Tiburce Oger aime l’histoire de l’Ouest américain, les grands espaces, les héros ordinaires ou atypiques. Avec Buffalo Runner, il passe au crible, d’un crayon alerte et inspiré, la vie d’un vieux cow-boy chasseur de bisons revenu de tout, prêt pourtant à se sacrifier pour sauver une jeune fille dont la famille vient d’être massacrée. Un face à face dramatique et poignant dans une cabane en plein désert, servi par le dessin caractéristique de Tiburce Oger. Par Jean-Laurent TRUC. Ce texte a aussi paru dans ZOO de février.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Tiburce Oger n’a pas voulu signer un western avec son Buffalo Runner : « Ce n’est pas le western que j’aime en fait. Le western, ce sont des souvenirs de gosse, vautré sur le tapis du salon à regarder John Wayne ou Clint Eastwood à la télé. Ensuite j’ai dévoré Blueberry. Adulte je suis passé à l’histoire de l’Ouest, un thème qui me fascine encore et toujours ». Tiburce Oger fait dans la nuance, argumente et remet les pendules à l’heure. « Il y avait des gentils et des méchants, des Indiens et des Blancs. L’Ouest représentait pour beaucoup d’immigrants un monde meilleur comme cette famille dont je raconte le destin tragique. Elle a tout misé sur ce voyage sans retour pour aller en Californie en traversant des contrées dangereuses ».
C’est cette vision pas vraiment édulcorée que Tiburce Oger a voulu raconter. On n’est plus dans les visions enjolivées des courses de chariots bâchés comme dans le film Paint your wagon avec chansons et jolies filles. Ou sur un plan large des caravanes qui s’enfoncent dans la prairie vers le soleil couchant. Ou encore avec ces pistoleros qui ne rechargent jamais leur Colt. « Ce sont des miséreux que l’on envoie à l’époque vers l’Ouest, en ce second milieu du XIXe siècle. Les Américains ne pouvaient plus que leur proposer d’aller coloniser ces territoires sauvages ». A leurs risques et périls.
« Tireur d’élite, Edmund devient un chasseur de bisons. Il va en tuer des milliers. Pourquoi ? Parce qu’ils gênent et pullulent dans les plaines de l’Ouest. Ils empêchent les propriétaires de clôturer leurs pâturages pour passer à un élevage classique », continue Tiburce Oger, « et, en prime, ils nourrissent les Indiens dont on veut se débarrasser ».
Comme un plaisir ne vient jamais seul, les compagnies du chemin de fer en ont assez que les bisons obstruent les voies pendant des jours. Résultat des courses, la chasse est ouverte. L’armée fournit les cartouches gratuitement. Authentique. On extermine l’espèce.
Et voila Edmund, avec son Sharp en calibre 50/90, qui mitraille les bestiaux dont on prend les peaux et on abandonne les carcasses. Jusqu’au jour où il plaque tout, devient agriculteur pour faire vivre sa petite famille avec la femme qu’il aime. Pas de pot, Edmund. Sa ferme est détruite, sa femme tuée et sa fille, bébé, enlevée vraisemblablement par les Indiens qu’il poursuit et abat les uns après les autres. Retour aux bisons avant de devenir l’homme de confiance d’un Français richissime, le marquis de Morès. « Un personnage qui a existé et a fondé une ville, Medora. Passionné par les petits chevaux mustangs, il a défendu les Indiens et tenté plus tard de créer une ligne de chemin de fer en Indochine ». Edmund Fisher va rencontrer aussi Teddy Roosevelt, futur président des États-Unis et grand chasseur devant l’éternel avant d’affronter finalement son patron, De Morès. Une histoire de femmes encore sur fond d’antisémitisme déclaré, et oui même au Far-West.
Tout en rechargeant ses cartouches sous le regard de Mary, Fisher continue sa rétrospective. On sent bien qu’il n’est pas fier de ce qu’il a fait, qu’il fait partie de ceux qui ont gâché, comme le souligne Oger « ce qui aurait pu être un paradis. Fisher le sent et il a des regrets. C’est un homme dur bien sûr avec ce qu’il a vécu et le raconte à la jeune Mary. Il n’a pas eu de chance Edmund. Il perd systématiquement ceux qu’il aime ». Une malédiction pèse sur le vieux cow-boy.
Tiburce Oger a écrit son scénario d’une traite. Il l’a envoyé à Rue de Sèvres qui a aimé. « On a rediscuté la fin. Le crayonné m’a pris trois mois. Je l’ai repris au pinceau, à l’encre de Chine et au lavis. Mon épouse passe un masque incolore partiel. Je fais les couleurs des décors. Je gomme et laisse les personnages en blanc. Je gagne du temps, vois ce qui ne vas pas et j’ai besoin de trois mois de plus pour finir les détails ».
Au moment où les westerns reviennent fort en BD, d’Undertaker à Sans Pardon d’Hermann ou à Texas Cowboys dont Oger a beaucoup aimé le dessin de Matthieu Bonhomme, il a voulu que ses lecteurs voient qu’il a y « mis ses tripes » dans son Buffalo Runner et qu’ils soient surpris. Dans les deux cas, Oger a gagné. L’émotion est au rendez-vous, forte, violente souvent. Au point qu’on a vraiment envie de le retrouver après ce one-shot, Edmund Fisher. Pas impossible car il pourrait bien partir à la recherche de certains de ses proches qui ont disparu dans ce premier album. Au Mexique, pourquoi pas, frontalier du Texas, au moment où Pancho Villa fait la révolution. Pour l’heure Oger termine le tome 5 des Chevaliers d’Émeraude et expose les planches de Buffalo Runner, des grands formats, à Paris, Galerie Napoléon.
Buffalo Runner par Tiburce Oger, 80 pages couleur, Rue de Sèvres, 17 €
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