Katanga vient de sortir chez Dargaud. Fabien Nury et Sylvain Vallée, superbe duo de Il était une fois en France, se sont embarqués pour suivre les Affreux, ces mercenaires européens embauchés en 1960 par le Congo belge indépendant. Des militaires français souvent alors que la France est en pleine guerre d’Algérie mais se préoccupe de sa politique africaine. On va suivre une poignée d’Affreux à la chasse aux diamants. Histoire grande et petite, Fabien Nury s’exprime en toute liberté pour Ligne Claire et dévoile sa Charlotte Impératrice avec Matthieu Bonhomme au dessin. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
Fabien Nury, comment avez-vous eu l’idée de choisir cette période, la fin du Congo belge en 1960 ?
Avant le choix du sujet historique, c’était plus par référence au genre. J’avais un intérêt pour cette forme dégénérée du genre guerre que celle de ces mercenaires en Afrique. Avec Sylvain on avait discuté et on s’était dit qu’on pourrait aller à l’occasion parcourir le sujet. J’avais peu de connaissances sur le sujet et en me documentant je me suis aperçu de l’univers historique précis avec 1960-63, la décolonisation du Congo belge et la brève indépendance du Katanga, une des ses provinces. Cela faisait probablement un territoire de fiction assez inouï. Au départ on était plutôt dans le roman noir, le thriller politique. Ensuite on est passé au contexte historique.
La base historique est en fait précise. Il y a des personnages principaux qui ont existé dans Katanga, de Lumumba à Tshombé.
Le contexte est le bon avec des personnages de pouvoir bien réels. Ce que l’on voit plus dans la tradition du roman noir américain. On a des protagonistes de fiction entourés de personnages politiques qui ont existé comme par exemple chez Ellroy. C’est toute la différence avec Il était une fois en France ou La Mort de Staline. Dans Katanga on est avec des personnages de fiction dans un environnement réel. On est plus proche de Silas Corey. Si j’avais voulu faire une histoire réelle, Orsini (le commanditaire des mercenaires, NDLR) se serait appelé Trinquier ou Duchemin qui ont été vraiment des mercenaires. Je ne voulais pas refaire Il était une fois. La grande différence ce sont les protagonistes. On peut avoir des personnages secondaires historiques. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? La différence tient à l’identité du protagoniste. Je suis plus libre avec ce système.
Comment avez-vous monté votre casting dans cette chasse au trésor sur fond d’indépendance du Congo belge ?
L’aventure privée qu’ils vivent dans Katanga c’est de la fiction mais dans un univers crédible, la société minière, les ministres congolais. On est dans un roman documenté. Quand je lis un Philip Kerr je ne sais pas trop la part de fiction mais cela ne me dérange pas car je sais par contre que le contexte historique a été étudié sérieusement. Ellroy avec American Tabloid c’est encore pire. On finit par ne plus voir la frontière entre les deux.
Vos héros sont pour la plupart français.
J’ai pris des mercenaires français même si il y avait des Belges dans le lot. Il y avait une grosse implication française dans ces mercenaires pour aussi des raisons politiques. Une fois que j’ai défini l’univers je me dis comme je fais pour l’incarner ? L’Africain que tout le monde sous-estime je ne peux pas m’en priver. Orsini le Corse non plus. Le conseiller spécial du ministre non plus. Les rapports entre la courtisane et le colon idem. Des colons qui sont racistes et sexistes. J’évoque la barbarie raciste du monde dans lequel se déroule l’action.
La violence à l’époque est vérifiable et vérifiée. On est dans une guerre civile en pleine jungle.
Il y a une violence omniprésente et dans la réalité il y a eu des choses encore pires que ce que nous montrons. Cela peut rebuter mais si on ne veut pas de violence dans des bouquins comme celui là il ne faut pas traiter le sujet. La violence est intrinsèque dans cet univers.
On est aussi dans un ambiance à la Sept mercenaires jusqu’au bout, avec en plus un trésor, une femme et un manipulateur.
