes, ses espoirs sur son métier. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Olivier Berlion, on fait un état des lieux avant le Festival de Sainte-Enimie début juillet où vous serez. Il y a un an paraissait le tome 1 d’Agata. A quand le tome 2 ?
Le tome 2 est fini et on aurait dû le sortir en avril. Il a été décalé pour cause de virus. Pour ne pas le noyer, comme une partie de la production a été reportée ni de pâtir en septembre de la sortie des poids-lourds, il paraîtra début 2021. Le tome 3 enchaînera très vite avec peu de temps entre les deux sorties.
On rappelle le sujet d’Agata, jeune polonaise que le gangster Lucky Luciano va rencontrer par hasard ?
Oui. Elle est enlevée par des truands de Luciano, un concours de circonstances. Ils devaient kidnapper un gamin, fils d’un entrepreneur d’origine polonaise pour faire pression sur lui. Agata est là, donc enlevée elle aussi car elle est un témoin gênant. Luciano voulait devenir respectable avec des méthodes de voyous et prendre le marché du bâtiment à New-York. Et le gamin est le cousin d’Agata.
Le tome 2 va être très violent entre Polonais et Luciano ?
Non, car les Polonais vont comprendre. Luciano est embarrassé par cette situation, séduit aussi par Agata, et ne veut pas la tuer. Il va trouver une solution pour que tout se calme. Agata est cependant un témoin dangereux. Luciano va lui permettre de se lancer dans la musique à New-York d’où le titre de l’album, Broadway. Elle va être sous surveillance d’un garde du corps assez sympa. Mais Luciano ne la lâche pas, la garde sous tutelle, et lui fait des avances. En parallèle, on suit la lutte contre le crime, contre Luciano, organisée par le procureur Thomas Dewey futur gouverneur républicain de New York et deux fois candidat malheureux à la présidence face aux démocrates. On va en savoir un peu plus sur le passé polonais d’Agata. Avec des surprises. C’est un polar romantique avec en toile de fond la violence de la guerre des gangs à New-York. On verra aussi Stéphanie Saint-Clair, chef de gang à Harlem, d’origine martiniquaise qui a existé, s’opposer à un autre truand, Schultz. Luciano essayera de s’interposer.
Tout est authentique ?
Tous les évènements sont authentiques et coïncident avec l’histoire d’Agata qui est fictive. Mais c’est écrit de façon à ce que ce soit plausible.
En quatre albums ?
Non, trois, car on réduit la voilure pour cause de ventes un peu faible moins élevées qu’espérées, 7000 ventes nettes, sur le 1. Ce qui a été la cause de mon burnout. Le marché actuel repose sur trois semaines de ventes. Si l’impression que les ventes seront bonnes en réassort, c’est OK pour la suite. Sinon, l’éditeur annonce que c’est cuit. On le sent, et j’ai explosé. C’est une série dans laquelle je me suis énormément investi, le plus de toute ma carrière. Des libraires me l’avaient expliqué, ce n’est même pas un problème d’éditeur.
C’est le poids de la surproduction face à des lecteurs très sollicités ?
Oui mais le libraire s’il vend un album, n’en commande que deux du suivant et renvoie les dix qui lui restent du premier. Donc si on fait 8000 au premier, c’est 6000 au second et la suite. Donc trois tomes. Pas la peine de s’acharner et c’est très fatigant. Le plus dur a été d’écrire un scénario du tome 3 pour arriver à sauter deux ans des évènement réels dans la chronologie de Luciano. Il fallait arriver à resserrer, un saut dans le temps qui paraisse logique. J’ai adoré mon histoire et je suis très heureux d’avoir pu la mener à son terme avec le soutien de mon éditeur.
Alors, qu’est ce qui plait aujourd’hui au lecteur ?
Si on le savait… Le lecteur va vers ce qu’il connait. Ensuite, il y a des tendances portées par exemple par les fans de BD belge mais qui vieillissent sans se renouveler parmi les jeunes. Danny, Tanguy, Blake, un terrain connu et comme les éditeurs multiplient les spin-off quand les séries sont finies, les lecteurs suivent tout en n’ayant pas un portefeuille très garni. Ce marché se réduit avec une seconde tendance, le roman graphique, un album avec un pagination lourde qui donne l’impression que c’est du livre. Souvent sans fiction, ce qui me désole. Du reportage mais le mot est souvent trop fort.
Oui mais est-ce tout ce qu’on appelle roman graphique est bon ? C’est une mode certes avec d’excellents ouvrages, Vivès, Catel, Sattouf, Sfar, d’autres peu nombreux, et certains très ennuyeux, donneur de leçons.
Peut-être, mais je vais en faire un, pour voir. Mais je veux garder le plaisir d’inventer des histoires. Ou comme pour Le Juge faire rentrer les lecteurs dans l’histoire. J’ai une vision de la BD où on immerge le lecteur dans un univers. C’est de plus en plus difficile. Il faut être rigoureux, précis, prendre du temps et comme les avances sur droits se réduisent de plus en plus, le roman graphique en plus ne coute pas cher à l’éditeur. Si un roman graphique peu cher se vend autant qu’Agata qui a couté beaucoup plus, la BD n’est plus concurrentielle.
Quels sont vos projets ?
