Tony Corso revient avec une balade mouvementée dans les îles grecques, La Dotation Konstantin. Olivier Berlion signe le septième épisode des aventures du « privé » de Saint-Tropez. Argent mafieux, tueur russe, prêtre orthodoxe, Corso a du boulot. Une occasion d’en savoir plus avec Berlion sur ce privé atypique, beau gosse, et toujours surprenant.
Qui est vraiment Tony Corso ? Un détective privé, pas vraiment souriant ni rigolo mais efficace et qui a du charme. Au départ, Olivier Berlion avait une envie, parler des paradis fiscaux, une idée fixe qui lui venait un peu de sa jeunesse militante. « La mondialisation financière ce n’est pas nouveau. L’argent se balade sans frontières. J’ai étudié toutes les combines pour blanchir de l’argent. L’Europe est bien placée du Lichtenstein à Andorre, Luxembourg. Et où se retrouvent tous ces richissimes personnages, mafieux compris ? Près de Monaco, sur la Côte d’Azur française. Comme ils ne peuvent pas faire appel à la Police en cas de pépin, ils embauchent des détectives privés ».
Il n’en faut pas plus pour que Tony Corso voit le jour sous le soleil de la Méditerranée. Même si Olivier Berlion ne tenait pas vraiment à créer un privé, il voulait dessiner Saint-Tropez, là où il passait ses vacances enfant. « Pas des vacances de riches, non. C’était le seul endroit où pour des raisons familiales on pouvait aller. Je me suis lancé dans ce polar, une série d’histoires sombres, noires en plein soleil ».
Le soleil on a compris, mais Corso ? D’où vient-il avec sa chemise hawaïenne ? « Rien à voir avec Tom Selleck dans la série Magnum. Pacino dans Scarface m’a inspiré. Physiquement, j’avais pensé à un boxeur style De Niro mais il fallait un type grand, beau et fort. J’avais un voisin à Lyon que j’ai pris pour modèle. Ensuite il y a eu une évolution naturelle », ajoute en souriant à cette idée Olivier Berlion. Ce qui n’explique pas pour autant les origines de Tony Corso. « Autrefois en BD les héros n’avait pas de passé, pas de famille. Depuis le début des années 2000 ce n’est plus possible. Corso n’échappe pas à la règle depuis le tome 2. Je l’avais prévu. Dès le départ j’ai écrit son histoire que je dévoile au fur et à mesure dans mes albums ».
On découvre en effet quelques pages de la vie de Tony Corso dans le tome 7 qui vient de sortir, La Dotation Konstantin. Tony a un demi-frère à qui il apprend leur lien de parenté. Sa mère a été assassinée et ses relations avec son père sont assez tendues. Et puis où va l’argent que gagne Corso ? En lisant tous les albums on a une trame. « Dans le 6, Corso se sépare de Nadia sa copine. Est-ce que son père est mort ? Il est évident que Tony Corso a eu l’expérience d’un conflit. Mais lequel ? Il connait les armes, il sait se battre. Il n’est pas arrivé vierge à Saint-Tropez ».
Dans ses nouvelles aventures, Corso a du pain sur la planche. Un comptable détourne le trésor de guerre d’un mafieux de l’Est pour la bonne cause. Un tueur psychopathe, Casimir, un Russe ukrainien (un hasard, promis !) retrouve le comptable, le fait parler, en fait du hachis après qu’il ait avoué comment il a planqué l’argent. Où sont les codes des comptes ? Quel rapport avec la belle Cassandra dont Tony croise la route dans une île grecque ?
Pas de bol pour le méchant Casimir qui, en prime, a aussi un curieux moine orthodoxe aux trousses, le père Dimitriou. Le curé veut l’argent pour ses bonnes œuvres comme le souhaitait le comptable au grand cœur. Pour Casimir le tueur, Olivier Berlion avoue avoir toujours eu une « fascination pour les Russes. Ils ont une détermination terrifiante. On le voit bien aujourd’hui en Ukraine. Avec aussi la puissance des réseaux en plein jour comme ceux du KGB dont Poutine est l’émanation dangereuse». Imaginons qu’un Madoff ait piqué le fric de la mafia, un braquage par informatique interposée. C’est ce scénario auquel Tony Corso est confronté. « Par hasard », ajoute Berlion, « car Corso travaille sur deux styles d’enquête, celles qu’il choisit, celles qui passent sous son nez ». Version deux pour La Dotation Konstantin.