Chacun va jouer sa partition et tous les coups sont permis. Et cela peut avoir des conséquences sur l’histoire en général. Une chasse au trésor en temps de guerre c’est du Sergio Leone avec Le Bon, la brute et le truand. Ils peuvent changer la carte d’une guerre simplement pour arriver à leurs fins. Il y a toujours le rapport violence privée, violence collective exploitée dans le cinéma ou le roman. Il y a une sorte de dévoiement. De Résistant un mercenaire pouvait passer à chef tortionnaire. Mais c’est quoi ce trajet ? Par désœuvrement, par taille de leur ego, ces mercenaires se lancent dans toute une série de guerre dans les années soixante.
Comment vos lecteurs appréhendent cette époque assez méconnue en fait ?
Ils sont conscients des références cinématographiques, s’interrogent sur ce qui est vrai ou pas. Ils voudraient presque qu’on le leur dise. Je ne vais pas mettre des astérisques sous les cases. Sur Il était une fois en France tout le monde se sentait spécialiste de la seconde guerre mondiale. Là ils sont en territoire inconnu. Il faut qu’ils aillent ouvrir des bouquins. Les retours sont très bons pour Katanga. En fait on me questionne toujours sur vrai ou pas avec mes albums. Le protagoniste détient la vérité. On est très crispé en France sur ça. Dumas ne s’embarrassait pas de tous ces détails. Katanga, c’est une BD d’aventure réaliste dans un contexte historique. On ne fait pas œuvre d’historien. A croire qu’ils n’ont pas lu un Ken Follet ou un Kerr.
Vous avez un personnage féminin, Alicia, assez atypique ?
C’est une survivante. Je trouvais important qu’il y ait une préoccupation non matérialiste pour certains des personnages, dont Charlie et Alicia sa sœur. Cela donne une bouffée d’air pur. La leçon dans Katanga c’est que les riches n’ont pas de couleur. On peut expliquer beaucoup de choses si on regarde l’argent, son poids, et en particulier sur l’histoire de l’Afrique. Au-delà des idéologies on parle peu de pognon. Et puis on n’a pas souvent un récit dans les années soixante ou des Blancs bossent pour des Noirs. Ce qui est le cas des mercenaires. J’avais découvert ce sillon avec Atar Gull. J’aime bien le récit anti-paternaliste. Je n’ai pas envie de faire une histoire de rédemption d’homme blanc. Pourquoi vouloir qu’un Noir soit plus innocent avec tout ce que cela comporte de péjoratif. D’où l’importance de Charlie, un Noir, qui détient le trésor en diamants que tous veulent et mène le jeu. Cantor, le chef des mercenaires, c’est le héros blanc mais moi j’ai aimé faire un récit où le Blanc est seulement comparse.
Avec Sylvain Vallée, votre couple s’est reformé sans problème ?
Oui. Sylvain c’est un professionnel. La grande idée était qu’on ne voulait pas refaire la même chose, ni travailler sur le même registre que dans Il était une fois. Je n’ai pas fait Il était une fois au Katanga. Il y a un choix plus radical. Je livre le scénario en une fois mais on a beaucoup discuté avant avec Sylvain. Il a lu le début ensuite je livre le scénario dialogué sans faire la pagination au départ. Je m’occupe d’abord de l’histoire puis de la BD. Je livre quelque chose de précis mais modifiable. L’étape du story-board est essentielle.
Il était difficile de ne pas tomber dans la caricature, les méchants, les gentils ?
Quand je fais citer le film Bronco Apache dans Katanga ce n’est pas gratuit. On n’est pas dans une aventure où une poignée de Blancs tue des centaines d’indigènes ce qui est vrai au cinéma depuis Les Trois Lanciers du Bengale jusqu’à La Horde Sauvage. Le genre guerre en soi est problématique et c’est la raison pour laquelle je suis allé chercher ce que j’appelle la forme la plus dégénérée, soldats de fortune en Afrique pour le problème soit le plus saillant possible. Le spectateur a envie de voir des combats comme dans Les Douze salopards. On s’éclate dans le genre mais jusqu’à quel point ? Je me pose la question.
