On connait bien sûr le film de Clint Eastwood, American Sniper, tiré du livre de Chris Kyle. Kyle était un tireur d’élite de l’armée américaine, dans les Navy Seals, un sniper comme on dit, un combattant comme il en existe dans toutes les armées du monde depuis que le fusil existe, de la Guerre de Sécession aux conflits mondiaux, au Liban, au Golfe, au Mali. Toujours et partout. Généralement, les snipers sont discrets. Pas vraiment Kyle qui a revendiqué un record de cibles atteintes pendant ses quatre séjours en Irak. 160 sont « confirmées » par ses supérieurs mais il aurait pu atteindre le chiffre de 255 « probables ». Ce qui lui vaut d’écrire son bouquin, de devenir une légende qu’un autre va vouloir effacer et remplacer. Kyle est abattu par un ancien combattant sur le parvis d’un stand de tir avant que le film ne soit tourné.
Fabien Nury décortique avec brio le phénomène Kyle dans le cadre d’une Amérique parvenue au plus haut niveau de nationalisme de son histoire, de violence latente scandée par des tueries de masse que n’explique pas seulement la vente libre des armes à feu. Fabien Nury montre en toute objectivité qu’un Kyle s’inscrit dans la logique du pays, sa femme aussi et son meurtrier encore plus. A découvrir absolument cet ouvrage de plus de 160 pages que Brüno met en images comme un reportage sur le vif, argumenté par son trait, ses plans, son découpage dans lequel on reconnait aussi la maîtrise des meilleures bases cinématographiques de Fabien Nury. Sortie de l’album décalée après la fin du confinement le 29 mai.
En 2009, quand il rentre de son dernier séjour en Irak, Chris Kyle est perturbé, victime sûrement d’un stress post traumatique dû à ses combats sur le terrain. Avec sa femme Taya il reprend le dessus, fonde en 2010 une société de sécurité privée. Sa légende est basée sur des faits authentiques. Sauf que de retour aux USA il n’a plus de cibles potentielles. Il va s’en inventer en Louisiane pendant l’ouragan Katrina et aurait abattu des pillards. Sans être inquiété. Dans son bouquin, tout y est. Avec en prime un conflit entre lui et Jess Ventura, autre Seal. Chris est une star qui passe dans les plus grands débats US à la TV. Interview vérité, Kyle parle. Il prend en charge aussi des vétérans blessés qu’il dit remettre en état en les faisant tirer à l’arme automatique. Réveiller leur esprit guerrier. Son meilleur ami est Chad Littlefield qui, lui, ne s’est jamais battu. Sur leur chemin il va y avoir Eddie Ray Routh, 25 ans et complètement à l’ouest, drogué, psychologiquement atteint et ancien Marines qui n’a pas connu vraiment le combat même en Irak où il est allé. Tous les personnages sont en place. La scène, c’est le Texas, le public le peuple américain.
Fabien Nury a chapitré son récit de façon à ce qu’on ait tous les éléments nécessaires à une parfaite compréhension du mécanisme. Encore une fois objectivement pour que le lecteur, lui, puisse réagir, se faire une idée. Une enquête parfaite L’Homme qui tua Chris Kyle, documentée, percutante, illustrée de crayon de maître par Brüno qui connait bien la façon de travailler de Nury (Tyler Cross). On comprend aussi le cheminement politique et cinématographique de Clint Eastwood qui réalise le film, la vision qu’il veut donner de Kyle très proche, mais on a oublié, de celle d’Audie Murphy, sniper et soldat US le plus décoré de la seconde guerre mondiale, devenue acteur de cinéma reconnu dans des rôles très typés bien sûr.
C’est la mort de Kyle qui change la donne. Pourquoi ? Comment une légende, un pro aguerri et armé, se laisse abattre par un type qui n’aurait jamais dû avoir un Colt dans chaque main ? La suite après, avec la femme de Kyle redoutable en affaire et elle-même devenue tireuse d’élite. Un roman noir bien réel à l’image d’une Amérique qui, on le voit encore plus ce moment, ne sait plus où elle habite. Dangereux. Fabien Nury et Brüno ont signé un grand moment, un ouvrage important que l’on souhaite le plus vite possible dans les librairies rouvertes. En fin d’album, un dossier de 16 pages regroupe des interviews des auteurs, des recherches graphiques et des planches commentées.
L’Homme qui tua Chris Kyle, Une légende américaine, Dargaud, 22,50 €
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