« J’avais aussi envie de le faire bouger de Saint-Tropez. J’ai fait du repérage dans les Cyclades. Je n’avais jamais parlé de religion. Et surtout je voulais que Tony soit touché émotionnellement. C’est le prêtre Dimitriou qui sera le détonateur. Il a fait les choix que Tony n’a pas encore accompli ». A découvrir, car Berlion a apporté à son héros une dimension plus humaine, plus psychologique dans cet album. « Le but d’un scénario c’est de dire quelque chose. Il est difficile de sous-entendre mais je ne donne pas de leçon », complète Berlion.
Berlion pose le contexte : de l’argent virtuel braquée, la Grèce, Tony qui se remet en question, aimerait s’investir dans sa vie privé et n’y arrive pas. Corso ne s’aime pas vraiment. Il a selon Berlion sa propre morale. « Oui, il a un peu de moi », confie Berlion. Tout va partir d’une image, d’une icône qui lui rappelle sa mère, peinte pas Cassandra. Elle fera aussi le portrait de Tony. On y ajoute une action à cent à l’heure, des enlèvements, un chantage. Il ne faut pas menacer Corso, ni appuyer sur le mauvais bouton. Danger avec Corso. On ne sait pas les risques que l’on prend.
« Je tire un fil et j’imagine les rebondissements » explique Olivier Berlion. Dans ce septième album, La belle Cassandra ne sera qu’une passeuse de sentiments pour Tony. Elle lui montre le chemin. Elle est un trait d’union. « J’ai voulu un rythme très rapide, des relances, des rebondissements. J’écris toujours une histoire qui aurait besoin de 100 pages et puis je coupe ». Il va à l’essentiel, à l’os. Mais Berlion a du mal à résister à un bon dialogue. « J’essaye d’être moins blagueur avec mes personnages. Audiard a bien signé Garde à vue, pas vraiment drôle. L’humour dans Corso je le réserve à Madjid, son copain. Un bon dialogue fonctionne si le dessin lui correspond. Si le dessinateur prend des libertés avec le scénario on perd tout ».
Écrire un scénario, construire une histoire, cela s’apprend confirme Berlion. « Quand je travaillais avec Corbeyran j’étais frustré de ne pas faire les dialogues. Comme au cinéma, il pourrait y avoir un scénariste plus un dialoguiste qui offre son texte au scénario qui a été pensé par un autre». Des idées, Olivier Berlion en a plein la tête. « Même d’anciennes qui ne me plaisent plus. J’ai un projet chez Glénat, coscénariste sur neuf albums. Une série concept pour une première parution mi-2015 »
Et ce n’est pas fini. Olivier Berlion voudrait bien aussi raconter le destin du juge Renaud mort assassiné à Lyon en juillet 1975. « Cela pourrait paraître en trois albums chez Dargaud. J’en ferai scénario et dessin. C’est une fiction qui englobe les faits réels. Un peu comme ce qu’a fait Fabien Nury avec Il était une fois en France. Je me suis beaucoup documenté. Et j’ai des raisons personnelles de m’intéresser au sujet. Je suis lyonnais. » Enfin, Berlion planche sur la vie du parrain de la mafia américaine, Lucky Luciano entre 1932 et 1936. « Une histoire d’amour et de pouvoir avec les immigrés polonais de Chicago en toile de fond. »
Et Tony Corso ? Le privé prend des vacances ? « Je ne sais pas encore. Une pause peut-être comme entre le tome 5 et 6 où j’ai beaucoup travaillé sur des adaptations, Cœur Tam-Tam, La Commedia des ratés ou Rosangella. Mais rien de décidé. J’ai quand même mon idée sur la prochaine destination de Corso : Haïti. Le soleil encore mais celui de la pauvreté. »
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