Katanga sera en trois albums chez Dargaud.
Le tome 2 est fini et je commence le 3. J’ai généralement un album d’avance quand un cycle est en cours. Dargaud avait très envie de nous accueillir pour ce projet, Sylvain aussi était partant. Cela a donc abouti chez Dargaud. Il y avait aussi une envie de changement.
On vous vu au générique de Guyane la série TV sur Canal.
Oui mais après Guyane j’ai des projets. Sur le dernier épisode j’étais scénariste, producteur réalisateur. En TV on est déjà bien content que le projet existe. Tout s’est bien passé avec Guyane. L’audience n’a pas baissé en cours de saison. J’étais content que l’on me donne ma chance. Il devrait y avoir une saison deux mais je ne m’y collerai pas seul. Le gros morceau pour l’heure c’est la Mort de Staline. Le film est fait. Une belle adaptation de la BD en anglais avec plein d’acteurs connus. J’ai été associé à la production et dix ans après l’album je me suis retrouvé à Londres en studio avec Staline qui fait un AVC. Tu es dans Londres tu passes la porte et il y a le cercueil de Staline avec plein de gens, des acteurs que tu pensais ne jamais voir qu’au cinéma.
Je travaille sur plusieurs projets en ce moment. Cela ne sera pas un choix entre BD et audiovisuel. Je peux alterner. J’ai été très heureux de retourner à mes planches. On se sent plus seul par contre qu’en audiovisuel. Tyler Cross ce sera un album l’an prochain. Tyler Cross a très bien marché. Pour un nouveau Silas Corey je n’ai pas eu le temps. J’aime bien les deux, le détective et le gangster. J’essaye de répartir mes forces. Deux, trois albums par an, cela me va bien.
D’autres projets Fabien ?
Avec Matthieu Bonhomme, on prépare Charlotte Impératrice. Dix ans qu’on en parlait avec Matthieu. Charlotte est la femme de Maximilien empereur du Mexique imposé par Napoléon III. Elle a eu une vie dingue et c’est un vrai mélodrame au XIXe siècle. On ne nous attendait pas là-dessus avec Matthieu et je suis hyper content. Il y aura plusieurs tomes. Je fais mon Sissi et cela m’éclate complètement. J’essaye quand même de me renouveler (rires). La preuve. Il y a une trame romanesque fantastique. On a à la fois du Visconti et du Peckinpah. Parution prévue en 2018. Matthieu va pouvoir développer tout ce qu’il a fait avec Anaon et ses autres séries, et le tout au service d’une jeune princesse.
Au total cette année il y a deux Katanga. Tyler et Charlotte au printemps prochain. Après je ne sais pas. J’ai bien des idées mais je n’ai pas envie de multiplier les projets.
Quels sont les sujets que vous aimeriez traiter ?
Je m’essaye au XIXe siècle cette fois avec Charlotte. Sur ma période fétiche vous savez bien que j’aimerais faire un tour en Indochine années cinquante. La Chine du XIXe aussi me tente. Je n’ose pas faire un western mais si je fais un mélo je tenterai peut-être le western. C’est difficile. J’en ai mis un peu partout du western mais un jour il faudra que j’y aille franchement. On fait plus souvent ce qu’on peut que ce qu’on veut. Je refuse pas mal de choses. On me demande beaucoup de refaire ce qui a bien marché. Je lis, je passe ma vie dans ma bibliothèque et j’ai des univers que je n’ai pas réussi à traiter parce que je ne suis pas prêt.
L’Indochine quand on en parlait ensemble il y a sept ou huit ans c’était le cas. Après Katanga ou Guyane on va voir. Tyler Cross m’a beaucoup appris. Tout le monde parle du côté film de mes BD mais pour Katanga ou Tyler je suis en pleine BD ou dans le roman noir. J’ai pas mal de projets avancés ou en friche.
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