J’ai un Aire Libre en préparation un peu polar mais stand-by pour l’instant. Pour le futur, je ne sais pas trop. A 50 ans il faut faire le point. J’ai en tête une reprise de Tony Corso mais comment je ne sais pas, pour le cinéma peut-être que j’ai toujours un scénario de film pour Tony Corso en préparation que je dois finaliser, des romans pourquoi pas. Ou des scénarios pour d’autres. J’ai envie d’aller davantage vers le scénario mais pas que pour la BD. Il faut laisser passer l’orage. La BD était déjà devenue très compliquée. Avec la crise actuelle et ce que j’entends de mes confrères, je ne suis pas très optimiste. Il va y avoir un écrémage forcé. Quand j’ai débuté, c’était difficile d’entrer dans le monde professionnel de la BD mais ensuite on en vivait bien. C’était dur mais les conditions de base faisaient que tout de suite c’était un métier. Aujourd’hui, on fait de la BD facilement mais on n’en vit pas, à moins d’avoir un vrai succès. On en est arrivé comme avec les écrivains à avoir une autre activité. Il fallait aussi alimenter les journaux ce qui n’est plus le cas. Un album, c’est un an de travail, ce qui n’est pas faisable que le week-end ou pendant les vacances. Il y a plein d’auteurs, des jeunes qui y croient, qui ont démarré dans la BD mais ne pourront pas continuer à ces tarifs, dans ces conditions.
Les gros éditeurs ont moins de difficultés, non ?
Oui comme le Titanic, le pont le plus haut coulera en dernier. Après c’est difficile d’anticiper. Voilà ce que je constate. Le seul renouvellement de lectorat, c’est le manga.
Vous avez des demandes de collaborations ?
Oui, des commandes assez marketing, bâties, ou une adaptation de roman connu. Ils cherchent un dessinateur solide pour la réaliser. Mais ce n’est pas ma priorité. Je l’ai fait avec Giroud pour Destins, et avec Bamboo pour La Lignée. On a des appels pour des projets pré-construits. Comme L’Art du crime que j’ai imaginé et écrit avec mon camarade Marc Omeyer. Quand je me mets à dessiner et que ce n’est pas mon histoire, je souffre. C’est moins joyeux, j’ai plus l’impression d’exécuter. Pas toujours, avec Corbeyran ou avec Benacquista ce fut de grands moments de création partagée.
On va vous voir au Festival de Sainte-Enimie en Lozère, premier festival régional déconfiné ?
Oui c’est Jean-Charles Kraehn qui m’en avait parlé. Je connais bien l’endroit et je l’aime donc c’est une belle occasion. Beaucoup de festivals ont été annulés. Il y aura, c’est sûr, celui d’Avignon mais dans quelles conditions. Ou Creil qui d’ailleurs paye les auteurs comme Avignon en fait.
Ce qui est une tendance ?
De plus en plus, parce que les auteurs qui vivent dans des conditions économiques difficiles refusent de se déplacer. Maintenant, on perd du temps, de l’énergie et le moral en prend un coup quand on discute entre nous. Avant, il y avait un côté festif mais en ce moment on souffre. Il y a des festivals qui font le choix d’avoir un plateau moins large et de payer les auteurs. A terme, je pense que cela va se généraliser. On est les seuls artistes qui font un spectacle gratuit. Dessins en direct, un musicien, s’il n’est pas rémunéré, au moins il pose son chapeau. Je sais qu’il y a des auteurs qui s’organisent pour avoir de meilleurs contrats, un contrat de base plus équitable. Un éditeur est un partenaire commercial. On ne peut pas lui demander des conditions de salarié. En revanche on devrait mieux se battre sur l’exploitation qu’il doit offrir à nos œuvres en échanges des droits énormes qu’on lui cède. Toute notre vie et 70 ans après notre mort… Les contrats commerciaux se sont alignés sur les droits moraux de l’auteur, systématiquement, alors qu’aux États-Unis par exemple, les cessions sont parfois pour 5 ans, 10 ans, renouvelables, en fonction du travail commercial de l’éditeur et son investissement que l’auteur évalue. En fonction. Même les brevets non exploités n’ont pas une telle durée de préemption.
A condition que les auteurs soient un peu moins individualistes ?
Et il y a parmi eux dessinateurs, scénaristes, couleur etc. Chacun a son particularisme. Je ne désespère pas. Je pense que certains éditeurs vont jouer cette carte, produire un peu moins, miser sur l’excellence et payer pour l’obtenir. Sinon…
Il y aurait une thématique qui vous tenterait ?
Il y a les contraintes du marché. J’ai essayé de proposer un sujet avec Corbeyran, ça n’est pas passé. C’était pourtant un récit comme je les aime, comme Lie de vin, de petites gens, inconnus à qui on imagine une belle histoire. Donc sur le plan marketing difficile. Je pourrais recoller à des histoires vraies mais qui me passionnent autant que des fictions. Je cherche. Tony, sa chance serait de devenir une série TV. On a un projet avec Corbeyran de faire un Soupetard en autofinancement, pour le plaisir. Je crois qu’il faut savoir freiner la course. J’adore la BD, depuis mon enfance c’est ma passion mais plus vraiment dans cet environnement.
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